Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mauritanie (suite)

On sait par les historiens anciens que Bocchus Ier, maître d’un vaste royaume fondé avant le ive s. sur la Moulouya, étendit sa souveraineté vers l’est en annexant une partie de la Numidie. Il était très mêlé aux affaires de Rome, qu’il fournissait en bêtes fauves et à qui il livra son gendre Jugurtha (105 av. J.-C.). Après sa mort, vers 80 ou 70 av. J.-C., le royaume fut partagé. Bogud, roi de Mauritanie occidentale, seconda César à Munda, puis, partisan d’Antoine, se fit tuer en 31 av. J.-C. à Méthone (Grèce), tandis que ses États passaient aux mains de son frère Bocchus II († v. 33 av. J.-C.), déjà roi de Mauritanie orientale, et qui fut du parti d’Octave. C’est peut-être ce Bocchus qui édifia le mausolée connu sous le nom de Tombeau de la chrétienne (près de Tipasa). Comme il était mort sans héritiers, les Romains, déjà infiltrés dans le pays, en prirent en main le gouvernement et fondèrent une série de colonies, surtout sur la côte méditerranéenne. Néanmoins, Auguste reconstitua un royaume de Mauritanie, qu’il donna en 25 av. J.-C. à Juba II (v. 52 av. J.-C. - 23/24 apr. J.-C.), Numide, fils de roi numide, mais élevé à Rome et pénétré de culture latine. Sous le protectorat vigilant de Rome, à laquelle il devait une inéluctable fidélité, Juba II s’adonna aux lettres et aux arts, collectionnant statues et livres, écrivant lui-même et embellissant sa capitale, loi, rebaptisée Caesarea (Césarée). Ses sujets ne se résignèrent pas aussi bien à l’étroite suzeraineté romaine et se révoltèrent, sans succès. Ptolémée (v. 23-40 apr. J.-C.), son fils, lui succéda et poursuivit la même politique. Mais un semblable royaume ne pouvait avoir d’avenir. Jaloux de son faste, Caligula fit tuer Ptolémée (40). L’insurrection qui se déclencha alors dans le pays fut réprimée difficilement et deux provinces impériales remplacèrent la monarchie (42).


Les Mauritanies romaines

La Mauritanie Césarienne, du nom de Caesarea (auj. Cherchell), sa capitale, et la Mauritanie Tingitane (capitale Tingis [Tanger] ou peut-être Volubilis) se partagèrent le pays, de part et d’autre de la Moulouya. Elles furent gouvernées par des procurateurs de rang équestre. La première bénéficia de l’essor des colonies, tandis que la seconde, lointaine, peut-être tout juste accessible par la voie terrestre — question controversée —, colonisée aussi, mais plus occupée par des garnisons que par des colons, devait souffrir plus que la Césarienne de troubles répétés, causés le plus souvent par les tribus montagnardes de l’Atlas. On mentionne dans les Mauritanies des soulèvements plus ou moins étendus sous Domitien, Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux et encore plus aux iiie et ive s. Le Rif était un repère de pirates. Du côté du Sahara, le limes, tant en Césarienne qu’en Tingitane, protégeait des incursions des nomades du désert. Il était de conception hétéroclite, et son extension n’est vraiment connue que depuis peu. La limite du pays occupé ne fut d’ailleurs pas immuable, et la Tingitane fut rétrécie, mais consolidée, à la fin du iiie s., par un repli général. C’est à ce moment que fut créée une troisième province, la Mauritanie Sitifienne, détachée de la Césarienne, avec la colonie de Sitifis (Sétif) pour capitale.

La pacification, bien que manifestement limitée, a permis toutefois l’épanouissement de la civilisation romaine dans la partie septentrionale des provinces. On s’en étonne parfois, et, devant l’ampleur des ruines de Volubilis, on a pu parler de « curieuse exception » (v. Chapot). Avec la province d’Afrique, le contraste est marqué. Mais les recherches archéologiques n’ont longtemps pas atteint ici la même ampleur. Caesarea, Tipasa, Tingis, Banasa ont été, comme Volubilis, des villes florissantes. La culture céréalière s’est développée grâce au débouché italien. Les ruines d’opulentes villas agrémentées de mosaïques signalent la présence de vastes domaines. En bordure de Méditerranée ont poussé les olivettes. Sur la côte marocaine, et surtout à Mogador, la très ancienne fabrication de pourpre s’est poursuivie. Au sud, la colonisation s’est étendue aussi, se hasardant à travers le limes, où les travaux d’irrigation se mêlent aux ouvrages de défense.

Partout on pouvait se sentir à la campagne : à Volubilis même, les maisons possédaient leurs pressoirs à huile. Partout aussi la population paraît mêlée : les colons sont loin d’être des Romains de Rome. Les relations extérieures s’orientent plus souvent d’ailleurs vers la Bétique que vers l’Italie. Ce n’est pas une véritable colonie de peuplement. Si les inscriptions, latines, nomment des dieux romains, on sent la présence, auprès des maîtres étrangers, d’une immense population berbère qui ne fait parler d’elle qu’à l’occasion de raids, de razzias ou de révoltes. Cela est surtout vrai de la Tingitane, et c’est ce qui explique le repli stratégique du temps de Dioclétien, beaucoup plus prononcé ici qu’en Césarienne : Volubilis elle-même semble avoir été évacuée. Au Bas-Empire, les provinces remaniées, réorganisées, sont plus militarisées que jamais.

En Césarienne, un praefectus gentis est chargé des relations avec les Maures insoumis. Le christianisme a pénétré tardivement, mais il s’est assez solidement implanté pour résister ici et là jusqu’après l’établissement de l’islām (viie s.), après et à travers le déferlement des Vandales, qui se firent octroyer les Mauritanies en 435 et 442, les nouveaux assauts des chefs de tribus indépendantes, tel Masuma (ou Masuna, ou Massonas), qui se disait au ve s. ou au début du vie s. roi des Maures et des Romains, et la reconquête byzantine (534), qui balaya les traces des Barbares mais pressura à mort les contribuables, laissant par ailleurs la Tingitane à ses maîtres berbères.

R. H.

➙ Afrique romaine / Berbères.

 G. Poulet, les Maures de l’Afrique occidentale (Challamel, 1904). / M. Ould Hamidoun, Précis sur la Mauritanie (I. F. A. N., Saint-Louis, 1953).