Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mésopotamie (suite)

Durant l’étonnant essor du Néolithique, qui, parmi d’autres découvertes, voit la mise en œuvre de l’agriculture et de l’élevage, la Mésopotamie ne joue un rôle que très tardivement ; aussi, dans l’ensemble d’un Proche-Orient brillant et riche de ses découvertes successives, fait-elle longtemps figure de parent pauvre, car, durant cette première période, les techniques acquises ne permettaient d’obtenir des résultats dans une plaine alluviale d’une grande fertilité qu’à condition que l’eau fût domestiquée et non plus irrégulièrement répartie dans le temps et dans l’espace. Lorsque l’homme eut discipliné l’eau grâce à des canaux, la vallée des Deux Fleuves devint alors une région de prospérité. L’existence de grands espaces, aux possibilités agricoles uniquement conditionnées par des aménagements hydrauliques, modifie totalement les conditions de la production et conduit les communautés humaines dans des voies nouvelles qui débouchent sur la naissance d’une organisation du pays en Cités-État et sur l’invention de l’écriture. Toutefois, cette prospérité repose sur une base uniquement agricole, et les plus anciens groupes humains installés dans la plaine ne pouvaient subsister que grâce à des relations extérieures, parfois fort lointaines, afin d’obtenir le bois nécessaire à l’habitat, aux barques et au mobilier, les pierres pour l’outillage et l’armement, enfin, avec l’âge des métaux, le cuivre et l’étain, indispensables à tous les instruments de bronze, qui, progressivement, remplacent l’outillage lithique et donnent à celui qui en est pourvu une puissance bien supérieure. Cette activité commerciale, ces relations lointaines, d’abord essentielles à la survie, deviennent aussi rapidement source de richesse, et l’on comprend dès lors aisément le processus qui, de la quête des produits de première nécessité, conduit à la formation des grands empires d’Akkad*, de Sumer*, d’Assyrie* et de Babylone*. Toutefois, un réseau commercial, quelque développé qu’il ait été, ne pouvait procurer aux habitants de la Mésopotamie tout ce qui leur manquait ; aussi leur ingéniosité dut-elle s’exercer pour tirer des seules ressources du pays les objets les plus variés, absolument nécessaires à la vie quotidienne : l’argile, crue et mélangée à de la paille hachée ou moulée en forme de brique, devint la matière première de l’architecture ; purifiée et sous forme de tablette, elle servit de support à l’écriture ; tournée et cuite, elle servit à faire, comme ailleurs, des récipients divers, d’usage courant. On peut, sans exagération aucune, dire que la vie quotidienne se moule en Mésopotamie dans l’argile. Quant au bitume, ses qualités plastiques en firent un excellent liant en architecture et un isolant parfait pour les canalisations et les installations hydrauliques, qui exigent l’étanchéité ; enfin, le roseau fut utilisé aussi bien dans l’architecture que dans le mobilier, la navigation ou l’éclairage ; il semble même avoir servi d’aliment en période de famine. L’essor de la Mésopotamie repose ainsi sur la richesse alluvionnaire du sol et sur la quasi-absence de toute autre matière première. On ne dira jamais assez l’extraordinaire puissance d’invention des populations mésopotamiennes, qui, confrontées en plein Néolithique à des problèmes critiques de survie, ont su jeter les bases économiques, sociales et culturelles des communautés qui ont dominé et rayonné depuis la Mésopotamie sur tout l’Orient et le bassin méditerranéen.

Toutes ces particularités qui soulignent l’unité du pays ne doivent pas masquer que celui-ci est divisé en régions dont les caractéristiques ne sont pas identiques et qui eurent des destinées différentes. Le Sud, ou Sumer, occupé pour une grande partie par des marécages et d’une étonnante platitude, fut la dernière partie du pays à avoir été mise en valeur par les agriculteurs du Néolithique ; mais cette entrée tardive fut suivie d’un essor particulièrement brillant et rapide qui culmina avec la civilisation sumérienne, dont l’empreinte marqua fortement tous les domaines de la Mésopotamie et de son histoire jusqu’à l’ère chrétienne. Une exploitation intensive des terres, au IIIe millénaire en particulier, semble avoir entraîné une salinisation excessive des sols et la désaffection — au profit de l’élevage, d’un moindre revenu — d’un mode d’exploitation qui avait été l’un des fondements de la richesse et donc de la puissance. Les centres d’équilibre passent alors au nord, en Babylonie, zone de convergence des axes fluviaux, et en Assyrie aux vallées bien marquées et aux collines verdoyantes en hiver, qui se transforment progressivement en véritables montagnes ; ces deux régions connurent des développements parallèles ; avec des phases d’intensité différente parfois et des caractéristiques proches, mais non identiques, elles dominèrent le bassin mésopotamien aux IIe et Ier millénaires. Ce milieu naturel, déjà si contraignant, provoqua d’autres servitudes parfois tragiquement vécues. Montagnes et déserts du pourtour abritèrent des tribus nomades qui, continuellement, convoitaient les richesses du monde « civilisé ». Cette pression n’est contenue que dans les périodes de puissance du pouvoir central et entraîne une insécurité quasiment perpétuelle, qu’illustrent de façon éloquente les remparts et ouvrages défensifs des cités mésopotamiennes ; de plus, si l’opposition est absolue autant qu’irréductible entre civilisation agraire, donc urbaine, et civilisation pastorale, donc nomade (toute la civilisation orientale porte la marque de cet antagonisme), il n’en existe pas moins un continuel brassage de populations, qui, après avoir souvent marqué de façon brutale leur arrivée en Mésopotamie, se fondent en un second temps dans le creuset du bassin des Deux Fleuves au point de perdre totalement leur originalité première, si bien qu’il est souvent fort difficile et même généralement impossible d’attribuer à chaque peuple sa responsabilité dans l’œuvre commune et de définir le génie de chacun. Notons enfin que le milieu physique n’est sans doute guère différent maintenant de ce qu’il était dans l’Antiquité. Toutefois, si le golfe Persique, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, était sensiblement identique à sa configuration actuelle, les rivières, elles, qui roulent sur leurs alluvions en Babylonie ou en Sumer, ont changé de cours à l’occasion de crues plus importantes ; des villes antiques sont maintenant à plusieurs kilomètres des rivières qui leur assuraient auparavant prospérité et communication. Cependant, il ne faut pas exagérer l’importance de ces transformations et de l’évolution climatologique ; d’une façon générale, on peut être assuré que paysage et milieu n’ont guère été modifiés depuis l’Antiquité.