Miller (Henry) (suite)
La guerre le force à rentrer aux États-Unis. Il s’installe à Big Sur, en Californie, où il vit dans une retraite de sage, avec sa quatrième épouse et ses enfants. Il y écrit le Temps des assassins, essai sur Rimbaud, et le Sourire au pied de l’échelle (1948), étude sur l’ambiguïté du cirque et des clowns. En 1952, les Livres de ma vie révèlent l’importance de l’ésotérisme et du mysticisme dans son inspiration. Big Sur et les oranges de Jérôme Bosch (1956) explicite cette aspiration à un retour à l’état paradisiaque. Cependant, dans une trilogie, la Crucifixion en rose, il reprend, sur un mode plus romanesque que lyrique, les épisodes autobiographiques des « Tropiques » : Sexus (1949), Plexus (1952 en fr., 1953 en angl.), Nexus (1960).
Sa maison de Big Sur est devenue lieu de pèlerinage pour les « hippies ». L’évangélisme rebelle de Miller se rattache à la tradition anarchiste américaine du « retour à la nature ». Il est l’intermédiaire entre H. Thoreau, W. Whitman et les « hippies ». Cet « expatrié intégral » est en fait très américain. Son individualisme radical s’inspire du transcendantalisme. Il déclare avec Emerson que « Dieu se trouve en chaque homme ». Comme Thoreau, il veut échapper à la servitude anonyme que la société moderne fait peser sur l’individu. Considérant le refoulement sexuel comme l’aspect le plus traumatisant de la répression sociale, il fait de la liberté sexuelle le symbole même de la libération. Comme D. H. Lawrence, il cherche dans la sexualité les sources d’une vitalité qui remonterait au grand Pan. Son obscénité est une provocation délibérée. Mais c’est l’« âme universelle » d’Emerson qu’il cherche dans la communion sexuelle.
Cet anarchiste, accusé de pornographie, est au fond un moraliste. Mais sa pensée, désordonnée, nourrie de sources hétéroclites, n’est pas originale. Avec l’âge, sa prolixité, ses répétitions passionnées, sa tendance à prêcher deviennent lassantes (Virage à 80, 1973). Le meilleur, on le trouve — surtout dans les « Tropiques » — dans des pages d’une puissance poétique incomparable, où Miller, inspiré par un souffle venu des grandes profondeurs biologiques, semble en communication avec la vie même. Son priapisme païen n’est pas un érotisme vulgaire. Comme chez Nietzsche, il relève de la conviction que la civilisation est soumise depuis trop longtemps à l’ordre d’Apollon. Pour se libérer, elle doit choisir le désordre et entendre l’invitation aux saturnales qu’est l’évangile dionysiaque de Henry Miller.
J. C.
A. Perlès, My Friend, Henry Miller (New York, 1956, 2e éd., 1962 ; trad. fr. Mon Ami Henry Miller, U. G. E., 1972). / F. J. Temple, Henry Miller (Éd. universitaires, 1965). / G. Wickes, Henry Miller (Minneapolis, 1966). / W. A. Gordon, The Mind and Art of Henry Miller (Baton Rouge, Louisiane, 1967). / G. Robitaille, le Père Miller, essai indiscret sur H. Miller (Losfeld, 1971). / Brassaï, Henri Miller grandeur nature (Gallimard, 1975).