Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mélodie (suite)

 J. H. Riemann, Neue Schule der Melodik (Hambourg, 1883). / C. Saint-Saëns, Harmonie et mélodie (Calmann-Lévy, 1885). / R. Lach, Studien zur Entwicklungsgeschichte der ornementalen Melodie (Leipzig, 1913). / T. Gérold, l’Art du chant en France au xviie siècle (Istra, Strasbourg, 1921). / G. Ferchault, Introduction à l’esthétique de la mélodie (l’auteur, 1946). / E. Reuter, la Mélodie et le lied (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1950). / F. Noske, la Mélodie française de Berlioz à Duparc (P. U. F., 1954). / A. Machabey, Genèse de la tonalité musicale classique, des origines au xve siècle (Richard-Masse, 1955). / D. Stevens, A History of Song (Londres, 1960).

mélodrame

Pièce de théâtre où l’action, mouvementée, se soutient par l’emploi constant des effets pathétiques.


Longtemps considéré comme un sous-produit de la littérature théâtrale, le mélodrame mérite cependant une attention spéciale : entre le drame bourgeois issu des théories du xviiie s. et la fresque grandiose voulue par les écrivains romantiques, le mélodrame sert de transition. Son intérêt dépasse de ce fait celui de la petite chapelle des spécialistes, et sa vogue atteste de sa vigueur auprès des foules. Décrié comme tous les genres populaires, il imprègne nombre d’œuvres — et pas seulement sur la scène — et continue de nos jours une carrière brillante : en effet, n’est-ce pas le vieux mélodrame que l’on retrouve travesti, ennobli, dans les pièces d’un Armand Salacrou ou même d’un Jean Cocteau ?


Un genre bâtard

De son étymologie, le terme tient son sens premier : il s’agit d’un ouvrage lyrico-dramatique dans lequel, entre les dialogues, s’instaure un intermède musical. Jean-Jacques Rousseau, qui réalisa le premier mélodrame baptisé comme tel (Pygmalion, 1770), définissait ainsi son projet : il s’agit de faire « un genre de drame dans lequel les paroles et la musique, au lieu de marcher ensemble, se font entendre successivement, et où la phrase parlée est en quelque sorte annoncée et préparée par la phrase musicale ».

Un tel procédé n’était pas inconnu avant Rousseau : le théâtre antique grec alternait les scènes parlées avec les scènes lyriques (stasima et komos), les miracles du Moyen Âge comportaient aussi quelquefois des épisodes soutenus par la musique. Mais la ressemblance la plus frappante est sans doute dans le théâtre japonais kabuki, qui utilise l’accent musical, le ki, pour annoncer l’approche d’un événement important ou l’apparition du héros. Bien vite cependant, le mélodrame va se spécialiser : au lieu d’être un drame chanté et mimé (car en même temps que la musique s’introduisait un intermède de pantomime), il tend à devenir un « drame en prose à grand spectacle ». Par là, il annonçait une des ambitions du drame romantique, mais le choix même de ses sujets — des « pantomimes héroïques » selon le vœu d’un de ses plus célèbres illustrateurs — trahissait une dépendance à l’égard du drame bourgeois.


Les sources littéraires

Dans une brochure-manifeste intitulée Guerre au mélodrame et publiée en 1818, R. C. Guilbert de Pixerécourt (1773-1844) déclare être l’héritier de Corneille et d’Eschyle, chez lesquels il trouve, comme dans ses propres œuvres, « la même tendance vers le merveilleux, le même attrait pour le plaisir des yeux ». Il situe ainsi ses ambitions non dans une perspective d’éducation intellectuelle, mais dans une esthétique de la sensibilité (entendons par là aussi bien l’acception morale que la signification pratique du terme). C’est dire tout ce qu’il refuse dans le système tragique classique (simplicité de l’intrigue, dépouillement de l’action, importance du caractère et de la psychologie dans la conduite de la pièce) ; c’est dire donc qu’il se trouve l’héritier direct des ambitions premières des philosophes, sinon dans l’utilisation du merveilleux, du moins dans le but profond de son œuvre : séduire et éduquer le spectateur dans son cœur plutôt que dans son esprit.

Mais ce qui traduit le plus l’influence du drame bourgeois dans le mélodrame, c’est peut-être cette place excessive faite au romanesque. Rompant avec la sèche intrigue de la tragédie classique (exception faite des dernières œuvres de Corneille, tragédies décadentes et touffues), le drame du xviiie s. avait tenté de reconstituer l’atmosphère complexe de la vie : les auteurs abandonnaient ainsi la ligne sobre qui avait séduit l’honnête homme de Versailles pour se plonger dans les situations les plus extrêmes de la misère humaine. D’un excès de stylisation, on arrivait à un excès de baroque surchargé.

Par-delà les influences immédiatement françaises, le mélodrame doit beaucoup aux dramaturges de Sturm und Drang (mouvement romantique allemand), en particulier à Schiller, Goethe et Kotzebue : comme eux, il choisira de préférence ses sujets dans le monde brutal du Moyen Âge (le Retour d’un croisé d’Alexandre Duval, Richard et Bradamante de Louis Charles Caigniez), qui facilite le dépaysement du spectateur et permet l’utilisation de nombreux effets spectaculaires.


Les sources populaires du genre, et sa vogue

Destiné à un public nouveau — la bourgeoisie dominante des Lumières —, le drame du xviiie s. avait manifesté un changement profond dans le choix des sujets qu’il s’agissait de présenter au spectateur : à public nouveau, sujets nouveaux !

Les bouleversements sociaux, politiques et culturels engendrés par la Révolution devaient continuer d’infléchir le mouvement amorcé par la dramaturgie de l’Ancien Régime agonisant en faisant apparaître des problèmes nouveaux sur la scène. C’est qu’une nouvelle couche sociale se dirigeait maintenant vers les tréteaux : le peuple. Représenté sur les scènes depuis longtemps déjà, personnalisé avec éclat par le Figaro de Beaumarchais, le peuple servait de porte-parole de la bourgeoisie, mais ne participait pas vraiment au monde dramatique. C’est pourquoi cet afflux de masses populaires devait entraîner l’élargissement du drame : les goûts de la bourgeoisie, pour n’être pas ceux du Versailles de Louis XIV, ne sont pas non plus ceux des sans-culottes. Ce peuple qui a lutté dix années durant pour que ne soient plus remises en cause les frêles acquisitions d’un jour est un public forgé dans la douleur et le sang. Les émois des marquises ne le satisfont pas ; il lui faut de l’horreur, des larmes, une intrigue complexe et invraisemblable, toutes choses susceptibles de provoquer par leur exposition ou leur dénouement une sensation forte. Comme le proclame le maître du genre, Pixerécourt : « J’écris pour ceux qui ne savent pas lire. »