Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mode (suite)

Le passage du stade artisanal au stade industriel, qui marqua le xixe s., allait donner à la mode un nouveau visage : la mode française parut sur la scène internationale lors des grandes expositions internationales dès 1839. Et l’instauration, en 1860, du libre-échange entre la France et l’Angleterre favorisa les exportations à l’étranger. À la suite de l’Exposition universelle de Londres en 1862, l’Illustration fait remarquer que la France « gante presque tout l’univers » (26 juill. 1862). Cette extension du domaine de la mode, qui allait dans le sens du développement de l’économie française, ne pouvait s’accomplir sans une modification des structures internes à la profession.

Au service d’une société solidement hiérarchisée, les professionnels de la mode témoignaient du même esprit de caste. Ils tiraient renom du prestige de leur clientèle et restaient attachés à l’idée d’une aristocratie de la couture : Charles Frédéric Worth, premier couturier au sens moderne du terme, jouissait des faveurs de la Cour. Des tailleurs tels que Blain, Humann, Laffitte, Lacroix, Staub habillaient l’aristocratie de père en fils et avaient à cœur de ne point être confondus avec ceux qui travaillaient pour une clientèle moins illustre. Un même état d’esprit régnait au sein des ateliers, où le coupeur « aristocrate obligé du lieu » tenait ses distances à l’égard des « couseurs plébéiens » (l’Illustration, 29 juill. 1848). Mais cette arrogance allait bientôt faire place à l’inquiétude. Le machinisme avait déclenché un processus irréversible, dont les conséquences sont allées en s’amplifiant jusqu’à nos jours. La possibilité d’une production mécanisée et accélérée allait bouleverser tous les secteurs de l’économie, y compris celui de la mode, et l’artisanat allait devoir, désormais, compter avec la confection. Son apparition au xixe s. permit la vulgarisation d’une mode bon marché — phénomène nouveau et qui préfigurait, semble-t-il, la démocratisation de la mode actuelle.

Inspiré par l’Angleterre, où la confection était déjà implantée, un manufacturier français, dès 1829, ouvrit à l’enseigne du « Bonhomme Richard » une entreprise de « confectionnement d’habillements ». Celle-ci ne résista pas aux événements de 1830 ; mais l’idée était semée et nombreux furent les magasins de nouveautés qui s’adjoignirent par la suite un rayon de confection : la Belle Jardinière (1847), le Bon Marché (1852), le Printemps (1865), la Samaritaine (1869) furent parmi les plus célèbres. Affectant, au début, d’ignorer cette concurrence, les tailleurs se liguèrent bientôt contre la confection. Un seul d’entre eux, Jules Dusautoy, comprit les implications de cette transformation et ouvrit dès 1850 une maison de confection. L’avenir devait lui donner raison : la confection était désormais implantée dans les mœurs sous le second Empire. Elle profita surtout aux classes laborieuses, qui purent ainsi améliorer leur « tenue du dimanche », et aux classes moyennes peu fortunées.

L’opposition entre confection et tailleurs n’en avait pas pour autant vécu : une barrière sociale allait les séparer pour de longues années. On ne pouvait associer un certain esprit de classe avec le goût du bon marché, synonyme pour longtemps de médiocrité. Ce problème de la vulgarisation — source de confusion des classes — devait susciter bien des réserves et soulever bien des questions : « Les classes doivent-elles se séparer par le costume ou la fusion doit-elle être telle que le propriétaire ne se distingue pas de l’ouvrier, le paysan du citadin ? Où commence le luxe dans le vêtement, où finit-il ? » (Daumon, cité dans la Mode et ses métiers).

Secteur privilégié de l’économie des pays industrialisés, la mode actuelle répond aux besoins de la société de consommation ; elle satisfait pleinement à la formule « produire plus pour consommer davantage ». Pour les classes moyennes, le vêtement ne constitue plus comme autrefois un investissement à longue durée ; l’usure — souvent inexistante en raison des matières nouvelles — en conditionne moins le port que la conformité avec les variantes de la mode. Source de consommation, celle-ci, suivant un rythme de plus en plus rapide, doit toujours stimuler des besoins nouveaux.

Destinée à la masse, démocratisée, elle surgit dans la rue à la suite d’une publicité, d’une émission de télévision, d’un film. Mais la presse spécialisée, qui lui est de tradition consacrée, reste le moyen sinon d’atteindre le plus grand nombre, du moins d’imprégner l’image la plus durable dans l’esprit du public : on feuillette la revue de mode et l’on y revient comme source de référence pour guider un achat. Certains journaux sont exclusivement consacrés à la mode (l’Officiel, Vogue) ; d’autres y accordent une large place (Elle, Femme pratique). Tous s’adressent à des couches sociales très différentes. Ce n’est pas là un phénomène nouveau : au xixe s., la Mode ou le Journal des demoiselles écrivaient pour une société de bon ton, et le lyrisme qui marquait les comptes rendus de mode était en accord avec l’idée qu’on se faisait de la femme. La gravure au service de la reproduction du costume remonte au xvie s. Le xviie s. ne s’intéressa qu’aux costumes propres à l’aristocratie, et les graveurs s’inspireront parfois de personnages illustres dans la représentation du visage. À la fin du xviie s., la silhouette se découpa sur l’arrière-plan d’un paysage. Au xviiie s., la gravure accentua un côté anecdotique. Avant 1710, Watteau signa plusieurs gravures exécutées d’après nature. On suit la vie journalière de la bourgeoisie à travers les gravures de mode du xixe s. : de 1830 à 1870, la femme est représentée dans son intérieur ou parfois dans son jardin ; après 1870, on la voit faisant ses courses ou s’adonnant à la charité. Après la Seconde Guerre mondiale, la garçonne était au volant de sa voiture. Achille Déveria (1800-1857), Raoul Dufy (1877-1953) et Christian Bérard (1902-1949) s’intéressèrent à la gravure de mode.