Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mérovingiens (suite)

Ainsi, quoique essentiellement rurale et domaniale, l’économie mérovingienne n’apparaît-elle pas aussi dénuée d’ouvertures vers l’extérieur que l’ont cru pendant longtemps de nombreux historiens, et cela malgré l’abandon, au viiie s., de la frappe de l’or au profit de l’argent, abandon dû au moins autant à la thésaurisation du métal jaune par ses détenteurs laïques et surtout ecclésiastiques qu’au déficit de la balance des paiements de la Gaule en faveur de l’Orient.

L’art mérovingien

Le terme de mérovingien n’est probablement pas le plus convenable pour désigner l’art qui se développa en Gaule* du ve au viiie s. Les rois francs, en effet, même s’ils ne demeurèrent pas totalement inactifs dans le domaine artistique, n’y exercèrent jamais un rôle de direction. Cependant, la dénomination ayant été établie par l’usage, il convient de la conserver, d’autant plus qu’elle ne prête à aucune ambiguïté ni sur la période, ni pour la région concernée.

Il est par contre une idée contre laquelle il convient d’emblée de s’inscrire en faux : la prétendue obscurité de l’époque. Très heureusement, nous n’en sommes plus à Augustin Thierry, et, même s’il demeure beaucoup à faire, notamment en ce qui regarde les fouilles, les grands traits de ce moment historique apparaissent déjà avec suffisamment de netteté.

Il y a d’abord une incontestable présence de Rome, qui résulte le plus souvent d’un héritage antique recueilli et assumé sur place. Le baptistère de Poitiers, réédifié au viie s., imite souvent maladroitement, mais toujours sciemment les formes de l’architecture du Bas-Empire. Il en recherche même les effets, en mariant à la pierre la brique et des éléments décoratifs en terre cuite. Or, nous savons que ce monument n’était nullement isolé dans le Poitou contemporain.

On observe la même fidélité aux pratiques du Bas-Empire dans l’emploi constant de la forme basilicale pour l’architecture religieuse. Grégoire de Tours nous décrit la basilique Saint-Martin de Tours, consacrée en 472. Elle n’avait que 160 pieds, c’est-à-dire environ 50 m de longueur, mais elle était ornée de 120 colonnes. Jean Hubert a montré que la vieille église Saint-Pierre de Vienne, également construite au ve s., permettait d’imaginer l’ordonnance de ses nefs. Il existe en effet à Vienne deux ordres superposés de colonnes qui s’appuient contre les murs latéraux, selon une formule empruntée à de grands monuments romains de Gaule.

Certaines de ces basiliques, décrites par les contemporains, avaient la particularité de présenter une haute tour-lanterne dans la partie du monument située entre la nef et l’abside. Il en était notamment ainsi, indique J. Hubert, dans la cathédrale de Nantes, consacrée vers 567. « Dans cette église, au dire de Fortunat, les arcades qui ajouraient l’étage inférieur de la tour laissaient si largement pénétrer la lumière que le reflet des toits d’étain venait mêler sa couleur à celle des mosaïques de la voûte. »

La présence dans ces tours de mosaïques ou de peintures murales — à Clermont par exemple — montre d’évidence que les techniques romaines du décor monumental se maintenaient. La destruction complète de créations aussi fragiles ne permet malheureusement pas de juger de leur style. Il n’en va pas de même de la sculpture des chapiteaux incorporés aux grandes arcades murales. Ici, on peut juger sur pièces et l’on aborde une question très controversée.

Ce sont fréquemment de belles œuvres dont l’ascendance antique est évidente, encore que, très souvent, elles témoignent d’un véritable esprit créateur et d’un souci louable de renouvellement. Qu’ils proviennent des basiliques parisiennes ou qu’ils se trouvent encore en place dans le baptistère de Poitiers, ces chapiteaux sont uniformément sculptés dans le marbre des Pyrénées. Ils représentent le fruit de l’activité d’ateliers établis dans le sud-ouest de la Gaule et exportant au loin leur production. Il convient d’accorder la même origine à une importante série de monuments funéraires traités cependant dans un esprit tout différent. Les sarcophages dits d’Aquitaine, avec leur taille méplate et un décor floral distribué en panneaux, s’apparentent en effet, d’une certaine manière, à l’art syrien du vie s. On les a parfois attribués au génie des Wisigoths*, qui dominèrent la majeure partie de la Gaule méridionale jusqu’à Clovis. J. Hubert, en les restituant aux vie et viie s., leur a rendu leur véritable signification. Ces sarcophages deviennent les témoins d’une renaissance artistique dans un pays, l’Aquitaine, qui connaissait alors une reprise de l’activité urbaine et des échanges commerciaux.

Cette « renaissance » gagna la Gaule septentrionale. À côté de monuments aussi barbares que l’oratoire funéraire de l’abbé Mellebaude à Poitiers, connu sous le nom d’hypogée des Dunes, on voit apparaître à la même époque, vers la fin du viie s., un monument d’une rare perfection, les cryptes de Jouarre (Seine-et-Marne), dont l’histoire a été retracée dans un maître livre par la marquise de Maillé. Dans cette salle hypostyle, greffée à l’extrémité d’une très simple basilique, on trouve encore des chapiteaux en marbre des Pyrénées, et comptant parmi les plus beaux. Mais voici également un sarcophage aussi étonnant par son style que par l’iconographie. Il s’agit de la tombe d’Agilbert, exécutée en pierre du pays, mais dont l’étrangeté ne peut s’expliquer que par des influences de l’Orient, et notamment de l’Égypte copte*.

Cela implique des contacts lointains, dont profita également la seule activité picturale ayant laissé des témoins, l’enluminure. L’art copte, directement ou indirectement, a contribué à la naissance du décor du livre, qui trouve son épanouissement, vers 800, dans le sacramentaire dit « de Gellone » (Bibliothèque nationale).

Il n’est pas jusqu’à l’art du métal, que l’on qualifierait aisément de barbare par essence, qui n’ait connu au viie s. son plus grand essor, tant dans le domaine de l’orfèvrerie cloisonnée (croix dite « de saint Éloi » à Saint-Denis) que dans celui de la damasquinure. Tout annonçait le grand réveil de l’Occident qui se produira à l’époque carolingienne*.

M. D.

➙ Moyen Âge (art du haut).