Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

messe (suite)

L’histoire de cet immense répertoire est fort complexe : elle ne s’éclaire quelque peu qu’à partir du moment où le rituel est écrit, même sans musique (viiie s.) et surtout après l’apparition des signes musicaux (xe s.). Or, ces manuscrits ne transmettent que l’état du rituel à cette époque, où il est déjà ancien, et ne reflètent pas forcément son état originel. D’autre part, utilisé à des fins liturgiques, le chant sacré a connu une résurrection utilitaire qui, si elle en a facilité l’abord, n’a pas clarifié l’examen critique.


Premières élaborations polyphoniques (xie, xiie et xiiie s.)

La polyphonie a, elle aussi, dans la pratique, certainement de beaucoup devancé les premiers témoignages de son existence (Jean Scot Erigène, v. 850). Mais ce n’était alors qu’un art improvisé dont nous n’avons comme preuves tangibles que les quelques exemples contenus dans certains traités (Otger : Enchirias de musica, v. 900).

À partir du xiie s., les premières réalisations artistiques sont notées et groupées dans des manuscrits à l’usage de certains lieux de culte. Le Winchester Troper (v. 1050) est le premier recueil de ce genre. Comme dans tous les autres manuscrits de cette période (ceux de Wolfenbüttel, de Florence, du monastère de Las Huelgas près de Burgos), on n’y trouve aucun ensemble constitué, mais des séries de pièces du propre et de l’ordinaire, des séquences et des proses. Il semble que le propre, surtout le répons-graduel, retienne plus que l’ordinaire l’attention des compositeurs. Déjà pièce de bravoure dans le corpus grégorien, il bénéficiait tout naturellement des nouveautés artistiques. Les œuvres les plus marquantes, celles de Léonin et de Pérotin (fin du xiie s.), organa à deux, trois ou quatre voix, ne sont que la parure polyphonique de répons et d’antiennes (par exemple l’organum quadruple de Pérotin, sur le graduel Sederunt).


Formation de la messe polyphonique (xive, xve et xvie s.)

Cette situation se poursuit durant presque tout le xive s. Ainsi, dans les manuscrits d’Apt et d’Ivrée, répertoire de la chapelle pontificale d’Avignon, on ne trouve encore aucune messe constituée, mais priorité y est donnée aux pièces du commun, ce qui laissait aux chantres la latitude de les grouper comme bon leur semblait. Pourtant il n’est pas exclu que des habitudes se soient prises, peut-être en fonction du caractère des œuvres, de chanter tel Gloria, de préférence à tel autre, après tel Kyrie.

C’est sans doute ce qui nous a valu la Messe de Tournai (v. 1320), à trois voix, ensemble aussi composite que les messes grégoriennes, mais premier témoignage du groupement des pièces du commun, tel qu’il s’imposera jusqu’à nos jours. Kyrie, Sanctus, Agnus et Deo gratias sont écrits selon la technique du motet isorythmique et s’appuient sur une teneur, ou cantus firmus, le motif grégorien. Gloria et Credo, du fait de leur longueur, sont des compositions libres, sans teneur, qu’on appelle conduits.

L’œuvre la plus remarquable de cette époque est la Messe Notre-Dame, à quatre voix, de Guillaume* de Machaut (v. 1364). Les caractéristiques sont les mêmes que dans la Messe de Tournai, mais, en plus du fait que la qualité est de très loin supérieure, cette messe est la première dont toutes les sections ont été conçues par un seul compositeur comme devant former un tout. Cette volonté d’unité se manifeste par le passage d’une pièce à l’autre de brefs motifs mélodiques ou rythmiques qui soulignent une conception d’ensemble.

Au siècle suivant, Dufay* ira plus avant dans la formation définitive de la messe. Il écrit neuf messes complètes, dont le caractère unitaire est fortement accusé. Dans ce dessein, contrairement à Guillaume de Machaut, qui, pour chaque section, emprunte une section correspondante de grégorien (un Kyrie pour le Kyrie, un Sanctus pour le Sanctus, etc.), il utilise le plus souvent possible pour toutes les sections de la messe un même fragment mélodique, qui servira de teneur commune et qui, à cause de cela, donnera son nom à la messe (par exemple la messe Ave Regina caelorum). Parfois, ce motif peut être profane, comme dans la messe Se la face ay pale, ou même est inventé par le compositeur : on parlera alors de messe Sine nomine.

Dans la seconde moitié du xve s., Johannes Ockeghem (v. 1430 - v. 1496) œuvre dans le même sens en écrivant une quinzaine de messes, les unes sur teneur liturgique (Ecce ancilla Domini), d’autres sur teneur profane (Ma maistresse), d’autres enfin sur teneur non empruntée (Messe « Mi mi », Sine nomine). Mais, à son époque et grâce à lui, le tissu polyphonique se modifie dans le sens de l’homogénéité des quatre voix, qui, jusqu’ici, se répartissaient par paires de deux : les deux plus élevées écrites en valeurs brèves, les deux plus basses en valeurs longues. Les motifs peuvent alors passer d’une voix à l’autre, et les imitations deviennent possibles.

De plus, la messe se rapproche de la chanson jusqu’à la démarquer dans toute sa texture et non plus par le seul motif emprunté comme teneur. C’est le début de la missa parodia.

Les messes écrites de la fin du xve s. à l’aube du xviie sont innombrables. Pourtant, s’il est vrai que la messe est devenue un « grand genre » dans lequel doit désormais s’exercer tout musicien en renom, on assiste au cours du siècle à un net affadissement de l’inspiration et à une baisse de qualité, même parfois chez les grands compositeurs. Ce n’est pas le cas de Josquin Des* Prés, dont certaines des vingt-neuf messes comptent parmi les chefs-d’œuvre les plus accomplis (les messes De Beata Virgine, Da pacem et surtout Pange lingua). Mais après lui, le genre perd de l’intérêt, même si l’on décèle çà et là de belles réussites dans la production de compositeurs comme Pierre de La Rue (v. 1460-1518), Loyset Compère (v. 1450-1518), Antoine de Févin (v. 1470-1511/1512), Nicolas Gombert (v. 1500-1556), Jean de Hollingue, dit Mouton (v. 1460-1522), Pierre Certon († 1572) et même Roland de Lassus*, dont les cinquante-deux messes (par exemple la messe Douce Mémoire) sont pâles en regard de ses motets. L’un des signes du déclin de la messe à partir de 1530 environ est la réduction des proportions, dont l’aboutissement est le succès de la missa brevis. Les deux pôles de la messe polyphonique au xvie s. sont Palestrina* et Victoria*. Le premier, par son langage musical clair, ordonné et lumineux, s’adapte à merveille aux exigences nouvelles du Saint-Siège, qui réclame une plus grande simplicité et une perception plus aisée des paroles sacrées, et qui condamne la messe-parodie et l’emploi de thèmes profanes ; le second, dont la manière a été influencée par le style palestrinien, laisse paraître dans ses messes un tempérament ardent et parfois une âpreté tout ibérique.