Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Messiaen (Olivier) (suite)

Si sa personnalité harmonico-mélodique s’est nettement affirmée dès ses premiers ouvrages publiés, le novateur en matière de rythme s’est manifesté un peu plus tard, à partir de 1934 environ. Les chants d’oiseaux apparaissent durant la guerre. Quant aux éléments de pensée sérielle qui caractérisent ses recherches aux environs de 1950, on ne peut les considérer comme un facteur permanent de son langage musical. Le fameux Mode de valeurs et d’intensité (1949), extrait des Quatre Études de rythme pour piano, constitue le tout premier essai cohérent de sérialisation totale de tous les paramètres musicaux et exerça une influence immense sur les jeunes musiciens de l’après-guerre, en particulier sur Boulez et Stockhausen. Mais Messiaen lui-même est un esprit bien trop libre pour avoir pu s’astreindre à poursuivre dans cette direction. Après la période exclusivement « oiseau » des années 1950, ses nouvelles œuvres, depuis Chronochromie, son chef-d’œuvre orchestral (1960), affirment toujours davantage une simplicité grandiose, garante d’un sûr impact sur le public, mais qui dissimule une pensée musicale d’une richesse et d’une complexité toujours aussi étonnantes. Dans ses récentes Méditations sur le mystère de la Sainte-Trinité (1969), clef de voûte de toute son œuvre d’orgue, Messiaen introduit pour la première fois un alphabet musical, qu’il appelle langage communicable et à l’aide duquel il « traduit » par des notes des pensées essentielles de la Somme de saint Thomas d’Aquin.

Il est actuellement à l’apogée de sa puissance créatrice, et son évolution est loin d’être close, même si elle diverge de plus en plus de celle de son époque. L’œuvre de Messiaen, point particulièrement nombreuse, comprend presque exclusivement des ouvrages d’envergure considérable, et beaucoup de ses grands cycles requièrent une soirée entière d’audition, qu’il s’agisse des Méditations pour orgue déjà citées, des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus ou du Catalogue d’oiseaux pour piano, de la colossale Turangalîla-Symphonie, en dix mouvements, la plus vaste symphonie de toute la musique française, du non moins imposant oratorio la Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ ou enfin du grand cycle pour piano et orchestre en douze mouvements, encore sans titre, auquel il travaille actuellement. Mais des œuvres plus brèves, comme les Corps glorieux, la Messe de la Pentecôte ou le Livre d’orgue, comme les Visions de l’Amen ou Et exspecto resurrectionem, comme les Trois Petites Liturgies ou les Cinq Rechants, comme le Quatuor ou Harawi, comptent, elles aussi, au nombre des sommets de la musique du xxe s.

Les œuvres principales de Messiaen

• Orchestre : les Offrandes oubliées (1930) ; Hymne au Saint-Sacrement (1932) ; l’Ascension (1933) ; Turangalîla-Symphonie (1946-1948) ; le Réveil des oiseaux (avec piano solo, 1953) ; Oiseaux exotiques (avec piano solo, 1955) ; Chronochromie (1960) ; Sept Haï-Kaï (1962) ; Couleurs de la Cité céleste (avec piano solo, 1964) ; Et exspecto resurrectionem mortuorum (1965) ; Des Canyons aux Étoiles (1974).

• Orchestre avec chœurs : Trois Petites Liturgies de la Présence divine (1944) ; la Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ (1968).

• Chœur a cappella : Cinq Rechants, pour 12 voix mixtes (1949).

• Orgue : le Banquet céleste (1928) ; Diptyque (1930) ; Apparition de l’Église éternelle (1932) ; l’Ascension (1934) ; la Nativité du Seigneur (1935) ; les Corps glorieux (1939) ; Messe de la Pentecôte (1950) ; Livre d’orgue (1951) ; Verset pour la fête de la Dédicace (1960) ; Méditations sur le mystère de la Sainte-Trinité (1969).

• Piano :Préludes (1929) ; Visions de l’Amen (2 pianos, 1943) ; Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus (1944) ; Cantéyodjayâ (1949) ; Quatre Études de rythme (1949) ; Catalogue d’oiseaux (1956-1958) ; la Fauvette des jardins (1970).

• Musique de chambre : Quatuor pour la fin du temps (1941) ; le Merle noir, pour flûte et piano (1951).

• Mélodies : Poèmes pour Mi (1936 ; orchestrés en 1937) ; Chants de Terre et de Ciel (1938) ; Harawi, chant d’amour et de mort (1945).

H. H.

 O. Messiaen, Technique de mon langage musical (Leduc, 1953 ; 2 vol.). / C. Rostand, Olivier Messiaen (Ventadour, 1958). / A. Goléa, Rencontres avec Olivier Messiaen (Julliard, 1961). / P. Mari, Olivier Messiaen, l’homme et son œuvre (Seghers, 1965 ; 2e éd., 1970). / C. Samuel, Entretiens avec Olivier Messiaen (Belfond, 1967). / S. Waumsley, The Organ Music of Olivier Messiaen (Leduc, 1968).

mesure

Expression recouvrant un certain nombre de notions relatives à la « mensuration » de la musique, c’est-à-dire à la manière d’en déterminer le rythme au moyen de points de repère équidistants dans le temps (isochronie).


La notion d’isochronie, d’où découle celle de mesure, n’est pas universelle, bien qu’elle soit parfois enseignée comme telle. Dérivée de la régularité des gestes que la musique est parfois appelée à soutenir (marche, rame, danse, etc.), elle est étrangère à une autre catégorie de musique dérivée de la stylisation de la parole et qui en conserve la liberté rythmique, irréductible à tout isochronisme de base, ce qui a amené la distinction entre rythme gestuel et rythme verbal, le premier seul étant soumis à la mesure.

Les deux genres de rythmes coexistent dans la plupart des musiques. En ce qui concerne la musique occidentale, la notion de musique mesurée (musica mensurata) n’apparaît de manière explicite qu’avec les compositions polyphoniques de l’école de Notre-Dame. Non seulement cette musique mesurée s’oppose alors à la musique grégorienne, dite sine mensura ou planus cantus, mais le théoricien parisien Jean de Grouchy, à la fin du xiiie s., nous avertit que toute autre sorte de musique est non ita précise mensuratum. Peu à peu, toute musique deviendra plus ou moins mesurée, mais il restera toujours une certaine marge de rigueur selon le genre en cause : le « plain-chant mesuré », qui s’instaurera vers le xiie s. dans les séquences « nouveau style » et se généralisera du xvie au xixe s., ne pratiquera jamais la rigueur de battue que requiert la « musique » proprement dite (les deux termes, on le sait, s’opposeront jusqu’au xixe s.) ; même dans le cadre de celle-ci, certains styles, comme le récitatif, excluront formellement la régularité de battue, exigée par d’autres : interpréter un récitatif « en mesure » est une innovation introduite par Wagner pour sa propre musique et que trop d’interprètes font le grave contresens d’appliquer rétrospectivement sans discrimination.

La notion de mesure comporte deux éléments distincts : l’isochronisme des temps d’appui et la régularité de leurs subdivisions.