Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Matisse (Henri) (suite)

Ces années d’études montrent de sages recherches : copies au Louvre (Fragonard, Delacroix, Chardin surtout), paysages exécutés en plein air en compagnie de Marquet et tableaux d’atelier acceptés au Salon de la Société nationale des beaux-arts, où l’État achète en 1896 la Liseuse pour le château de Rambouillet. Mais, à partir de cette date, la révélation de l’impressionnisme* (rencontre à Belle-Île d’un artiste ami de Monet, John Russell [1858-1931] ; découverte du legs Caillebotte au musée du Luxembourg en 1897) et l’émerveillement de la lumière méridionale (séjour en Corse, puis à Toulouse, d’où est originaire sa jeune épouse, Noémie Parayre) orientent l’art de Matisse vers de nouveaux intérêts. Celui-ci quitte les Beaux-Arts après que le très académique Fernand Cormon eut remplacé Moreau († 1898) et fréquente l’académie Carrière, où il se lie avec Derain, qui lui présentera Vlaminck*. En 1899, l’achat des Trois Baigneuses de Cézanne* (qu’il léguera en 1936 à la Ville de Paris), celui d’une Tête de garçon de Gauguin* et d’un dessin de Van Gogh* révèlent ses dilections. Dans quelques toiles, tel l’Homme nu (1900, collection Pierre Matisse, New York), Matisse semble s’orienter, comme Rouault, vers un expressionnisme issu des études préparatoires de Moreau, traitées au couteau en grands plans. D’autre part, il a découvert chez son maître une orgie de couleurs (Pasiphaé, aquarelle, musée Gustave Moreau) qu’à son tour il organisera selon ses dons personnels ; « Vous allez simplifier la peinture », avait prédit Moreau.

Avant d’être vraiment lui-même, il a cependant encore une étape à franchir. Depuis 1901, il expose au Salon des indépendants, présidé par Paul Signac, dont il a médité le texte paru en 1899 dans la Revue blanche et consacré au néo*-impressionnisme. Retrouvant cet artiste, accompagné d’Henri Edmond Cross (1856-1910), à Saint-Tropez en 1904, il expérimente le pointillisme. L’œuvre majeure de cette période, Luxe, calme et volupté (collection privée), est exposée au Salon des indépendants de 1905, où se tiennent des rétrospectives Seurat* et Van Gogh. La révélation du génie transcendant un système chez l’un et niant toute contrainte chez l’autre est complétée au cours de l’été par celle des Gauguin de Tahiti appartenant à Daniel de Monfreid (1856-1929), auquel Matisse et Derain rendent visite pendant leurs vacances à Collioure. Assimilant toutes ces influences, le peintre s’éloigne du divisionnisme : la touche s’élargit, les tons s’intensifient, la ligne s’assouplit. Cette évolution aboutit aux violences colorées de la Femme au chapeau (1905, coll. priv., États-Unis), clou du Salon d’automne de 1905, où naît le fauvisme, avec Matisse comme chef de file. L’année suivante, la Joie de vivre (fondation Barnes, Merion, États-Unis) suscitera la colère de Signac.

Cependant, les outrances élémentaires du fauvisme n’ont qu’un temps pour Matisse ; ses épousailles avec la couleur s’accompagnent bientôt d’une volonté essentielle d’organisation des tons dans l’espace. « Je cherche des forces, un équilibre de forces », note-t-il à propos de la Desserte rouge (1908, musée de l’Ermitage, Leningrad), où se trouvent réunis tous les sortilèges de l’arabesque, qui sera l’une des clefs de son art.

Contrairement aux impressionnistes, Matisse, comme d’ailleurs les autres fauves, est très vite accepté par des galeries (Berthe Weill, 1902 ; Druet, 1903 ; Ambroise Vollard, 1904 ; Bernheim-Jeune, 1910). En 1908, Paul Cassirer à Berlin, Alfred Stieglitz à New York lui consacrent des expositions. Sa gloire est rapidement internationale. Parmi ses premiers amateurs, certains sont français, comme Marcel Sembat et Paul Jamot, d’autres américains, comme les Stein (acquéreurs en 1905 de la Femme au chapeau). Sarah Stein, aidée du peintre Hans Purrmann, qui subit depuis son arrivée à Paris l’ascendant de Matisse, incite celui-ci à fonder une école, où, de 1907 à 1911, il forme de brillants élèves étrangers : le Norvégien Per Krohg (né en 1889) le Suédois Nils Dardel (1888-1943). À partir de 1908, le marchand russe Sergueï Ivanovitch Chtchoukine achète à Matisse trente-quatre toiles, parmi lesquelles les panneaux de la Danse et de la Musique (1909-10, auj. à l’Ermitage), dont il va sur place, en 1911, surveiller l’installation.

Les voyages (Allemagne, Italie, Maroc, Russie, États-Unis, etc.) apportent à Matisse un enrichissement visuel toujours renouvelé. Depuis le séjour à Biskra (1906), dont le souvenir est à l’origine du plus expressionniste de ses tableaux (le Nu bleu, 1907, musée d’Art de Baltimore), jusqu’au séjour à Tahiti (1930), dont il transmutera les impressions dans la Danse de la fondation Barnes à Merion, la révélation lui est « toujours venue de l’Orient ». Ce goût, qu’avait éveillé en 1903 l’exposition d’art musulman au pavillon de Marsan, à Paris, s’irradie dans les « Odalisques » de 1921 à 1927. Mais, auparavant, le cubisme*, dont le nom est né de l’une de ses boutades, effleure l’art de Matisse, qui, réformé, se trouve au début de la guerre à Collioure, où séjourne également Juan Gris (1887-1927). Le portrait d’Yvonne Landsberg (1914, musée d’Art de Philadelphie) illustre cette volonté de tons neutres et de géométrie, mais les formes inscrites dans des schémas ovoïdes s’apparentent aux lignes des statues nègres, objets d’intérêt pour Matisse depuis 1906.

À partir de 1917, Matisse passe l’hiver à Nice, se préoccupant quelque temps de recherches plus abstraites sur l’espace et la musicalité : la Leçon de piano (1916 ou 1917, musée d’Art moderne, de New York) semble ainsi éterniser le tempo d’un « moderato cantabile ». Après la guerre, son style montre une détente, un retour aux délices ornementales auxquels ses conversations avec Renoir* en 1918 ne sont pas étrangères. Peintures d’intimité où l’éclat des fleurs et des fruits concurrence celui des chairs féminines, les diverses Odalisques doivent beaucoup aux aquarelles des Femmes d’Alger, car Delacroix*, de même qu’Ingres*, est l’un des maîtres auxquels Matisse aime se référer. La Légion d’honneur en 1925, le prix Carnegie en 1927 consacrent le succès du peintre. Celui-ci revient à plus de rigueur par l’intermédiaire des découpages coloriés, qui lui servent à la préparation des grands panneaux de la Danse (1931-1933) commandés par le Dr Barnes. La sobriété s’accentue dans le Nu rose (1935, musée d’Art de Baltimore). Un incessant souci de l’interpénétration sans modelé des figures dans l’espace, du jeu sans épaisseur des couleurs et du contour aboutit aux différentes versions de la Robe rayée et de la Blouse roumaine.