Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Michel-Ange (suite)

Débuts et premiers chefs-d’œuvre

C’est au début de sa carrière, alors qu’il était encore à l’« Académie », qu’il convient de placer un bas-relief encore confus, le Combat des centaures et des Lapithes (Florence, Casa Buonarroti), et en contrepoint — paganisme-christianisme —, la Vierge à l’escalier (ibid.) pleine de sérénité, où il reconnaît, dans la technique du relief, sa dette envers son grand prédécesseur Donatello*. Dès le début, Michel-Ange oscille donc entre une tendance dynamique et dramatique et une tendance antithétique, encline à la douceur et à une certaine suavité, où l’on perçoit des échos de Léonard* de Vinci. On a retrouvé une autre œuvre de jeunesse, un crucifix en bois commandé par le prieur de San Spirito à Florence, dont certains discutent l’authenticité ; ce serait la seule sculpture à laquelle l’artiste aurait ajouté une polychromie, procédé auquel il se refusera désormais, car il préfère garder la candeur brillante ou mate du marbre. En 1492, à la mort de Laurent le Magnifique, Michel-Ange quitte le palais Médicis et, en 1494, visite Venise et Bologne ; il s’exerce à des études anatomiques sur des cadavres. De retour en 1495 à Florence, il sculpte pour un cardinal un Cupidon endormi, aujourd’hui disparu, mais qui, en raison de sa perfection, fut pris pour un antique. Le cardinal engage le jeune sculpteur à faire le voyage de Rome, et l’atmosphère pesante de Florence ajoute à ce besoin d’évasion. Il semble donc à ce moment que Michel-Ange s’oriente vers une carrière aisée de sculpteur, dans un registre assez ouvert, mais où la mythologie à la mode impose les sujets. Cependant, à Bologne, il a été engagé pour collaborer à la terminaison de l’« arca » de San Domenico, et ces petites statuettes d’un ange agenouillé, de saint Pétrone et de saint Procul révèlent l’influence d’un maître du début du quattrocento, Iacopo* della Quercia, dont Michel-Ange reprend les plis boursouflés et la passion contenue. C’est à la demande d’un cardinal français que Michel-Ange exécute à Rome son premier grand chef-d’œuvre, un de ses ouvrages les plus populaires, la Pietà de Saint-Pierre, défigurée par un attentat en 1972. Le thème et la composition sont insolites, d’origine nordique et non italienne, mais l’artiste lire du marbre un poème exquis et bouleversant. Le pur visage de la Vierge (représentée curieusement très jeune, du même âge que le supplicié) s’incline avec grâce sur le corps abandonné, mais non disloqué d’un Christ beau dans la mort comme un Adonis et dont l’anatomie harmonieuse est mise en valeur par le drapé admirable du grand manteau détaché par la mère douloureuse comme pour en faire un suaire. Ce chef-d’œuvre juvénile, où éclatent la virtuosité du sculpteur et sa sensibilité frémissante, est aussi la seule sculpture que celui-ci ait signée orgueilleusement, sur la lanière qui barre en diagonale la poitrine de la Vierge. À peu près au même moment où il sculpte cette pieuse image, Michel-Ange travaille à la plus païenne de ses figures, un extraordinaire Bacchus ivre (Florence, musée du Bargello), jeune éphèbe titubant dont se moque, dans son dos, un ironique satyreau. L’artiste dépasse dès lors, par l’ardeur, par l’intensité de la vie, ses modèles antiques.

Si les statuettes pour l’autel Piccolomini à la cathédrale de Sienne sont controversées, on fait aujourd’hui l’hypothèse que la Vierge de l’église Notre-Dame de Bruges aurait été primitivement destinée à cet ensemble et que sa date d’exécution se place vers 1500. Le bel ovale du visage prend ici une expression boudeuse. Ce même thème de la Vierge à l’Enfant inspire au sculpteur, sous la forme toujours à la mode en Italie du tondo, composition de forme circulaire, deux œuvres charmantes où il explore (pour n’y plus guère revenir) les possibilités du bas-relief, le tondo Pitti (Bargello) et le tondo Taddei (Londres, Royal Academy), du nom des familles qui en ont passé commande. À la même époque, Michel-Ange se souvient qu’il a appris à peindre et donne sous la même forme circulaire le tondo Doni (Florence, Offices), représentant une Sainte Famille avec un curieux effet de raccourci pour la Vierge accroupie et, à l’arrière-plan, des faunes nus dont la présence dans cette scène religieuse s’expliquerait de façon allégorique (le paganisme cédant la place au christianisme ?). Dans cette première œuvre peinte connue, Michel-Ange montre un étonnant sens du modelé et une recherche originale dans les tonalités. C’est cependant un autre chef-d’œuvre de sculpture qui suivra. De retour à Florence, où une secrète nostalgie le ramènera sans trêve, Michel-Ange tire d’un bloc de marbre, d’abord destiné à une statue de la cathédrale, mais jugé trop mince et abandonné, un gigantesque David (1501-1504 ; la statue a plus de 4 m de haut) dans une nudité héroïque, portant nonchalamment à l’épaule sa fronde, image épanouie de jeunesse victorieuse où l’artiste a surmonté avec brio le manque d’épaisseur du bloc. Le David obtint l’honneur d’être placé devant le Palazzo Vecchio (auj. à l’Accademia). La renommée de Buonarroti fait de celui-ci dès lors l’artiste le plus en vue de Florence. En 1503, la Seigneurie lui commande une grande fresque pour décorer la salle du Conseil : Michel-Ange y traite en groupes tumultueux la Bataille de Cascina, disparue aujourd’hui. En même temps, il se voit confier la tâche prestigieuse de sculpter douze apôtres plus grands que nature pour la cathédrale. Il ne reste de ce grand projet que le Saint Matthieu mal dégagé de sa gangue (Florence, Accademia).

En 1505, le pape, qui est alors le fougueux Jules II (Giuliano Della Rovere), appelle Michel-Ange à Rome et le charge de faire son tombeau. C’est le début d’une longue et douloureuse entreprise qui, comme la chapelle Médicis à Florence, poursuivra et obsédera l’artiste pendant toute sa vie sans trouver une solution digne du dessein initial. Pour le tombeau du pontife, on envisage l’église Saint-Pierre, qui est alors en pleine reconstruction, et même une place d’honneur sous la coupole prévue. Mais Michel-Ange s’attire dès ce moment la haine opiniâtre du grand architecte Bramante*. Cet antagonisme le poursuivra longtemps et n’arrangera pas ses entreprises. Jules II lui-même change d’idées, commande à Buonarroti réticent une statue colossale de lui-même, en bronze, destinée à orner la façade de San Petronio de Bologne et à symboliser la sujétion de la ville au pape. Cette œuvre en bronze, exceptionnelle dans l’œuvre de l’artiste, connaîtra le sort des manifestes politiques : la première rébellion venue, elle sera renversée et fondue.