Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mélodie

Suite de sons de hauteur et de durée variables exécutée en solo soit vocal, soit instrumental et dont l’agencement peut s’ordonner selon une infinité de rapports.


Pour exercer son mystérieux pouvoir musical, elle doit satisfaire à la fois l’oreille et l’entendement, ce qui implique, comme pour l’appréhension du discours parlé, le souvenir de ses deux éléments essentiels : intonation et rythme. Par sa nature et par sa représentation graphique (une ligne sinueuse tracée sur la portée dans le sens horizontal), elle s’oppose à l’harmonie, dont les sons émis simultanément (accords) se combinent et s’écrivent dans le sens vertical. J. P. Rameau* ne semble pas de cet avis lorsqu’il écrit dans son Traité de l’harmonie (1722) : « La mélodie provient de l’harmonie. » Mais, loin de manier le paradoxe, il estime avec raison que l’accord parfait et les premiers harmoniques jouent un rôle dans l’élaboration d’une mélodie, même non accompagnée, car l’harmonie sous-entendue peut aussi en déterminer le caractère. La mélodie revêt de multiples formes dont la nature varie selon les composantes des relations musicales (échelles, ambitus, durées, timbres, tempi, articulations) et aussi selon les époques, les ethnies et les compositeurs.

À l’origine, la mélodie est liée à la parole et à la danse. Les mots ou les pas commandent aux rythmes musicaux dans les incantations religieuses, les chansons de métier, les danses avec chœur des anciens Grecs, et plus tard dans les chants de l’Église chrétienne, des troubadours et des trouvères, et en tout temps dans la chanson et la danse populaires. Exécutée d’abord totalement à découvert, la mélodie est ensuite soutenue par un embryon d’accompagnement (pédale, percussion, vièle, luth, etc.). Au Moyen Âge, la technique du contrepoint, fondée sur la superposition de parties mélodiques indépendantes, ne favorise pas son libre épanouissement. Il arrive cependant que seule la mélodie supérieure soit chantée — c’est le cas des Ballades de Guillaume* de Machaut — et que les autres parties soient jouées par un ou plusieurs instruments. Cette pratique devient plus fréquente au xvie s. Au début du xviie s., la mélodie, après l’avènement de la monodie accompagnée (aria, air de cour), retrouve son autonomie. L’influence de la danse est alors décisive. La symétrie des gestes engendre la symétrie des rythmes. Des formes typiques, anciennes et nouvelles (chanson à danser, branles, courantes, sarabandes vocales ou instrumentales), divisées en périodes régulières et tributaires des répétitions (reprises ou refrains), imposent à la mélodie une carrure. À l’exemple des formes poétiques qui, depuis Ronsard, ont un rythme soumis au retour de divers accents (ce qui oblige à conserver des éléments fixes, par exemple la coupe, l’alternance des rimes masculines et féminines), la mélodie prend son essor, en dépit des entraves. Tandis que l’art du chant progresse continûment, elle s’épanouit non seulement dans les petites formes (air sérieux, air en rondeau, air à da capo, brunette, romance, chanson), mais aussi dans la musique dramatique (opéra, opéra-comique, singspiel) et la musique instrumentale (suites de danses, sonates, symphonies, concertos, etc.). Au début du xixe s., elle atteint au théâtre, en Italie, un point de perfection : D. Cimarosa*, G. Rossini*, V. Bellini (1801-1835) et G. Donizetti (1797-1848) sont par excellence des mélodistes. Leurs chants se différencient non seulement par leurs formes, mais aussi par leurs structures intérieures, qui reflètent l’originalité d’un compositeur, d’une école et d’un peuple. On peut faire la même remarque à propos de l’opéra français — bien que la mélodie y soit moins expansive — et de toute la musique dramatique européenne. Vers le milieu du xixe s., avec l’apparition du drame wagnérien, la mélodie échappe de plus en plus aux formes conventionnelles. Elle devient plus ample et perd souvent sa coupe et sa carrure. Au lieu de rester un chant à découvert, elle se transforme en « mélodie continue » et fusionne avec un accompagnement d’orchestre riche en couleurs, qui commente le drame. Après Wagner*, la mélodie connaît encore de nouvelles métamorphoses provoquées par le retour aux échelles modales anciennes, l’usage de nouveaux modes, soit exotiques, soit totalement inventés (modes à transpositions limitées d’O. Messiaen*), et l’apparition de l’atonalisme. A. Schönberg* et l’école dodécaphoniste ne fondent plus seulement la mélodie sur des rapports de hauteur, mais aussi sur une autre composante du son, le timbre, pour créer la « mélodie de timbres », dont la fonction est décorative ou structurelle (A. Webern*, Symphonie, op. 21, 1928). Dans ce dernier cas, P. Boulez* l’appelle mélodie abstraite.

Au commencement du xixe s., le terme de mélodie prend en France un sens plus restreint. Il désigne une petite composition de musique de chambre à voix seule avec accompagnement, dite auparavant « air », « chanson », « cantatille », « romance », et que les Allemands nomment lied. La paternité du mot dans sa nouvelle acception a été contestée. Il semble qu’elle doive être attribuée au poète irlandais Thomas Moore, qui publia (textes et musique) entre 1808 et 1834 une collection d’Irish Melodies. Le mot paraît avoir fait rapidement fortune en France. Peu après 1820, des musiciens commencent à mettre en musique des poèmes d’outre-Manche. Vers 1825, Pauline Duchambge, célèbre auteur de romances, publie une Mélodie imitée de Thomas Moore. En 1827 paraît chez Janet une anthologie de Mélodies romantiques. H. Berlioz* édite en 1830 ses Neuf Mélodies imitées de l’anglais. L’adoption de ce nouveau vocable pour qualifier un genre qui est encore loin d’avoir trouvé sa forme idéale permet dès lors d’éviter de le confondre avec l’air d’opéra, de cantate ou d’oratorio. Mais il se justifiera bientôt, car la mélodie s’apprête à devenir un genre indépendant. Dès ses débuts, elle est surtout influencée par F. Schubert*, dont paraissent à Paris les premiers lieder — qui seront suivis de beaucoup d’autres — sous le titre Six Mélodies célèbres avec paroles françaises par M. Belanger (1833). Le rôle important joué par l’accompagnement, les motifs rythmiques caractéristiques, la riche harmonie, l’union intime des paroles et de la musique, c’est-à-dire tout ce qui fait du lied le merveilleux traducteur de la pensée poétique va rapidement contribuer à élever le niveau artistique de la mélodie. « Schubert a tué la romance », écrit E. Legouvé en 1837. Le fait est que la mélodie en tant qu’air disparaît. Sa construction devient plus libre. La forme strophique n’est plus obligatoire. La carrure n’est plus toujours respectée, et le chant est parfois traité comme un récitatif. L’accompagnement devient plus dense, plus expressif, et peut même prendre un caractère orchestral. Enfin, les musiciens s’intéressent davantage à des poésies qui ont une valeur littéraire et dont les vers ont un intérêt psychologique et une couleur sonore. Ils mettent en musique V. Hugo, A. de Lamartine, A. de Musset, T. Gautier, G. de Nerval. H. Berlioz, avec ses Nuits d’été (1834-1841), assure le premier la transition entre romance et mélodie. S’il trouve parfois des accents neufs, il lui est difficile d’orienter sans erreur un genre intime pour lequel il n’est pas fait. À côté de lui, deux étrangers luttent contre la fadeur de la romance, mais ne peuvent imprimer à la mélodie un caractère spécifiquement français : G. Meyerbeer (1791-1864) accorde trop d’importance au bel canto italien ; F. Liszt* oscille entre lied et mélodie. Le rôle stimulant de la poésie romantique est plus sensible chez F. David (1810-1876), H. Reber (1807-1880) et surtout chez C. Gounod*, à qui revient le mérite d’avoir instauré la mélodie française. Bien qu’il préfère la forme strophique, il s’éloigne du cadre ancien et évite de tomber dans la fausse sentimentalité de son époque. Sa mélodie a du charme, de la fraîcheur ; son accompagnement reste simple, mais devient plus raffiné. Son Vallon (A. de Lamartine), composé vers 1840-1842, fait penser à Schubert. Après lui, G. Bizet* a le sens de la couleur locale ; L. Delibes (1836-1891), un style léger, gracieux et très français. J. Massenet* se libère davantage de la carrure, mais, malgré son habileté et sa souplesse, il ne donne pas à la mélodie, malgré l’importance qu’il accorde parfois à l’accompagnement, une orientation nouvelle. Par contre, trois musiciens, C. Saint-Saëns*, E. Lalo* — qui eux aussi ont écrit pour la scène — et C. Franck* sont également des maîtres de la musique instrumentale. Dans les commentaires (piano ou orchestre) de leurs mélodies revit — souvenir de Schubert et de Schumann — la flamme intérieure du poète lyrique. Un art plus subtil ouvre la voie à la vraie mélodie française, illustrée par H. Duparc*, E. Chabrier*, G. Fauré*, C. Debussy, M. Ravel*, F. Schmitt*, A. Roussel*, F. Poulenc* et O. Messiaen. Ces musiciens mettent en musique Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Louÿs, Apollinaire, Cocteau, Éluard et aussi des poètes du passé, C. d’Orléans, F. Villon, C. Marot, P. de Ronsard, Tristan L’Hermite, etc. La mélodie a évolué jusqu’à nos jours en même temps que le langage musical. Ses formes se sont encore assouplies, tandis que, par ses raffinements d’écriture, elle poussait à ses limites extrêmes l’art de suggérer, l’intelligence poétique, la distinction de ton et la pudeur d’expression. Maintenant que le champ harmonique s’est agrandi (musique atonale, musique électro-acoustique), la parole n’est plus guère traitée que comme un matériau musical, et la mélodie n’a trouvé un refuge que dans la chanson.

A. V.

➙ Air / Chanson / Lied.