Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mexique (suite)

La République restaurée et le « porfiriat » (1867-1910)

La République restaurée est menacée d’anarchie par les ambitions de tous les chefs libéraux. Dans un pays ruiné par les guerres, Juárez, puis, après sa mort, Sebastián Lerdo de Tejada (1827-1889) doivent se battre pour sauver l’État. De 1867 à 1872, Juárez noie dans le sang toute opposition. Après sa mort, l’impopulaire Lerdo (1872-1876) semble conduire le pays à la guerre civile ; sa politique anticléricale provoque les soulèvements paysans, tandis que ses rivaux libéraux multiplient les tentatives de coups d’État. Après la guerre de la Réforme, après celle de l’Intervention et de l’Empire, on marche vers la troisième grande guerre civile. C’est alors que Porfirio Díaz (1830-1915) s’empare du pouvoir (1876) pour le conserver jusqu’en 1911 (sauf de 1880 à 1884).

On a donné à ces trente-cinq années le nom de « porfiriat », parce que le général Porfirio Díaz rétablit l’ordre nécessaire à la croissance économique. Le porfiriat est un tournant capital dans l’histoire du Mexique : la fin de la crise politique commencée en 1810, la naissance de l’État moderne, les débuts du développement. Délivré du cancer de l’instabilité politique, le Mexique jouit de la paix ; sa population passe de 9 à 15 millions, les capitaux étrangers affluent, et l’État récupère une autorité disparue avec l’indépendance, convertit les bandits en gendarmes et se donne une administration.

Un tel bilan se traduit en chiffres : 24 000 km de voies ferrées, 22 Mt de pétrole en 1921, sur la lancée du porfiriat. Naissance de l’industrie, prospérité financière, banques, voies ferrées, commerce en expansion, voilà pour l’actif. La devise d’Auguste Comte est appliquée au Mexique : « Ordre et Progrès. » Mais il y a un passif qui pèse lourd.

En 1910, moins de 1 000 grands propriétaires emploient 3 millions d’ouvriers agricoles, les péons, soit la moitié de la population rurale active. La révolution dans les campagnes au temps du porfiriat, c’est la modernisation. On a trop insisté sur la médiocrité économique de la hacienda, confondant celle-ci avec le latifundium inexploité par un propriétaire absentéiste, alors qu’elle devient une plantation capitaliste moderne. Cette domination absolue de la grande propriété qui progresse aux dépens des paysans est le résultat d’une longue histoire où la géographie a son mot à dire. La hacienda est une unité économique logique qui s’adapte aux conditions naturelles.

Ce qui vaut pour la campagne vaut pour la nation ; il y a progrès rapide, c’est-à-dire aggravation des problèmes, approfondissement du fossé qui sépare le Mexique en gestation de la masse des futurs marginaux. Cette croissance, qui n’est pas unique en Amérique latine, rend possible l’apparition d’une mentalité révolutionnaire, car le porfiriat est politiquement épuisé et tient surtout par la faiblesse de l’opposition.


La révolution (1910-1940)


De 1910 à 1920

Trente-cinq ans de pouvoir personnel ont érodé progressivement la stabilité politique. Le grand âge de Porfirio Díaz, les ambitions des classes moyennes montantes, le problème de la succession, qui divise le groupe dirigeant, la conjoncture économique mondiale expliquent la chute de don Porfirio, accélérée par le mécontentement agissant des États-Unis face à la politique récente du régime.

La révolution surgit quand on l’attend le moins, à l’appel d’un grand propriétaire idéaliste, Francisco Madero (1873-1913). La classe moyenne, encore peu nombreuse, engendrée par le porfiriat, aspire à la démocratie politique. La dernière tentative de Porfirio Díaz pour se faire réélire à la présidence conduit à l’insurrection armée (fin 1910), qui, presque sans combats, donne la victoire aux partisans de Madero en mai 1911.

Ce dernier, très populaire, veut changer la structure politique du pays malgré l’opposition des partisans de l’ancien régime, qui n’a perdu que son symbole, le vieux dictateur, parti, respecté de tous, mourir en exil à Paris. Dans le même temps, il est harcelé par les rébellions paysannes de Pascual Orozco (1882-1915) dans le Nord et d’Emiliano Zapata (1879-1919) dans le Sud. Le nouveau gouvernement est pourtant capable d’écraser les insurgés et de mater les généraux putschistes, jusqu’au jour où Madero tombe victime d’un coup d’État de généraux porfiristes soutenus par les États-Unis. Il est assassiné en février 1913.

La tentative contre-révolutionnaire, présidée par le général Victoriano Huerta (1845-1916), dure dix-neuf mois, qui sont dix-neuf mois de nationalisme économique antiaméricain et de retour brutal à l’ancien régime ; Huerta peut sembler sûr du triomphe, mais les États-Unis du président T. W. Wilson ne tolèrent pas un président « assassin » et favorable aux intérêts européens. L’intervention américaine (débarquement de Veracruz en 1914) est un des aspects de la guerre que se livrent les compagnies pétrolières américaines et britanniques. Le temps d’abattre Huerta, les révolutionnaires restent unis sous la direction de Venustiano Carranza (1859-1920), chef des constitutionnalistes (partisans de la légalité républicaine contre l’« usurpateur » Huerta). Vainqueurs en 1914, les constitutionnalistes se divisent : d’un côté, Pancho Villa (1878-1923), le prestigieux Centaure du Nord, baroudeur de génie, entraîne derrière lui les cavaliers des grands domaines d’élevage du Nord et les pionniers de la frontière. Il s’unit au Sud indien, représenté par Zapata. De l’autre, Carranza, ancien sénateur du porfiriat, prétend être l’héritier légitime de Madero.

À la fin de 1914, la situation de Carranza semble désespérée, car ses forces ne contrôlent plus que l’axe ferroviaire reliant Veracruz, son refuge, à l’intérieur. Il est sauvé par le talent militaire du général Álvaro Obregón (1880-1928) et par les divisions intestines de ses ennemis. C’est l’époque (1914-15) des grandes batailles : la sauvagerie de la guerre et le recrutement des troupes expliquent que les combats se réduisent au choc frontal, au corps à corps, et se pulvérisent en des milliers de duels singuliers. Celui qui peut tirer le plus longtemps, celui qui a le plus de munitions, qui a l’appui des États-Unis donc, celui-ci est vainqueur. Villa vaincu, les carrancistes inaugurent un régime de clan, masqué par un verbalisme bolchevisant.

La Constitution de 1917, de tendance socialisante, renferme des articles anticléricaux, des articles favorables aux ouvriers. L’article le plus important (le 27) rétablit le vieux droit romain — abandonné par le porfiriat — de possession du sous-sol par la nation ; il permettra dans l’avenir de récupérer les concessions accordées aux compagnies pétrolières anglo-saxonnes.