Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

messe (suite)

Le « stile nuovo », la messe concertante (1600-1750)

Le début du xviie s. sonne le glas de la polyphonie a cappella. La musique religieuse, prenant exemple sur le madrigal, se laisse envahir par la technique nouvelle de la basse continue. Par ce moyen, la monodie accompagnée fait son entrée à l’église. En même temps, l’opéra se développe et influence la messe, dont l’expression tend à devenir dramatique. Les effectifs grossissent, favorisant les recherches d’effets : on recourt parfois au double ou même au triple chœur, et les instruments se multiplient.

Malgré tous ces bouleversements, la messe ne reprend pas le rang qu’elle a connu durant le xvie s. et n’est plus à la pointe du progrès. Les innovations trouvent mieux leur place dans le genre de l’oratorio, de l’histoire sacrée ou du grand motet que dans le texte trop fixe et trop peu personnel du commun de la messe. Pourtant, la production ne diminue pas, surtout en Italie. Citons Ludovico Grossi da Viadana (1546-1627), l’un des premiers à introduire à l’église la monodie accompagnée, Adriano Banchieri (1568-1634), Orazio Benevoli (1605-1672), Pier Francisco Cavalli (1602-1678). A. Scarlatti* (200 messes), Antonio Caldara (v. 1670-1736), Antonio Lotti (1667-1740). En France, la messe chantée poursuit une carrière effacée dans le sillage de Lassus avec les œuvres de Jean de Bournonville (v. 1585-1632), de François Cosset (v. 1620 - apr. 1682), d’Etienne Moulinié (début du xviie s. - apr. 1668), de Nicolas Formé (1567-1638), d’Annibal Gantez (v. 1600-1668), de Jean Mignon (v. 1640-1708) et de Jean François Lallouette (1651-1728), mais elle subit la concurrence des messes pour orgue, dans lesquelles l’instrument, pour certains versets, remplace le chant. C’est le cas des messes de Couperin* et des livres d’orgue de Grigny* et de Nicolas Lebègue (1631-1702). La messe a cappella demeure pourtant en France tout au long du xviiie s. (Henri Madin [1698-1748], Henri Hardouin [1727-1808]).

La messe concertante trouve son apogée et son aboutissement dans l’immense composition que le protestant J. S. Bach*, servant un Electeur luthérien qui est roi dans une Pologne catholique, destine au culte chrétien, la Messe en « si » mineur, composée de 1733 à 1740. Profondément croyant, Bach sait redonner à la messe la profondeur d’expression qu’elle avait perdue tout en la faisant bénéficier des acquisitions du style nouveau. Dans les vingt-quatre mouvements alternent chœurs et soli comme dans une cantate. Avec cette messe, dont les proportions sont telles qu’elles sont incompatibles avec le déroulement de l’office, s’ouvre l’ère de la messe de concert.


Après 1750 : la messe de concert

Le changement d’esthétique qui, vers le milieu du xviiie s., réalise son expression dans le style galant n’entraîne pas de désaffection à l’endroit de la messe en musique, comme on pourrait le craindre. Mais le goût nouveau, orienté vers le théâtre et les préoccupations mondaines, contamine la musique sacrée, où l’inspiration profane l’emporte sur l’émotion religieuse. L’allégresse des chœurs, la coloration orchestrale, le brillant des airs sont ce qui frappe le plus dans les quatorze messes de Joseph Haydn et même dans les quarante messes de son frère Johann Michael, dont le sentiment religieux semble pourtant plus authentique. Mozart, lui aussi, a le culte de la voix et sacrifie à la mélodie. Et, comme la messe n’est plus la traduction d’une prière intérieure, mais une composition musicale où les paroles sacrées perdent de leur valeur, chacune des sections de la messe tend à calquer son plan sur la forme sonate, alors fort prisée. Cet acheminement vers la symphonie religieuse s’accentue encore dans la Missa solemnis, en (1819-1823), de Beethoven, dont le lyrisme romantique remplace la ferveur religieuse et dont la luxuriance orchestrale traduit la fuite du recueillement.

La permanence de cet état d’esprit s’étale sur toute la fin du xixe s. Même les messes de Schubert évoquent plus la salle de concert que l’église. Quand Liszt écrit sa Messe de Gran (1855), véritable poème symphonique avec retour des thèmes, il ne prétend pas écrire une œuvre liturgique, mais une œuvre exprimant le drame de la messe en même temps que sa foi. De nombreux compositeurs s’efforceront de s’illustrer dans le genre de la messe symphonique. Citons Weber, Cherubini, Verdi, Brahms, Anton Bruckner, l’un des plus fertiles et des plus inspirés, Dvořák, Gounod, Franck... Et la messe de requiem*, ou office des morts, qui plonge ses racines jusque dans la polyphonie des xve et xvie s. (Victoria), connaît depuis Mozart une floraison nouvelle avec Berlioz, Verdi, Fauré, Ropartz, Duruflé.


La messe au xxe siècle

Plusieurs influences convergentes provoquent dès le début du siècle un renouveau dans le sentiment religieux et dans la création musicale à destination de la messe. Le pape Pie X publie en 1903 un motu proprio où il s’insurge contre l’introduction dans les offices de procédés musicaux profanes et milite en faveur de la restauration du chant grégorien, dont la valeur de prière est exemplaire pour toute musique d’église. Ces directives sont d’autant mieux acceptées que le goût romantique pour le Moyen Âge, a, dès le xixe s., préparé les esprits et influencé les compositeurs dans le sens d’un certain dépouillement et du retour à la simplicité. C’est aussi l’aboutissement de l’œuvre discrète d’esprits curieux qui avaient remis au jour les chefs-d’œuvre de la polyphonie vocale de la Renaissance, comme Alexandre Choron (1771-1834), Napoléon Joseph Ney, prince de la Moskova (1803-1857), et Louis Niedermeyer (1802-1861), dont la grand-messe solennelle (1849) semble étonnamment prophétique.

Si certains compositeurs perpétuent l’esprit de la messe concertante, comme Charles Marie Widor (1844-1937) et Louis Vierne (1870-1937) dans leurs messes pour chœur et deux orgues, d’autres se montrent sensibles aux tendances nouvelles. Certains vont jusqu’à abandonner le recours aux instruments, comme André Caplet (1878-1925) [Messe à trois voix, 1922] et Poulenc (Messe en « sol » majeur, 1937) ou ne font appel qu’à un matériau sonore réduit, comme Jolivet, qui, dans sa Messe pour le jour de la paix (1940), n’utilise qu’une voix, un orgue et un tambourin, ou Stravinski, qui cherche à recréer l’atmosphère médiévale dans sa messe (1948) pour chœur mixte, deux solistes et double quintette à vents. D’autres, enfin, expriment leur foi dans la forme traditionnelle de la messe pour chœur mixte et orgue, comme Jacques Castérède (né en 1926) dans sa Messe brève de Saint Louis (1964), Gaston Litaize (né en 1909), dans sa Missa solemnior, ou même grossissent les effectifs tout en conservant un profond sens religieux, comme Jean Langlais (né en 1907) dans sa Missa « Salve Regina » (1954) pour chœur, deux orgues et cuivres ou Maurice Duruflé (né en 1902) dans sa Messe « Cum jubilo » (1966) pour baryton, chœur, orchestre et orgue.

B. G.