Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Maupassant (Guy de) (suite)

Les contes des mille et une vérités

La précision et la lucidité de Maupassant laissent bien peu à désirer, ce que notait Jules Lemaitre : « Maupassant offre peu de prise au bavardage de la critique. » Cette suffisance de l’œuvre vient de la passion de vérité qui anime chaque conte ou roman. Et il faut mettre en valeur les aspects du génie de Maupassant en cherchant les constantes de ses récits.

C’est d’abord la Normandie, lieu d’élection du conteur. Maupassant peint sans se lasser le paysan normand, sans férocité comme sans aménité (la Ficelle, le Petit Fût), ou le chasseur (la Roche aux guillemots, le Loup) : il montre par là quelle passion il avait pour la nature brute, simple, sauvage parfois (Mont-Oriol, Sur l’eau, la Mère Sauvage) et quel intérêt il portait à l’analyse sobre des instincts et des passions.

La guerre de 1870 constitue aussi une mine pour cet observateur impartial : il combat les atrocités et la violence, il peint l’hypocrisie ou la lâcheté des uns, la bravoure et le patriotisme des autres (Boule-de-Suif, Sur l’eau, l’Angélus, la Folle, le Père Milon, Un duel).

Bien souvent, c’est la peur qui est au cœur de ses récits (l’Apparition, la Peur, l’Horrible). Influencé dans une certaine mesure par les contes fantastiques d’Hoffmann et de Poe, ayant connu l’écrivain anglais Swinburne, Maupassant est hanté par le démon de la peur : il lui suggère son premier conte, la Main d’écorché ; il lui dicte des chefs-d’œuvre comme Lui ?, le Horla, l’Auberge, l’Apparition, la Nuit, le Fou, le Tic, Qui sait ? Les angoisses de Maupassant étaient réelles : souffrant de migraines nerveuses dès sa vingtième année, abusant de l’éther, il était la proie d’hallucinations visuelles qui le conduisirent à la folie. C’est cet étrange destin qui frappe chez Maupassant ; un visionnaire que la lucidité aveugle.

Si le bonheur apparaît dans son œuvre, c’est fugitivement : le début de Mouche, l’Enfant, le Pardon ; lui aussi succombe sous le poids de la vérité : car le malheur est cette vérité, celui des animaux (l’Âne), celui des humbles (la Rempailleuse, Yvelin Samoris, Miss Harriett) ; les « grandes misères des petites gens », Maupassant les peint sans se départir du démon de la vérité. Il met en scène la vie quotidienne, mais il en dévoile tous les secrets : ceux des prêtres (le Saut du berger, Mon oncle Sosthène), ceux des « ronds-de-cuir » (l’Héritage, En famille), ceux des adultères (Une aventure parisienne, la Bûche, Marocca, la Veillée, Une passion) ; il s’en prend à la frivolité (Un coq chanta, la Rouille) et à la brutalité (Un bandit corse, la Mère aux monstres). Sans faiblesse, Maupassant traque le quotidien : il ne noircit pas, il éclaire.


Solitude de la lucidité

On s’en aperçoit vite, la vision de Maupassant est noire : « Voir clair, c’est voir noir », a dit Valéry. Ses « maîtres » sont tous de grands désespérés : Flaubert, J.-J. Rousseau, Schopenhauer. « Faune un peu triste », selon l’expression de Jules Lemaitre, Maupassant a conscience que « tout se répète sans cesse et lamentablement », ce qui donne à son œuvre cet accent si tragique qui l’unifie.

Flaubert l’a pour toujours marqué de son désespoir et de son exigence artistique, qui constitue le meilleur contrepoison à la vie. En Schopenhauer, il admire le « jouisseur désabusé » qui « a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les chimères, détruit les aspirations, ravagé la confiance des âmes, tué l’amour, abattu le culte idéal de la femme, crevé les illusions des cœurs, accompli la plus gigantesque besogne de sceptique qui ait jamais été faite ». L’Inutile Beauté et les Caresses rendent hommage au « plus grand saccageur de rêves qui ait passé sur la terre ».

Maupassant nie la Providence, considère Dieu comme « ignorant de ce qu’il fait », voit dans l’univers une sempiternelle et « horrible misère ». L’homme ? — « Une bête à peine supérieure aux autres. » Le Progrès ? — un mot creux. Dès lors, Maupassant est en proie à « la peur harcelante de la solitude [...], sentant le vide autour de lui, le vide insondable où s’agite son cœur, où se débat sa pensée » (Sur l’eau). Le foyer de sa vision, celui aussi de son microcosme intime, réside donc dans la solitude de l’observateur qui se perd pour avoir trop vu la vérité : « Pourquoi donc cette souffrance de vivre ? C’est que je porte en moi cette seconde vue qui est en même temps la force et toute la misère des écrivains. J’écris parce que je comprends et je souffre de tout ce qui est, parce que je le connais trop. »


« La vérité choisie et expressive »

Maupassant n’a pas été un théoricien ; son œuvre, voilà sa théorie, une théorie réalisée, faite vie et vérité de langage. Sa préface à Pierre et Jean, « le Roman », constitue moins une introduction à ce récit psychologique qu’un regard jeté sur la production passée, doublé d’une large perspective sur l’avenir du genre et sur les fondements de la critique.

Suivant les conseils de Flaubert, il s’attache à « dégager » son originalité ou à en « acquérir une », s’efforçant de découvrir dans chaque chose « un aspect qui n’a été vu et dit par personne ». Dès lors, la formule naturaliste « toute la vérité » ne tient plus devant le souci de perfection et d’originalité : « Le réaliste, s’il est un artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. »

Cette volonté repose sur le sentiment de Maupassant que la réalité n’est qu’illusion et que l’art doit être la vérité de cette illusion : « Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai [...] J’en conclus que les réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des illusionnistes. » Chaque écrivain se fait une illusion du monde : le grand écrivain est celui qui rend cette illusion « vraie ».

Dès lors, l’art du conteur tient à l’agencement de son récit : « L’art consiste à user de précautions et de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées, à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels et à donner à tous les autres le degré de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la vérité spéciale qu’on veut montrer. »