Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Miller (Henry) (suite)

La guerre le force à rentrer aux États-Unis. Il s’installe à Big Sur, en Californie, où il vit dans une retraite de sage, avec sa quatrième épouse et ses enfants. Il y écrit le Temps des assassins, essai sur Rimbaud, et le Sourire au pied de l’échelle (1948), étude sur l’ambiguïté du cirque et des clowns. En 1952, les Livres de ma vie révèlent l’importance de l’ésotérisme et du mysticisme dans son inspiration. Big Sur et les oranges de Jérôme Bosch (1956) explicite cette aspiration à un retour à l’état paradisiaque. Cependant, dans une trilogie, la Crucifixion en rose, il reprend, sur un mode plus romanesque que lyrique, les épisodes autobiographiques des « Tropiques » : Sexus (1949), Plexus (1952 en fr., 1953 en angl.), Nexus (1960).

Sa maison de Big Sur est devenue lieu de pèlerinage pour les « hippies ». L’évangélisme rebelle de Miller se rattache à la tradition anarchiste américaine du « retour à la nature ». Il est l’intermédiaire entre H. Thoreau, W. Whitman et les « hippies ». Cet « expatrié intégral » est en fait très américain. Son individualisme radical s’inspire du transcendantalisme. Il déclare avec Emerson que « Dieu se trouve en chaque homme ». Comme Thoreau, il veut échapper à la servitude anonyme que la société moderne fait peser sur l’individu. Considérant le refoulement sexuel comme l’aspect le plus traumatisant de la répression sociale, il fait de la liberté sexuelle le symbole même de la libération. Comme D. H. Lawrence, il cherche dans la sexualité les sources d’une vitalité qui remonterait au grand Pan. Son obscénité est une provocation délibérée. Mais c’est l’« âme universelle » d’Emerson qu’il cherche dans la communion sexuelle.

Cet anarchiste, accusé de pornographie, est au fond un moraliste. Mais sa pensée, désordonnée, nourrie de sources hétéroclites, n’est pas originale. Avec l’âge, sa prolixité, ses répétitions passionnées, sa tendance à prêcher deviennent lassantes (Virage à 80, 1973). Le meilleur, on le trouve — surtout dans les « Tropiques » — dans des pages d’une puissance poétique incomparable, où Miller, inspiré par un souffle venu des grandes profondeurs biologiques, semble en communication avec la vie même. Son priapisme païen n’est pas un érotisme vulgaire. Comme chez Nietzsche, il relève de la conviction que la civilisation est soumise depuis trop longtemps à l’ordre d’Apollon. Pour se libérer, elle doit choisir le désordre et entendre l’invitation aux saturnales qu’est l’évangile dionysiaque de Henry Miller.

J. C.

 A. Perlès, My Friend, Henry Miller (New York, 1956, 2e éd., 1962 ; trad. fr. Mon Ami Henry Miller, U. G. E., 1972). / F. J. Temple, Henry Miller (Éd. universitaires, 1965). / G. Wickes, Henry Miller (Minneapolis, 1966). / W. A. Gordon, The Mind and Art of Henry Miller (Baton Rouge, Louisiane, 1967). / G. Robitaille, le Père Miller, essai indiscret sur H. Miller (Losfeld, 1971). / Brassaï, Henri Miller grandeur nature (Gallimard, 1975).

Miller (Arthur)

Écrivain américain (New York 1915).


Arthur Miller a été, avec Tennessee Williams, le principal dramaturge américain des vingt années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Mais cet intellectuel juif, qui exprime, dans une langue claire et neutre, des idées libérales et réformatrices, semble surtout apporter l’écho du New Deal et des idéologies sociales de l’avant-guerre. Auteur conventionnel et engagé, il semble vieillir aussi mal que les sympathies marxistes qu’il a un moment affichées. Le thème fondamental de son œuvre est l’effort de l’homme pour être reconnu et accepté dans la société. Il se veut dramaturge populaire et fait un peu figure de Brecht américain : « Je considère que le théâtre est un art populaire. C’est un art primitif, fait pour le peuple. Il doit être immédiatement compréhensible. Il faut un degré minimum de communication qui élimine l’obscurité. » Miller se situe à l’opposé du « théâtre de l’absurde » et critique Ionesco, Beckett, Albee.

Miller naît dans une famille d’industriels, ruinée par la crise de 1929. Il doit travailler pour payer ses études à l’université de Michigan. En 1936, à l’université, il gagne un prix pour sa pièce The Grass still grows. Mais c’est la lecture d’Ibsen et de Dostoïevski qui a une influence déterminante sur sa carrière. En 1938, il s’associe à un projet de théâtre fédéral américain, qui échoue faute de crédits. Il travaille plusieurs années pour la radio, puis écrit un reportage sur la vie militaire, Situation normal (1944). En 1945, il publie un roman sur l’antisémitisme, Focus. Les illustrations idéologiques de l’après-guerre accentuent son engagement social : « Le drame social, tel que je le conçois, est la voie royale ; le drame antisocial est une impasse. Je ne peux pas prendre au sérieux un drame psychologique en soi. » Dès sa première pièce, The Man who had All the Luck (1944), sur le thème de la culpabilité sociale d’un homme qui a trop réussi, on sent un effort, comme chez Ibsen son maître, pour combiner le drame subjectif de la famille et le drame objectif de l’Histoire. « Le problème, écrit-il, est d’écrire à la fois sur des personnes privées et d’élever l’expression à un niveau poétique, c’est-à-dire social. » Pour lui, la société est reflétée dans la microsociété familiale.

All my Sons (Tous mes fils), en 1947, est son premier succès. C’est une tragédie très classique, à la Ibsen ou à la Sophocle. Un fils enquête sur la culpabilité de son père, qui se suicide, convaincu que toutes ses victimes sont « ses fils ». En 1949 est créée à Broadway sa pièce la plus célèbre, Death of a Salesman (Mort d’un commis voyageur). Willy Loman, Américain moyen, a accepté le rêve américain. Il croit réussir en étant droit, bien pensant, économe. Mais la porte du succès lui est claquée au nez. Avec son ironie dramatique, la mort du commis voyageur est pathétique. Sous la satire, il y a un appel à la miséricorde. La pièce, jouée pendant 742 représentations consécutives, reçut plusieurs prix. Cependant, Miller adaptait la pièce d’Ibsen Un ennemi du peuple (1950), qui pose, comme il le dit dans la préface, « le problème de savoir si les garanties démocratiques protégeant les minorités politiques doivent être suspendues en période de crise ».