Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mésopotamie (suite)

La civilisation mésopotamienne, telle qu’elle apparaît à partir des fouilles, ne se réduit pas à ces fondements strictement matériels, et la production écrite permet de déceler d’autres composantes. Si, en outre, on se rappelle que certains aspects ont disparu à cause do la dégradation dans le sol, on comprend que l’archéologie ne puisse rendre compte que d’une partie du monde mésopotamien antique ; mais l’activité archéologique reste néanmoins essentielle, puisqu’elle seule permet de remettre au jour les textes et les documents qui constituent la base des études historiques actuelles.


Les traits caractéristiques de l’art

L’importance des Mésopotamiens est incontestable dans de nombreux domaines de la pensée, mais il n’est nullement certain que, dans les arts, il en ait été de même. Des rapports ont certainement existé entre les différentes contrées de l’Orient et, si des emprunts sont décelables, il n’en reste pas moins que l’évolution de l’art est fondamentalement dominée par des motivations internes et non par des impulsions extérieures ; d’autre part, si l’on veut bien songer à la longue durée de cette civilisation, on est frappé par une certaine indigence créatrice des Mésopotamiens. Certes, il est des réussites qui témoignent parfois du contraire ; pourtant, comparées à la masse des objets retrouvés dans les fouilles, elles font figure d’exceptions et ne peuvent sans doute prétendre représenter la spécificité mésopotamienne en matière artistique. Peut-être une cause essentielle est-elle fournie par les conditions mêmes de la création ; l’art mésopotamien est, pour la plus grande partie, d’essence religieuse ; en tant que tel, il n’est pas destiné à exprimer les aspirations esthétiques des individus, mais bien plutôt à établir un lien, qui se veut souvent contraignant, entre l’homme et la divinité. Une telle conception conduit dans de nombreux domaines les interprètes du monde religieux à diriger les artistes, soit parce que la divinité est censée avoir donné elle-même les règles de la création, soit parce qu’il ne convient pas de porter atteinte à une forme qui a réussi sur le plan magique ou qui est conforme à la tradition. Toujours est-il que bien souvent l’artiste n’a qu’une très faible liberté de manœuvre et qu’il doit se conformer au canon donné par les prêtres. Dans ces conditions, ce n’est pas à l’absence d’esprit créateur, thèse démentie d’ailleurs par certaines œuvres, qu’il faut imputer une certaine indigence artistique, mais bien plutôt aux tendances profondes d’une civilisation qui chercha à se prémunir dans un milieu difficile et souvent hostile contre les aléas du devenir par une fixation des traditions. Il ne faudrait pas, toutefois, exagérer cette pauvreté artistique ; tout d’abord, l’exploration archéologique est loin d’être achevée et, si l’on n’en peut attendre de véritables bouleversements, elle peut apporter encore bien des surprises ; un bilan n’est donc possible que si l’on admet son caractère provisoire ; d’autre part, comme on l’a dit, les conditions de conservations dans les tells mésopotamiens n’ont pas permis à toutes les manifestations artistiques de parvenir jusqu’à nous ; ainsi, à diverses reprises, la preuve a été faite que la grande peinture murale a joué un grand rôle en Mésopotamie (l’autel du tell Uqair, les grandes compositions du palais de Zimri-Lim de Mari, celles du palais d’Aqarquf [site de la Dour-Kourigalzou kassite] ou de certains palais assyriens), mais les rares vestiges qui en ont survécu ne permettent certainement pas de rendre compte de toutes les réalisations antiques dans ce domaine. En outre, il faut envisager l’art d’une façon globale et non par quelques-unes seulement de ses manifestations. Enfin, parler d’un art mésopotamien pendant plusieurs millénaires peut prêter à confusion ; tout au long de l’histoire du pays des Deux Fleuves, il n’y a pas eu un, mais plusieurs centres créateurs. L’histoire des écoles propres à chaque centre n’a pas encore été tentée ; il se pourrait pourtant qu’une telle étude mît en évidence, outre les diversités, les principales règles de la création et le processus qui conduisit à l’élaboration de certains canons.

Sans entrer dans le détail, on peut indiquer ici que l’époque sumérienne ancienne (fin du IVe millénaire et 1re moitié du IIIe millénaire) est remarquable par la variété des centres créateurs et par leur apparente indépendance : Ourouk*, Our*, Lagash, Fara, Mari* ainsi que les principaux centres de la vallée de la Diyālā ne sont pas tous contemporains et ils offrent des traits spécifiques qu’il est bien difficile d’attribuer à l’ensemble mésopotamien. Par la suite, la formation des grands Empires akkadien, néo-sumérien et babylonien s’accompagne d’une uniformisation de la production artistique liée à une conception précise du pouvoir qu’il convenait de faire accepter par l’ensemble du pays, alors que les tendances au particularisme risquaient de reprendre le dessus ; mais chacune de ces périodes présente des caractéristiques propres qui ne peuvent se fondre facilement dans une seule définition. Si les circonstances précises de la création artistique ne sont pas encore très claires pour la seconde moitié du IIe millénaire (v. Kassites), au Ier millénaire, en revanche, il apparaît qu’il n’y a pas identité entre les productions des centres assyrien et babylonien. Il convient donc de manier avec la plus grande prudence le concept d’un art mésopotamien spécifique ; derrière quelques règles d’ensemble, c’est plus la diversité qui frappe qu’une uniformité, en définitive plus apparente que réelle. Si l’on étudie le domaine de l’architecture, moins révélateur, cependant, que certains autres, car les contraintes nées d’un milieu peu favorable sont déterminantes pour les formes mêmes des constructions — et ces contraintes sont très voisines du nord au sud de la Mésopotamie —, il apparaît que, derrière une uniformité de façade, les caractères spécifiques de l’art de bâtir n’ont pas été les mêmes au cours des trois ou quatre millénaires de l’histoire de la Mésopotamie. Certes, la nature de la brique crue et la rareté du bois furent deux facteurs déterminants qui ont contribué à donner naissance à une architecture parallélépipédique aux formes massives, mais non sans majesté, dans laquelle les salles sont longues et étroites, où la nécessité de trouver la lumière à partir de la porte pour éviter d’avoir à affaiblir les murs en ouvrant des fenêtres conduit à la systématisation du plan mésopotamien courant, où sur une cour intérieure donne une série de pièces assez semblables le plus souvent les unes aux autres. Mais comment expliquer, sinon par des traditions locales différentes, l’existence de deux systèmes d’organisation de la cella par rapport à la cour, l’un à partir d’un accès coudé qui l’isole du reste du bâtiment, mode que l’on trouve par exemple en Assyrie ou dans la Diyālā, l’autre, au contraire, dans un système axé depuis l’entrée qui incorpore la cella à l’ensemble du bâtiment, tel qu’on le trouve à Ourouk à l’époque sumérienne archaïque, à Our lors de l’Empire néo-sumérien ou dans l’Empire babylonien ? Des faits de même nature peuvent être décelés dans les simples maisons d’habitation ou dans les résidences palatiales. Le décor des parois rend compte de particularismes voisins : ainsi, les mosaïques de cônes, faites avec des pierres de couleur différente ou en terre cuite peinte, qui ornaient certains murs des temples d’Ourouk n’auront pas de successeur direct, mais le goût des parois ornées demeura soit par des redans qui donnaient naissance à un jeu mouvant d’ombre et de lumière tout au long de la journée, soit par de grandes peintures murales que l’on retrouve dans la Mésopotamie centrale et septentrionale à Mari, et à Til Barsip, ou encore par des orthostates de pierres sculptées, mode décoratif propre à l’Assyrie, ou enfin par un revêtement de briques, à relief émaillé ou non, que l’on trouve en Babylonie au Ier millénaire.