Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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miniature (suite)

Parallèlement à la production des psautiers apparaît celle des bréviaires. À Paris, maître Honoré en exécute un pour Philippe le Bel (B. N.). Seul patron d’atelier connu pour la fin du xiiie s., on sait qu’il enlumina également pour le roi, en 1288, le manuscrit du Décret de Gratien, conservé à la bibliothèque de Tours. Au xive s., un autre chef d’atelier, Jean Pucelle*, apporte d’importantes nouveautés dans l’enluminure parisienne. Au remplacement du parchemin par le vélin, plus souple et plus maniable, Pucelle ajoute les fonds colorés à semis de fleurs et motifs de carrelage, ainsi qu’un modelé des personnages proche du camaïeu, parfois traité en grisaille ; pour le reste, les ornements architecturaux prédominent. Cet art gracieux devait particulièrement plaire à la cour. On attribue à Jean Pucelle* et à son atelier de nombreux ouvrages, parmi lesquels le bréviaire de Belleville (v. 1325, B. N.), la bible de Robert de Billyng (1327, B. N.) et le livre d’heures de Jeanne d’Évreux, aux ornements traités en grisaille (musée des Cloîtres, New York). Les autres enlumineurs français s’inspireront de cette manière jusqu’au début du xve s. Des ouvrages d’une source moins certaine, mais très proches par la qualité et l’inspiration, sont le livre d’heures du maréchal de Boucicaut (musée Jacquemart-André, Paris), le Térence des ducs (bibliothèque de l’Arsenal), le Boccace de Jean sans Peur.

Dès ce moment-là, dans les ateliers parisiens, la miniature se détache de l’influence du vitrail au profit d’un style que l’on n’hésite pas à qualifier de maniériste (Jean Porcher) tant la page se peuple de « drôleries », d’accumulations étranges de petits motifs floraux, animaux ou humains. Au moment où Charles V monte sur le trône, en 1364, l’école de Paris est une des plus florissantes d’Occident, mettant à la mode un style gothique aussi international que le fut le style roman. Mais des peintres flamands viennent souvent travailler à Paris, apportant dans les ateliers un naturalisme plus franc. Parmi les portraits qui se glissent au milieu de scènes mythologiques et religieuses, ceux de Charles V lui-même, homme maigre au regard intelligent : ce roi rassembla dans sa bibliothèque une importante collection de manuscrits, les uns anciens, les autres exécutés sous son règne. L’Hommage de Raoul de Presles (B. N.) et surtout le livre du Sacre (1365, Londres, British Museum) sont une sorte de reportage sur un événement important ; les Grandes Chroniques de 1375 (B. N.) montrent ce goût nouveau de l’exactitude et d’une réalité actualisée.

Importantes au xive s. sont aussi la bible de Jean le Bon enluminée par Jean de Sy (B. N.), une Cité de Dieu de saint Augustin, les chansons et poésies de Guillaume* de Machaut, où les personnages semblent évoluer dans un décor de théâtre qui annonce esthétiquement l’abolition imminente du fond de l’image par la perspective. Employées dès le début du siècle par des peintres italiens tels que Pietro Lorenzetti*, les scènes de plein air, affranchies du cadre architectural, vont apparaître timidement. Ces nouvelles possibilités de la miniature s’épanouiront et s’embelliront à la faveur du mécénat de Jean de Berry*, frère de Charles V, qui fit particulièrement travailler les peintres flamands de Paris. Les plus connus sont Jacquemart de Hesdin, continuateur de Jean Pucelle avec les miniatures raffinées des Très Belles Heures (Bruxelles), et les frères de Limbourg, qui peignent les Très Riches Heures (Musée Condé, Chantilly) avant 1416, avec un raffinement d’orfèvre et une fraîcheur d’observation toute neuve.

Au milieu du xve s., bien que Paris, fondant les influences des Flandres et de l’Italie, garde sa prépondérance, d’autres centres se font remarquer : l’école de la Loire est le nouvel axe de la vie culturelle française sous Charles VII et Louis XI, avec l’Anjou du roi René*, et sans oublier l’école du Midi dont le centre est Avignon. Si la marque parisienne reste discernable dans les Heures de Bedford (British Museum), les peintures des Heures de Rohan (B. N.) se distinguent par leur raffinement étrange, œuvre d’un maniérisme tout gothique qui précède pourtant de peu les miniatures de Jean Fouquet, d’orientation « renaissante », et le manuscrit du Cœur d’amour épris (Vienne, Nationalbibliothek), autrefois attribué au roi René lui-même, à la fois peintre et poète. Les deux volumes des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (B. N.), commencés sous Jean de Berry par un peintre inconnu, furent achevés vers 1470 par le Tourangeau Fouquet*, auteur des Heures d’Étienne Chevalier (Chantilly, musée Condé), qui forma deux élèves à leur tour célèbres. L’un, Jean Colombe, de Bourges, qui travailla à une Histoire de la destruction de Troie la Grande (B. N.), où il montre sa curiosité de l’antique. L’autre, Jean Bourdichon, maître mondain, aux travaux « léchés ». Selon Émile Mâle, « Bourdichon avait à Tours un atelier important et de nombreux élèves de valeur très inégale. Chez lui, la décoration des livres d’heures ressemblait à une industrie. Les acheteurs en trouvaient toujours d’achevés et sans doute à tous les prix ». Peintre notamment des Heures d’Anne de Bretagne (B. N.), cet artiste académique et facile mourut en 1521 soixante-dix ans après l’invention de l’imprimerie, à la concurrence de laquelle il avait su tenir tête.

La prépondérance de la miniature française s’est donc affirmée aux xive et xve s. L’art anglais postérieur à la guerre de Cent Ans reste très proche de l’art français. Un des chefs-d’œuvre du début du xive s. est le psautier de la reine Mary (British Museum), offert à Marie Tudor, qui présente, à côté de portraits de saints, de nombreuses scènes de la vie profane. L’Ancien Testament ne contient pas moins de deux cent vingt-trois dessins à la plume ; on trouve, adjoints au Nouveau Testament, une vie des saints, un calendrier, un bestiaire. La seule école remarquable à cette époque est celle d’« East-Anglia » (comtés de Norfolk et de de Suffolk), dont les principaux centres sont Norwich, Ely, Bury Saint Edmunds. Ces ateliers produisent de nombreux psautiers, tel le psautier de Gorleston, qui dépasse les autres par la fertilité de son invention et par son réalisme extrême, alliés à des couleurs d’une certaine préciosité. C’est la guerre civile, la peste noire et la prédilection des amateurs anglais pour les ateliers parisiens qui entraîneront une certaine décadence de la miniature anglaise.