Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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médecine (suite)

Durant plusieurs siècles, à partir de la chute de Rome, la médecine va être dominée par l’Église. Certains aspects positifs apparaîtront, comme la création d’hôpitaux* (Hôtel-Dieu de Paris), mais le caractère attribué aux causes de la maladie va interdire tout esprit scientifique en médecine. Du xe au xiiie s., cependant, l’école italienne de Salerne, de tendance hippocratique, connaît un remarquable essor avec Warbod Gariopontus et Constantin l’Africain, et grâce à la composition de grands traités (Antidotarium, Regimen sanitatis salernitatum). En France, l’école de Montpellier constitue un autre centre important : la pensée y est modelée par les élèves des écoles arabes. D’autres universités se créent, à Padoue, à Oxford, à Paris, où enseigne Roger Bacon*. La majorité des médecins et des chirurgiens est encore influencée par l’école italienne : Guy de Chauliac et Henri de Mondeville, à Montpellier, avaient fait tous deux leurs études à Bologne.

Cependant, le mysticisme et les interdits religieux freinent la réflexion et l’expérimentation, bien que la médecine soit devenue laïque, et l’exorcisme est fréquemment requis en thérapeutique. Des rivalités entre barbiers et chirurgiens authentiques nuisent encore au progrès. Pourtant, vers le xive s. se développent les idées fondamentales de contagion, de quarantaine, qui sont les bases de la lutte contre des épidémies redoutables.


La Renaissance

Au cours de cette période, où certaines contraintes morales et intellectuelles sont rejetées, on assiste à un retour aux sources classiques de la culture philosophique et médicale de la Grèce. Le vaste savoir des médecins humanistes de la Renaissance leur permet d’acquérir un esprit critique souvent poussé. C’est le cas, par exemple, de Niccolò Leoniceno (1428-1524), qui, le premier, décrit la syphilis (en pensant toutefois à tort qu’il s’agit d’une maladie épidémique), mais surtout analyse les anciens auteurs. Cependant, l’érudition elle-même freine, dans une certaine mesure, l’esprit de recherche.

Durant la Renaissance, les progrès de l’anatomie sont considérables. Des artistes, Léonard* de Vinci et Albrecht Dürer* notamment, collaborent à ces progrès, réalisés grâce au désir de comprendre la mécanique humaine. Mais les médecins n’osent réfuter les descriptions de Galien avant André Vésale (Andreas Witing, 1514-1564), père de l’anatomie moderne. Ce dernier, qui enseigne à Padoue, publie en 1543 le De corporis humani fabrica, où il démontre les erreurs de Galien. Fallope (1523-1562), élève de Vésale, lui succède à Padoue ; Bartolomeo Eustachi (1520-v. 1574), adversaire de Vésale, est également célèbre par ses descriptions anatomiques. D’autres anatomistes — Fabrici d’Acquapendente (1533-1619), Adriaan Van den Spieghel (1578-1625) — font également progresser la connaissance du corps humain. Les secrets de la petite circulation (pulmonaire) sont presque découverts. Michel Servet (1511-1553) écrit : « Le sang noir se transforme en sang rouge au niveau des poumons grâce à sa circulation. »

Realdo Colombo (v. 1520-1560) nie le passage direct du sang du ventricule droit au ventricule gauche, décrit le fonctionnement des valvules cardiaques et la circulation. En 1569, Césalpin (Andrea Cesalpino, 1519-1603) enlève au foie le rôle essentiel dévolu par Galien et le donne au cœur. Mais la physiologie reste balbutiante.

Le médecin acquiert au contact des patients une expérience solide et une pratique salutaire. Pourtant, il demeure ignorant et désarmé devant les épidémies très fréquentes. Jérôme Fracastor (Girolamo Fracastoro, 1483-1553) va jeter les bases de l’épidémiologie, en montrant que la contagion est due à des « germes » — seminaria contagionum —, que ses traitements cherchent à détruire et dont des mesures hygiénistes doivent limiter la diffusion. Il décrit la syphilis et énonce les bases du traitement mercuriel. Paracelse (Theophrastus Bombastus von Hohenheim, v. 1493-1541), grand réformateur, renie les anciens, enseigne en allemand, préconise les métalloïdes en thérapeutique.

Parmi les chirurgiens, Ambroise Paré (v. chirurgie) révolutionne le traitement des plaies, qu’il étudie rationnellement, en rejetant la classique cautérisation au profit du pansement. Il codifie les amputations et les contentions par bandage. Pierre Franco (v. 1506-v. 1579) rédige un Traité des hernies, et Giovanni da Vigo (1460-1525) un Traité de chirurgie (1517). À Bologne, Gaspare Tagliacozzi (1546-1599) codifie la chirurgie plastique.


Le rationalisme médical

Les xviie et xviiie s. sont marqués par le développement de la physiologie, par l’apparition de l’histologie et surtout par l’influence du rationalisme cartésien, ou galiléen, sur les esprits scientifiques.

En physiologie, William Harvey (1578-1657) décrit et démontre en 1628 dans l’Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis circulatione la circulation* sanguine. Malgré ses détracteurs (dont l’anatomiste Jean Riolan [v. 1577-1657]), cette théorie va triompher. D’autres savants étudient la mécanique musculaire (Giovanni Alfonso Borelli [1608-1679]), la transpiration cutanée (Santorio Santorio [1561-1636]) ou la température du corps. La circulation de la lymphe est mise en évidence par Gaspare Aselli (1581-1626), précisée par Jean Pecquet (1622-1674), qui découvre le canal thoracique, et confirmée par Thomas Bartholin (1616-1681).

Marcello Malpighi (1628-1694) met en évidence les capillaires sanguins et confirme l’hypothèse de Harvey. Il crée l’étude histologique des tissus et aborde la cellule.

Les anatomistes Nicolas Sténon (Niels Steensen, 1638-1686), Thomas Wharton (1614-1673) et Johann Georg Wirsung (1600-1643) décrivent les canaux de la parotide, des glandes salivaires et du pancréas.

En pathologie, Jan Baptist Van Helmont (1577-1644), qui montre la présence de CO2 dans le sang, et Thomas Willis (1621-1675), adepte de la théorie des ferments, veulent combattre la maladie par des moyens chimiques. D’autres médecins, tel Thomas Sydenham (1624-1689), font usage du seul bon sens pour analyser les données de l’examen clinique. Sydenham décrit remarquablement la variole, le typhus, la scarlatine au cours des épidémies qu’il observe. Il utilise des thérapeutiques simples, dont l’usage prolongé a confirmé l’efficacité, et refuse les méthodes chimistes. En France, c’est l’époque de la guerre de l’antimoine entre Théophraste Renaudot (1586-1653), diplômé de Montpellier, son partisan, et Gui Patin (1601-1672) de Paris, son adversaire. L’antimoine l’emporte en 1666. Paris lutte également contre le quinquina, plante guérissant la malaria, d’origine indienne, découverte par des jésuites au Pérou. Après l’introduction de cette plante en Angleterre, c’est Robert Talbor qui la « vend » à Louis XIV, fort cher, quarante ans plus tard. L’ipéca est introduit en thérapeutique grâce aux troubles digestifs du Roi-Soleil. L’intervention sur la fistule du roi (1687) libère les chirurgiens, qui se livrent à leur art en soutenant leurs patients de l’exemple royal. Mais la chirurgie fait peu de progrès. L’obstétrique, par contre, devient une spécialité dont François Mauriceau (1637-1709) codifie les techniques. Le forceps de Hugh Chamberlen, médecin anglais, ne sera, cependant, pas utilisé avant 1815 de manière générale, soit cent ans après son invention. Enfin citons les premiers essais de transfusion sanguine en 1667 (Jean Baptiste Denis), qui furent rapidement abandonnés.