Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mode (suite)

De toute façon, la mode requiert un certain temps d’adaptation de la part du public. La minijupe suscita à ses débuts bien des réserves : « Les spécialistes la voient adoptée dans l’avenir seulement comme tenue de plage à côté du short ou du pantalon » (le Monde, 4 mai 1967, p. 15). Il semble qu’on puisse émettre comme principe que plus une mode s’impose difficilement, plus long sera son succès : les premières bottes parurent dans les collections en 1961 ; elles firent fureur à partir de 1967 et sont toujours en vogue en 1977. Un phénomène de choc suit toujours l’avènement d’une mode vraiment novatrice qui bouleverse le goût et les habitudes, et sa fin est signifiée par son adoption par les couches les plus conservatrices de la société.


La mode : un phénomène socio-économique

Telle que nous venons de la décrire avec ses fluctuations, ses incohérences, sa force juvénile, la mode ne peut être isolée d’un contexte social. Jean Stoetzel écrit à ce propos : « La mode est peut-être celui des phénomènes collectifs qui nous apporte le plus immédiatement [...] la révélation qu’il y a du social dans nos comportements » (la Psychologie sociale). Elle intéresse à la fois l’individu et les groupes sociaux, et, dans les deux cas, elle n’existe que parce qu’il y a réaction de l’individu au monde extérieur ou de groupe à groupe, ou encore entre les membres d’un même groupe, car, selon R. König, « on imite dans le cadre d’un lieu social préexistant ». L’absence de ces conditions priverait, par exemple, de toute mode un Robinson Crusoé moderne. Pour H. Spencer (1820-1903), la mode participe du rituel, mais elle se distingue cependant du cérémoniel, car, à l’inverse de celui-ci, elle tend à atténuer les différences : c’est une imitation de rivalité qui tend à l’égalité ; pour A. L. Kroeber, c’est un changement purement gratuit, alors que, pour J. C. Flügel, c’est une imitation d’un modèle supérieur, mais avec le désir de se distinguer, « car il y a rivalité sexuelle et sociale ». Cette contradiction apparente entre l’effort d’assimilation à un groupe et celui de s’en démarquer satisfait, selon Georg Simmel (1858-1918), « le désir de réunion, de communauté avec les autres et celui de l’isolement, de la différenciation ». R. König ne voit pas là non plus une opposition fondamentale : « Se distinguer et s’intégrer dans un groupe social ne s’excluent pas » (Sociologie de la mode). Le plus souvent, la différenciation n’outrepasse pas certaines normes conventionnelles : on s’intègre à un groupe tout en en sollicitant l’approbation et même l’admiration.

La mode, chez l’individu, est, comme tout langage, au service de l’expression de soi. L’impact de cette formule sur le public féminin des journaux de mode est lié à l’illusion d’éternel recommencement que la mode procure. Derrière cet aspect factice se cachent des motivations plus profondes qui appartiennent à l’inconscient : l’intégration à un groupe est en soi sécurisante ; mais l’originalité poussée jusqu’à l’extravagance pour se distinguer des autres peut refléter un caractère asocial. L’antimode participe de cet état d’esprit.

Le comportement individuel à l’égard de la mode est aussi conditionné par l’âge, le milieu familial et le milieu professionnel : la haute bourgeoisie, si elle accepte certaines audaces de la mode, n’en reste pas moins fidèle à une élégance traditionnelle, l’artiste affecte toujours une négligence recherchée, et la petite bourgeoisie observe un juste milieu dans sa tenue. Le niveau culturel intervient également : certaines recherches vestimentaires restent incomprises faute d’une culture suffisante, sinon pour les approuver, du moins pour en comprendre l’esprit.

Phénomène individuel, la mode est aussi « phénomène de masse » : le vêtement, qui a valeur de signe au sein de la société, traduit toute une symbolique. Il est communication.

Prolongement de la personne physique, il joue le rôle d’attribut hiérarchique au sein de la société : attribut de fonction, comme l’uniforme ou l’habit religieux ; attribut du rang social, comme en témoignent ces quelques lignes écrites à propos de la mode dans la Presse du 27 avril 1839 : « La Chaussée d’Antin propose, le faubourg Saint-Germain consacre, le Marais exécute et enterre. » S’il est attribut de fonction, le vêtement, apparenté au cérémonial, ne suscite dans la masse ni imitation ni rivalité, mais, s’il est attribut du rang social, il provoque alors une vive émulation en vue de s’approprier les signes d’une position sociale supérieure. Cette théorie de l’insertion d’un groupe social inférieur à un groupe social supérieur a été défendue par H. Spencer et ses disciples.

Plus une classe supérieure est forte et structurée, plus grande est sa force d’attraction sur les autres : pendant des siècles, la mode est restée associée au pouvoir : Louis XIV, Napoléon Ier, Napoléon III, pour ne citer que ceux-ci, ont joué le rôle d’arbitres en ce domaine ; la mode espagnole prévalut en Europe sous Charles Quint, et la mode italienne sous la Renaissance. Les rivalités sur le plan vestimentaire s’exerceront d’abord au sein même des classes au pouvoir : les courtisans faisaient assaut d’élégance autour du monarque ; le peuple, tout occupé qu’il était à gagner péniblement de quoi subsister, était loin de ces questions.

L’apparition d’une classe moyenne, incarnée par la bourgeoisie marchande au Moyen Âge, transforma ces rivalités internes en une rivalité de classes : la bourgeoisie essaya d’égaler les gens de cour par la richesse de l’habillement. Les lois somptuaires furent édictées pour mettre un frein à ces débordements (v. habillement).

La bourgeoisie industrielle du xixe s. ne dérogea pas à cette règle, mais sa mode vestimentaire traduisit le souci primordial de la respectabilité. Un conservatisme prudent l’éloigna du style dandy autant que du style artiste.