Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mochica (suite)

La vie économique

À l’aide du bâton à fouir et de la houe (jamais les peuples de l’ancien Pérou ne connurent la charrue ni même l’araire), le paysan mochica cultivait le maïs, le coton, le haricot, l’arachide, la pomme de terre, le manioc doux, le piment ainsi qu’un certain nombre de fruits. Rendues nécessaires par la rareté des surfaces cultivables, situées au débouché des petites vallées, les techniques d’irrigation artificielle atteignirent alors un grand développement ; l’aqueduc d’Ascope, dans la vallée de Chicama, a 1 400 m de long et 15 m de haut ; 785 000 m3 de matériau entrèrent dans sa construction ; dans la même région, le canal de La Cumbre, encore utilisé actuellement, court sur 113 km. Pour fertiliser la terre, les paysans employaient le guano, fiente des oiseaux de mer, qu’ils allaient chercher sur des barques de roseaux dans les îles au large de la côte. C’est ainsi que, sur l’île Macabí, au large de la vallée de Chicama, on a retrouvé des objets mochicas, restes probables d’offrandes aux divinités agraires, enfouis à plusieurs mètres de profondeur dans le guano durci.

Les Mochicas pratiquaient aussi la pêche au filet et à l’hameçon, sur des embarcations de roseaux identiques à celles qu’utilisent aujourd’hui les pêcheurs de Huanchaco. Ils chassaient l’otarie, le cervidé et les oiseaux. Il semble, toutefois, que cette dernière activité ait été réservée plutôt aux personnages importants, de caste noble ou guerrière, à titre plus sportif qu’utilitaire.

Enfin, les hommes avaient domestiqué le lama des Andes, utilisé pour descendre jusqu’à la côte les produits des hautes terres, le cochon d’Inde et le chien. D’autres espèces plus lointaines — perroquets, singes, voire ocelots — vivaient en animaux familiers dans les maisons. Cela, de même que l’usage de plumes multicolores d’oiseaux tropicaux pour orner les vêtements, prouve que les Mochicas, dès le ive s., commerçaient avec des régions fort éloignées de leurs petites vallées côtières et d’accès difficile, telle la forêt amazonienne.


L’organisation sociale

L’édification de vastes ensembles architecturaux planifiés, l’irrigation des terres et la répartition des biens de consommation n’ont été rendues possibles que par une rigoureuse division du travail, régie et dominée par un pouvoir puissant. Il semble que ce pouvoir fut le privilège de la classe sacerdotale, classe oisive entretenue par le peuple paysan et servie par une caste de nobles guerriers. Toute cette hiérarchie sociale est reflétée dans la céramique par les différences du vêtement, très varié suivant qu’il s’agit de guerriers au combat, de prêtres, de paysans au travail ou de femmes, simples servantes des précédents. Aux ornements compliqués des premiers s’oppose la simple chemise de coton de l’homme soignant son lama ou cultivant la terre, ou la tunique sans ornement de la femme filant le coton.

Enfin, d’autres représentations peintes ou modelées dans l’argile montrent des esclaves ou des prisonniers, nus, les bras attachés et la corde au cou, emmenés par leurs vainqueurs lorsqu’ils ne sont pas soumis à de féroces mutilations. La fréquence des scènes de combat permet de supposer que les Mochicas ne formaient pas un peuple à proprement parler, mais un groupe de petites principautés, sans cesse aux prises entre elles pour la conquête d’une précaire hégémonie locale.


Les dieux et les hommes

Les représentations de la céramique mettent souvent en scène des personnages aux vêtements somptueux, aux coiffures d’apparat compliquées et dont une partie du corps possède des traits animaux. Ici les longs crocs d’un félin, là le museau effilé du renard, les grandes pinces d’un crabe en guise de bras ou les ailes de l’aigle de mer. Soit opposés les uns aux autres en de féroces combats, soit mêlés à la vie de l’homme dans des cérémonies où leur sont offerts sacrifices et offrandes, ces êtres fabuleux, qu’ils soient dieux ou prêtres masqués (selon les diverses interprétations), reflètent l’existence d’un monde surnaturel quelque peu effrayant, d’une religion et d’un rituel compliqués.

Un être domine, tant par le nombre des scènes où il figure que par la variété de ses attitudes. De sa gueule sortent les longues canines du jaguar, sa tête porte une énorme coiffure en forme de demi-lune, et une ceinture représentant un serpent à deux têtes lui entoure la taille. Il sort généralement vainqueur des combats qui l’opposent aux autres monstres, et c’est à lui que sont offerts les sacrifices et les offrandes les plus nombreux. Ai-Apaec (« Celui qui fait ») serait, d’après Rafael Larco Hoyle, un des meilleurs spécialistes de la culture mochica, la divinité suprême. Dieu du ciel, de la lune, des étoiles, il règne sur le monde animal et végétal, dispense la pluie et symbolise abondance et fertilité.

Le rituel et l’apparat cérémoniels se reflètent en partie dans les pratiques funéraires. Allongés dans des fosses rectangulaires aux parois de briques crues maçonnées, les personnages importants, richement vêtus, sont entourés de leurs armes ou de leurs ustensiles familiers ; près d’eux sont déposées des calebasses contenant du mais ou des haricots et de nombreuses pièces de céramique ornementale. Dans la bouche, le mort a une plaquette d’or ou d’argent enveloppée de tissu. Les âmes des morts, selon la croyance mochica, s’en allaient sur les îles au large de la côte, chevauchant le dos des « loups de mer », les otaries, fréquentes le long du rivage.


Les arts et les techniques

Autour des temples, à proximité des grandes pyramides d’adobe, tout un petit peuple d’artisans spécialisés se consacrait à la poterie, à la métallurgie ou au tissage.

C’est dans l’art de la céramique que les Mochicas ont le mieux exprimé leur esprit créateur et leur sens artistique. À travers la ronde-bosse ou le décor peint, les céramistes ont su tout représenter, depuis les êtres vivants ou les plantes qu’ils voyaient dans la mer ou le désert jusqu’aux plus minutieux détails de la vie quotidienne. Les représentations humaines, en particulier, offrent une extraordinaire diversité de types et d’expressions, y compris dans l’hallucinante danse macabre des mutilés et des morts. Cet art réaliste culmine avec les fameuses têtes modelées en ronde bosse, dont les expressions sont si variées et criantes de vérité qu’on les interprète comme de véritables portraits. La céramique mochica est enfin un élément de différenciation chronologique : Larco Hoyle a divisé la culture mochica en cinq périodes, d’après l’évolution des formes et du décor des poteries.

Les Mochicas furent aussi des métallurgistes habiles, travaillant l’or, l’argent et le cuivre. Comme tisserands, ils n’atteignirent pas la maîtrise des Indiens de Paracas et de Nazca*, qui occupaient la côte sud aux mêmes époques ; en outre, l’humidité relative de la côte nord a mal conservé les tissus, aux motifs décoratifs assez simples.