Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Milan (suite)

Le Milanais

Fruit de la conquête du contado par Milan, conquête prolongée au-delà des limites de ce dernier par l’attribution au profit des Torriani d’abord, des Visconti* ensuite de nombreuses seigneuries urbaines au cours des xive et xve s., le Milanais se constitue progressivement en État sous l’impulsion de ces derniers et notamment de Mathieu (Matteo) Visconti. Celui-ci reçoit en effet le vicariat impérial pour Milan en juillet 1311 ; il s’empare entre 1313 et 1315 de Pavie, Tortone, Alexandrie et Verceil, tout en se faisant reconnaître seigneur de Bergame, Côme et Novare et en faisant attribuer la seigneurie de Plaisance à son fils aîné Galéas. Ralentie par les difficultés de ce dernier (1322-1328), la constitution de l’État milanais reprend sous l’impulsion d’Azzon, qui devient seigneur de Côme en 1335, puis de Verceil. Celui-ci étend alors son autorité à Bergame, Crémone, Novare, Pavie, Plaisance et Lodi avant de s’emparer de Brescia en 1337. Azzon, qui a fait adopter par les villes lombardes dès 1330 des statuts définissant dans chacune d’elles sa seigneurie dans les mêmes termes qu’à Milan, jette les bases de l’État milanais. Celui-ci englobe temporairement des villes situées hors de Lombardie telles que Bologne en 1350 et, en 1402, Gênes surtout, dont la possession donne enfin un accès à la mer entre 1353 et 1356 à cet État jusque-là purement continental. Enlevant aux Della Scala (ou Scaligeri) leurs seigneuries de Vérone et de Vicence en 1387, puis aux Carrare celle de Padoue en 1388, s’assurant même momentanément celle de Pise de 1399 à 1402 et celle de Pérouse en 1400, Jean-Galéas Visconti achève de constituer le Milanais en principauté lorsque l’empereur Venceslas de Luxembourg (1378-1419) lui reconnaît successivement les titres de duc de Milan en 1395 et de Lombardie en 1397.

Dès lors, Milan n’est plus en effet la ville dominante d’une nébuleuse urbaine formée d’agglomérations théoriquement autonomes, mais la capitale d’un puissant État que Jean-Galéas dote d’institutions centrales : la segretaria ducale (secrétairerie ducale), qui réunit les ministres du prince ; le Magistrato delle entrate, doté de pouvoirs juridictionnels en matière financière. Devenus le conseil secret et le conseil de Justice, ces deux organes fusionnent en 1499 en un Sénat qui survit jusqu’en 1786. La bourgeoisie milanaise possède de riches terroirs agricoles, valorisés par ses investissements fonciers, qui assurent le drainage et l’irrigation de la plaine du Pô grâce à de nombreux canaux dont le plus célèbre est le Naviglio Grande, creusé à partir de 1177 ; elle recrute par ailleurs dans les campagnes la main-d’œuvre nécessaire à l’essor des industries urbaines. Aussi est-elle favorable au développement de l’État « viscontéen », puis « sforzéen », au contraire de l’aristocratie féodale, que cette évolution prive de tout pouvoir. Le duché de Milan étend son protectorat aux derniers petits États urbains de la plaine du Pô (Ferrare, Mantoue) et incorpore temporairement Gênes (1421-1436 et 1464-1478) ; il fait équilibre en Italie du Nord à la république de Venise, avec laquelle Francesco Sforza signe en 1454 la paix de Lodi grâce à l’habile médiation de son allié Cosme de Médicis.

Lointain héritier de Valentine Visconti (fille aînée de Jean-Galéas), Louis XII* intervient en 1500 contre un Sforza usurpateur, Ludovic le More. Vainqueur à Novare le 10 avril, il enlève le Milanais (diminué de Lugano, de Locarno et de Bellinzona, qu’il abandonne finalement aux Suisses pour prix de leur soutien). Vaincu à son tour à Novare en juin 1513, Louis XII perd le Milanais, que reconquiert François Ier par sa victoire de Marignan le 14 septembre 1515 avant d’en être définitivement évincé par Charles Quint. Ce dernier, qui l’emporte à Pavie le 24 février 1525, contrôle ce territoire traversé par la seule route qui lui permette, par le relais de la Méditerranée et de Gênes, de maintenir des relations relativement rapides entre ses possessions ibériques et germaniques. Aussi, après avoir toléré la restauration de ses vassaux — les Sforza (Maximilien [1512-1515]) et François II (1521-1524, 1525-26 et 1529-1535) —, Charles Quint annexe-t-il le duché aux possessions des Habsbourg avant de le céder, en 1540, à son fils, le futur Philippe II, et de le doter d’une constitution définitive le 27 août 1541. Possession espagnole administrée par un gouverneur qui représente le roi et par un archichancelier qui préside le Conseil secret, aidé par un Sénat, le Milanais est cédé par le traité de Rastatt du 6 mars 1714 aux Habsbourg d’Autriche et amputé de ses confins occidentaux au profit des États sardes par les traités de Vienne en 1738 et de Worms en 1743. Décapité politiquement par la suppression du Sénat en 1786, mais enrichi par la politique éclairée de Vienne qui institue en 1765 un Conseil suprême de l’économie et qui favorise la naissance d’une élite ouverte aux idées nouvelles, telle la Société patriotique présidée par le conseiller Pietro Verri (1728-1797), qui s’intéresse à l’amélioration des techniques agricoles, doté d’une université de Pavie illustrée par le biologiste Lazzaro Spallanzani (1729-1799) et Alessandro Volta*, le Milanais accueille avec réticence les Français en 1796. Il est le noyau de la république Cisalpine créée en 1797, puis de la République italienne en 1802 et du royaume d’Italie en 1805. Il pèse d’un poids prépondérant dans la vie politique et économique de la péninsule, ce qui en rend difficile l’administration par les Habsbourg entre 1815 et 1859, date de son incorporation au royaume de Sardaigne, bientôt proclamé royaume d’Italie en 1861.

P. T.

➙ Gênes / Genève / Italie / Lombardie / Médicis / Sforza / Visconti.

 Bonvesin da Riva, De magnalibus urbis Mediolani (Rome, 1898 ; trad. ital. Le Meraviglie di Milano, Milan, 1921). / J. Luchaire, les Démocraties italiennes (Flammarion, 1915). / F. Chabod, Lo Stato di Milano nell’ impero di Carlo Quinto (Rome, 1934). / C. A. Vianello, Il Settecento milanese (Milan, 1937). / A. Visconti, Storia di Milano (Milan, 1937 ; 2e éd., 1952). / G. Barbieri, Economia e politica nel ducato di Milano, 1386-1535 (Milan, 1938) ; Origini del capitalismo lombardo. Studi e documenti sull’ economia milanese del perioda ducale (Milan, 1961). / M. Roberti, Milano capitale napoleonica, la formazione di uno stato moderno (Milan, 1946-47 ; 3 vol.). / F. Cazzamini-Mussi, Milano durante la dominazione spagnola, 1525-1706 (Milan, 1947). / C. M. Cipolla, Mouvements monétaires dans l’État de Milan, 1580-1700 (A. Colin, 1952). / C. Violante, La Società milanese nell’ età precomunale (Bari, 1953) ; La Pataria milanese e la riforma ecclesiastica (Rome, 1955). / Fondazione Treccani degli Alfieri per la Storia di Milano, Storia di Milano (Milan, 1953-1966 ; 17 vol.). / A. Deroo, Saint Charles Borromée, Cardinal réformateur, docteur de la pastorale (Éd. Saint-Paul, 1963). / F. Fonzi, Crispi e lo « Stato di Milano » (Milan, 1965). / E. Dalmasso, Milan, capitale économique de l’Italie (Ophrys, Gap, 1971).