Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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médicament (suite)

Durant plusieurs siècles, l’art de guérir passe aux mains des Arabes. Leurs relations commerciales s’étendant sur de nombreux pays, ils font connaître des produits nouveaux tels que le camphre, le safran, la bourrache, le jasmin, le lilas. Les premiers, ils réalisent la distillation. Grâce à cette opération, ils obtiennent les eaux distillées et les essences. La distillation du vinaigre et du vin leur fournit l’acide acétique et surtout l’alcool, qui sert à préparer les alcoolés et les teintures. On doit également aux Arabes les élixirs, les loochs aux amandes et les électuaires. La préparation de ces formes galéniques ne leur fait pas négliger la pharmacie chimique, et ils emploient le sublimé corrosif, le nitrate d’argent.

Al-Rāzī ou Rhazès (v. 860-923), médecin de l’hôpital de Bagdad, utilise les sulfures de cuivre et de fer, obtenus par combinaison directe du soufre avec les métaux.

L’influence des Arabes se fait sentir sur les universités européennes créées au Moyen Âge : Salerne, Montpellier, Paris, Oxford. Aux plantes acclimatées et cultivées dans les jardins des monastères et des apothicaireries s’ajoutent les produits exotiques rapportés par les voyageurs. Le santal rouge, le benjoin de Sumatra, l’opopanax, le styrax se trouvent dès lors dans la plupart des droguiers. De 1244 à 1248, Albert* le Grand (v. 1200-1280) enseigne à Paris la métaphysique et la chimie. Il fait connaître les propriétés de la céruse, du cinabre, de l’acétate de cuivre. Il prépare l’acide nitrique.

Au xviie s., la thérapeutique s’enrichit de deux drogues d’importance capitale : le quinquina et l’ipéca. Cette période est caractérisée par un véritable engouement pour les remèdes d’origine animale, vogue qui préfigure l’opothérapie. On utilise les vipères, les scorpions, les vers de terre, les fourmis, les os calcinés, des sécrétions comme le musc, des concrétions comme le bézoard. Ces produits tomberont assez vite en désuétude, cependant la cantharide et le castoréum figuraient encore au Codex de 1949.

Les pierres et les métaux précieux sont également mis en honneur. L’or est fréquemment utilisé. Ainsi, Louis XIV prend des tablettes d’or et de perles selon les prescriptions de son médecin.

Mais c’est surtout l’ère de la chimie minérale. Déjà préconisé par Paracelse (Théophrastus Bombastus von Hohenheim v. 1493-1541) au xvie s., l’emploi du mercure, de l’antimoine, du fer et du cuivre va s’étendre en thérapeutique. Jean Béguin (1550-1620) utilise le protochlorure de mercure, ou calomel, en 1608. L’emploi de l’antimoine fait l’objet de controverses passionnées ; ses partisans finissent par triompher, et, en 1666, la Faculté de médecine admet le vin émétique parmi les remèdes purgatifs. Les découvertes du sulfate de magnésium par Nicker en 1616, du sel admirable de Johann Rudolf Glauber (1604-1668) en 1625, de l’esprit de Mindererus, ou acétate d’ammoniaque, en 1616, précèdent l’apparition du sel de Seignette, ou tartrate double de sodium et de potassium. Tous ces travaux sont l’œuvre d’apothicaires.

Vers le milieu du xviie s., on voit apparaître les premières « spécialités » ou formules originales préparées par leur inventeur et qui portent leur nom. Parmi les plus connues, on cite le laudanum de Rousseau, le baume Tranquille, composé par le père Aignan, dit père Tranquille, vers 1680.

Le xviiie s. voit le nombre des médicaments s’accroître, leur emploi se diversifier, leur posologie se préciser. L’apport des produits exotiques, ébauché le siècle précédent, s’accentue. Vers 1700, le R. P. Georg Joseph Kamel S. J. (1661-1706), pharmacien à Manille, envoie en Europe la « fève de saint Ignace » et fait connaître les strychnées. Pierre Barrère introduit en 1718 le simaruba, originaire de Guyane. La racine de ratanhia (1746) et le podophylle (1731) apparaissent dans les droguiers. Un nouvel excipient est employé : le beurre de cacao avec Quelus en 1715. La feuille de digitale, considérée jusqu’alors comme un poison redoutable, est utilisée en thérapeutique cardiaque grâce aux travaux d’Erasmus Darwin (1731-1802) et de William Withering (1741-1799) en 1775.

Le Formulaire parisien de 1748 (Codex medicamentarius seu Pharmacopea parisiensis) comprend la description de 931 drogues, dont 709 d’origine végétale, 117 d’origine minérale et 105 d’origine animale. De nombreux médicaments sont lancés dans le public sous la forme de « spécialités » dont la formule est contrôlée et protégée par un brevet. Le décret du 25 octobre 1728 crée une Commission de contrôle des médicaments, qui prendra différentes appellations au cours du siècle, pour aboutir à la Société royale de médecine, instituée par Louis XVI en 1776. Parmi ces remèdes brevetés, on peut citer l’orviétan de Regnard, la thériaque de la Compagnie des apothicaires de Paris, l’élixir de Garus, l’eau de mélisse des Carmes, etc.

À la fin du xviiie s. naît l’homéopathie* avec les travaux de C. Hahnemann (1755-1843) sur l’emploi des médicaments à de très petites doses.

Les progrès de la chimie thérapeutique se poursuivent également. Claude Joseph Geoffroy (1685-1752) prépare l’acide borique cristallisé, Andreas Marggraf (1709-1782) l’acide phosphorique en 1746, Carl Wilhelm Scheele* (1742-1786) découvre le chlore en 1774, l’acide arsénique et l’acide benzoïque en 1775, l’acide citrique en 1784, la glycérine en 1779. Tous ces travaux d’analyse et de synthèse, qui portent autant sur la chimie minérale que sur la chimie organique, ouvrent la voie aux chercheurs du siècle suivant et préparent leurs découvertes.

Le xixe s. est marqué par l’isolement des corps à l’état pur extraits des végétaux, dont ils constituent le principe actif. C’est une floraison de découvertes, de travaux originaux, de problèmes souvent résolus avec les moyens les plus modestes. Les alcaloïdes* et les glucosides apportent à la thérapeutique des médicaments une efficacité inconnue jusqu’alors. En 1804, les travaux d’Armand Seguin (1767-1835) et de Jean-François Derosne (1774-1855) sur le suc de pavot leur font isoler le premier alcaloïde, la morphine. Pierre Joseph Pelletier (1788-1842) et Joseph Bienaimé Caventou (1795-1877) découvrent l’émétine (1817), la strychnine, la vératrine (1818), la brucine (1819) et la quinine (1820). Pierre Jean Robiquet (1780-1840) obtient la codéine en 1832. Théodore Quevenne (1806-1855) et Augustin Eugène Homolle (1806-1883), en 1844, isolent le glucoside principal de la feuille de digitale, la digitaline amorphe, que Claude Nativelle (1812-1889) obtiendra à l’état pur et cristallisé en 1868. Parallèlement à ces travaux, la chimie apporte sa part à la thérapeutique. En 1811, Bernard Courtois (1777-1838) découvre l’iode ; en 1826, Antoine Jérôme Balard (1802-1876) sépare le brome. Justus von Liebig (1803-1873), en 1832, prépare le chloral. Charles Frédéric Gerhardt (1816-1856) découvre l’aspirine en 1853. En 1859, c’est la synthèse de l’acide salicylique par Hermann Kolbe (1818-1884), qui conduira à la préparation des salicylates.

Durant la seconde partie du siècle, la thérapeutique s’enrichira des sérums et des vaccins grâce aux travaux de Pasteur* et de ses élèves. La préparation scientifique des extraits de glandes endocrines et des organes animaux fera de l’opothérapie une médication efficace et très employée.