Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mémoire

Phénomène psychique orientant le comportement d’un sujet en fonction d’un vécu antérieur.


Les premiers chercheurs et, jusqu’au début du xxe s., les seuls à s’occuper du problème de la mémoire sont les philosophes. On va ainsi de la célèbre théorie de la réminiscence (Platon*) aux deux mémoires « pure » et « motrice », de Bergson*. Jusque-là, on s’était efforcé de classer divers types de mémoires, et on retrouvait sous différentes formes la distinction entre une mémoire acquise par la répétition et une mémoire en quelque sorte « immédiate », dite aussi le plus souvent « affective ». Cet acquis, dû à une simple observation empirique conjuguée de présupposés proprement philosophiques, a commencé à être amendé sérieusement par les résultats de la psychologie* expérimentale. Celle-ci collationne les expériences de laboratoire sur le fonctionnement de la mémorisation et met au point plusieurs lois sur l’apprentissage et l’oubli.

C’est H. Piéron* qui suggère, à partir de 1910, l’impossibilité de généraliser de semblables lois à la mémorisation spontanée dans la vie normale des individus. Celle-ci n’est pas toujours une opération « volontaire » et « méthodique », comme le postule la psychologie expérimentale. Contrairement par exemple à la loi émise par H. Ebbinghaus, Piéron montre que l’oubli d’une acquisition globale n’intervient qu’après un laps de temps assez long, laps de temps pendant lequel s’observe même une maturation du souvenir. La trace mnémonique est en effet inversement proportionnelle à une puissance fractionnaire du temps, et précisément à la racine carrée du temps.

Parallèlement, et sans rapport d’aucune sorte avec la psychologie, s’organise, de 1930 à 1960, ce qui va devenir en 1962 la « biologie moléculaire », et qui fond en une seule science originale certaines parties de la génétique, de la physique, de la microbiologie, de la chimie et de la biochimie*. En 1958, l’idée centrale de cette nouvelle science est formulée par F. H. C. Crick, à la suite de sa découverte avec J. D. Watson en 1953 de la « double hélice » constituant le code génétique : l’information génétique est transmise des acides nucléiques* aux protéines, et jamais dans le sens contraire. Cette découverte et les conséquences extraordinaires qu’elle suscite dans les connaissances relatives aux propriétés biochimiques et aux processus moléculaires des cellules cérébrales font que les années 1960 voient la conjonction des études sur la mémoire avec la biologie moléculaire, dont elles sont depuis lors inséparables. Les recherches sur la mémoire se sont effectuées durant ces douze dernières années aux États-Unis, dans plusieurs universités, et en Suède, à Copenhague et Göteborg, et la biologie de la mémoire possède une histoire déjà fertile en découvertes et en rebondissements.

Ayant acquis la certitude, après Karl S. Lashley, pionnier de la psychologie de l’apprentissage*, qu’il n’existe dans le cerveau aucune cellule spéciale pour l’enregistrement des souvenirs, les biologistes se sont heurtés jusqu’à ce jour à deux types de difficultés : tout d’abord, prouver que les modifications macromoléculaires enregistrées dans les neurones cérébraux lors de l’apprentissage ne sont pas assimilables à une quelconque augmentation de l’activité nerveuse ; ensuite, mettre au point un système d’expérimentation permettant de déchiffrer les changements d’ordre chimique apportés par la mémorisation, changements dont la nature n’est plus contestée aujourd’hui, mais dont la systématisation en un code moléculaire reste sujette à diverses hypothèses interprétatives dont l’élucidation viendra précisément d’une méthode expérimentale vraiment inattaquable. La résolution de la première difficulté a demandé huit ans, les recherches à propos de la seconde sont en cours depuis 1968, avec déjà de très appréciables résultats.


Les deux mémoires (travaux de 1960 à 1968)

Les travaux de J. V. McConnell, de l’université Michigan, lancent la polémique dans les années 1960-1962. Ses expériences portaient sur les planaires. McConnell déclarait avoir réussi à transférer d’un de ces petits vers à un autre un conditionnement — une réaction à un stimulus lumineux — en nourrissant les vers non entraînés d’un broyat de vers préalablement conditionnés. Par la suite, d’autres chercheurs déclarèrent avoir obtenu un résultat semblable par l’intermédiaire d’une ingestion de divers extraits de cellules cérébrales, de cellules spinales, etc. Cependant, en 1966, le nombre de publications avec des résultats négatifs dépasse celui de celles qui ont des résultats positifs. En janvier 1968, un symposium à New York sous la direction de W. L. Byrne (université Duke) constate l’impuissance dans laquelle se trouvent à cette date les chercheurs à trancher sur la possibilité d’un transfert de l’information, mais rend compte des résultats définitifs obtenus sur la question de la consolidation de la mémoire. C’est le travail de M. E. Jarvik et S. H. Barondes (Collège de médecine A. Einstein) et de B. W. Agranoff (université Michigan). Ils ont mis en évidence deux phases dans la mémorisation : une phase à court terme (de quelques secondes à une heure), correspondant au domaine de l’excitabilité électrique et désignée par STM (short term memory) ; et une phase à long terme (LTM, ou long term memory) qui peut durer toute la vie, correspondant à celui de la mémoire moléculaire.

Les preuves de l’existence de ces deux formes de mémoire sont doubles. Elles sont principalement l’œuvre de Holger Hydén (université de Göteborg). En premier lieu, des inhibiteurs de la synthèse des protéines injectés avant l’expérience n’empêchent pas la fixation à court terme, mais empêchent la fixation à long terme. En deuxième lieu, lorsqu’on analyse au fur et à mesure de l’entraînement les cellules du cerveau du poisson rouge qui apprend à nager la tête hors de l’eau, ou du rat qui apprend à être gaucher s’il est droitier, on constate que le rapport des bases de l’A. R. N. se modifie de façon sensible, au point de se rapprocher de la composition de l’A. D. N. Il y a donc une stimulation du génome. Comme la forme d’A. R. N. synthétisé en début d’apprentissage (qui est de l’A. R. N. chromosomique) disparaît si on ne renouvelle pas la stimulation pour consolider l’apprentissage, et qu’elle n’apparaît jamais dans le cas d’un stress quelconque, la preuve est faite à la fois de la structure moléculaire de la LTM et de son originalité par rapport à un accroissement autre de l’activité nerveuse. Pour comprendre le passage de STM à LTM, on dispose seulement, faute de moyens d’investigation plus fins, de la constatation que la dispersion du train d’ondes de l’électro-encéphalogramme diminue nettement lors de l’amélioration du niveau de performance.