Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Anvers (suite)

Pour cette raison, les Höchstetter, d’abord, puis les Fugger et les Welser d’Augsbourg, les Tucher de Nuremberg, etc., installent à Anvers des comptoirs permanents entre 1500 et 1550 environ, jusqu’au moment où s’affaiblit le courant commercial lusitanien (crise du négoce portugais des épices, afflux à Lisbonne de l’argent de Potosi par l’intermédiaire plus immédiat de l’Espagne), tandis que se trouve réactivée par les hauts Allemands la route alpestre de la Méditerranée.

Troisième pilier du commerce mondial d’Anvers (après le Portugal et la haute Allemagne), l’Angleterre des marchands aventuriers fait, en général, teindre à Anvers ses draps écrus avant qu’ils ne soient redistribués par elle dans toute l’Europe. Contribuant à assurer la prospérité de cette ville entre 1474 (accord juridique avec la nation anglaise) et les années 1560-1570, ce trafic atteint son apogée en 1550 (132 767 pièces de draps anglais importées par Anvers). Complétées par des chargements divers (plomb, blé, bière, fromage, laine), ces exportations auraient représenté en 1551, selon l’ambassadeur vénitien Marino Cavalli, une valeur de 300 000 ducats, alors que le marché anglais importait à la même date pour 500 000 ducats de biens divers : draps légers et toiles des Pays-Bas, produits sidérurgiques wallons, espagnols et haut-allemands. Atteint en 1551 par la réévaluation de la livre, qui renchérit le coût des produits anglais exportés, ce trafic si lucratif pour Anvers achève de se détériorer lorsqu’en 1564 les Anglais nouent par Emden des relations directes avec l’Europe centrale.

L’affaiblissement parallèle entre 1540 et 1560 de ses échanges avec l’Angleterre, le Portugal et la haute Allemagne explique peut-être la conclusion par Anvers de l’accord de 1540, qui aboutit au transfert dans cette ville en 1569 de la « nation des Hanséates » de Bruges (maison édifiée en 1568). Mais en raison de la présence des marchands d’Amsterdam en Baltique, Anvers trafique surtout avec les villes occidentales de la Hanse (dont Cologne), auxquelles elle livre des produits de luxe coloniaux ou non (vins de France, soieries, tapisseries, draps de Flandre et d’Angleterre) en échange de ceux des Esterlins : cire, cendre, peaux, laine, lin, chanvre, cuivre et fer.

Restés fidèles à Bruges, les Espagnols ne livrent aux Pays-Bas que des produits nationaux (fruits, peausseries, maroquineries) en contrepartie de tissus légers de laine et de lin d’origine locale et, plus rarement, de draps anglais, qu’Anvers vend par contre à la France.

Quant aux Italiens, ils s’intéressent moins aux échanges directs (corail d’Afrique du Nord, fruits du Midi, cotonnades contre tapisseries flamandes et tissus de lin et de laine) qu’au contrôle du commerce de réexportation des épices et des pierreries ibériques, et surtout au maintien à leur profit du monopole de vente de l’alun pontifical, dont Maximilien Ier a confié l’étape à Anvers en 1491, mais qui est concurrencé par l’alun castillan (8 000 t en 1559).

Cet essor commercial a d’importantes conséquences. La première est la constitution dans cette ville, dès le xve s., d’un grand marché de l’argent contrôlé jusqu’en 1520 par les marchands banquiers italiens, puis par leurs rivaux haut-allemands, d’ailleurs concurrencés par des Espagnols, des Anversois ou d’autres Italiens. Contraints les uns et les autres de prêter des sommes considérables aux États, ils sont en général victimes de leurs banqueroutes successives (Espagne et France en 1557 ; Portugal en 1560).

Curieusement marqué par un certain archaïsme (cession des obligations par-devant notaire ; prédominance des emprunts à court terme conclus de foire en foire et au taux de 2 à 3 p. 100 par trimestre, soit 12 p. 100 par an ; institution tardive de la lettre de change comme instrument de crédit), le marché d’Anvers se met pourtant à l’école de l’Italie. En relation avec presque toute l’Europe, disposant avec la Bourse d’un instrument financier de premier ordre (changes, dépôts), la ville devient le foyer privilégié de la spéculation européenne : trafic sur les valeurs et les assurances sur la vie (interdites en 1571) ; goût effréné pour les paris (interdits dès 1544) et pour les loteries, auxquelles l’État lui-même n’hésite pas à recourir.

Seconde conséquence de son essor, la croissance démographique très rapide d’Anvers (5 000 hab. vers 1374 ; 20 000 en 1440 ; 50 000 vers 1500 ; 100 000 vers 1560) entraîne la création au nord de la ville, par Gilbert Van Schoonbeke, d’un quartier au plan géométrique. Cette création est également justifiée par l’essor des industries nouvelles : draperie, raffinerie de sucre, fabriques de savon, de verre, de poteries, ateliers de taille de diamants et surtout d’imprimerie, dont les plus célèbres, ceux de Christophe Plantin (1520-1589), contribuent à faire d’Anvers un foyer de diffusion de l’humanisme. Et cela d’autant plus facilement que le Magistrat, très tolérant, s’est toujours efforcé de ne pas appliquer les placards antihérétiques des Habsbourg, en raison du séjour dans cette ville cosmopolite des colonies marchandes étrangères. Groupant peut-être 15 000 personnes en 1566, de telles colonies y facilitent la diffusion des idées réformées ou hétérodoxes.

Mais l’heure du déclin est arrivée. Déjà ébranlée par les crises commerciales et financières, Anvers est ruinée par les guerres de Religion ; elle doit céder sa fortune marchande à Amsterdam et, dans un premier temps, sa fortune financière à Gênes. Le sac de la ville par les mercenaires espagnols non soldés (4 nov. 1576), la prise de la ville par Alexandre Farnèse (1585), l’indépendance des Provinces-Unies, qui entraîne la fermeture des bouches de l’Escaut, confirmée par les traités de Westphalie de 1648, tous ces faits contribuent à faire d’Anvers une ville morte et dépeuplée (80 000 hab. en 1582 ; 42 000 en 1589). Après un regain d’activité dû à l’occupation française (1792 et 1794) et aux travaux portuaires entrepris sur l’ordre de Napoléon Ier, la ville, puissamment fortifiée, repousse les assauts anglais en 1809 (Bernadotte) et en 1814 (Carnot). Rouvert au trafic maritime sous la domination néerlandaise (1814-1830), ce « pistolet braqué au cœur de l’Angleterre » est de nouveau économiquement étouffé par le péage de 1,5 florin par tonneau de jauge perçu par les Pays-Bas avec l’accord de Londres sur tout navire remontant l’Escaut à destination d’Anvers. Pour sauver le port, qui revient à la Belgique en 1830, le gouvernement belge prend à sa charge l’acquittement du péage, puis s’en libère au prix d’un coûteux rachat en 1863.

À peine ralenti par les deux occupations allemandes (9 oct. 1914-nov. 1918 ; 18 mai 1940-4 sept. 1944), la seconde se terminant sans que les installations portuaires aient été détruites, l’essor d’Anvers reprend à vive allure, bénéficiant même en 1944 de son rôle de tête de pont alliée sur le continent.

P. T.