Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mathias Ier Corvin (suite)

En 1468, sollicité par le pape Paul II, qui désirait mettre fin à l’hérésie hussite, et par l’empereur Frédéric III, il se joignit à la ligue catholique contre le roi de Bohême, son beau-père. Il fut un moment proclamé roi de Bohême par les Tchèques catholiques (1469), mais les troupes du roi de Bohême, avec l’aide des Polonais, surclassèrent celles des envahisseurs, et Mathias dut renoncer au trône bohémien, qui passa, après la mort de Georges de Podĕbrady en 1471, au fils du roi de Pologne, Ladislas Jagellon.

Mais les Polonais, à leur tour, allèrent attaquer la Hongrie dès 1471, et les hostilités avec Ladislas II Jagellon III durèrent jusqu’en 1478. À la paix d’Olomouc de 1479, la Hongrie obtenait du roi de Bohême la Moravie, la Silésie et la Lusace.

Avant même la fin de cette guerre, Mathias, en 1477, avait attaqué l’empereur Frédéric III. En quelques années, il s’emparait de la Styrie, de la Carinthie et de la Carniole ; en 1485, enfin, il entrait à Vienne, dont il faisait sa capitale. À cette date, au comble de sa gloire, allié des ducs de Saxe et de Bavière ainsi que de la Confédération suisse, il était le plus puissant prince de l’Europe centrale.

Mais cet empire était fragile. Malgré un remariage avec Béatrice d’Aragon, fille du roi Ferdinand Ier d’Aragon, Mathias n’avait pas de postérité légitime et se préoccupait d’assurer sa succession à son fils bâtard Jean Corvin. Sa mort subite à Vienne, le 6 avril 1490, ne lui permit pas de mener cette tâche à bien. Les magnats, qui redoutaient l’autoritarisme des Corvin, firent écarter la candidature de son fils naturel et offrirent le trône à son vieil ennemi, le roi de Bohême, Ladislas (Vladislas II de Hongrie).

Mathias ne fut pas seulement un grand conquérant. Remarquable homme d’État et habile administrateur, il fut aussi un grand prince de la Renaissance. Ami de Laurent le Magnifique, qui lui envoyait des bronzes du Verrocchio, il achetait des tableaux à Filippino Lippi et mettait sa riche collection de manuscrits d’antiques à la disposition des érudits de son temps.

À Buda, il embellissait son palais avec des œuvres d’art italiennes. Passant ses nuits en lecture, passionné par toutes sortes de connaissances, il fut lui-même un remarquable humaniste.

P. R.

➙ Hongrie.

 V. Fraknói, Hunyadi Mátyás (en hongrois, Budapest, 1890). / Z. Tóth, les Mercenaires étrangers du roi Mathias (en hongrois, Budapest, 1925).

Mathieu (Georges)

Peintre français (Boulogne-sur-Mer 1921).


Georges Mathieu, après des études d’anglais, de droit et de philosophie, aborde la peinture en 1942. Son aventure très personnelle débute en 1944 dans l’atmosphère d’un surréalisme tardif, à mi-chemin entre le surréalisme classique et l’expressionnisme ; Mathieu se tourne alors vers l’abstraction* et, précédant Wols* et Pollock*, utilise taches et couleurs. L’offensive de l’abstraction lyrique qu’il mène aux côtés de Wols, de Jean Michel Atlan (1913-1960) et de Hartung* le place au premier plan de l’avant-garde artistique. Mais, s’écartant du tachisme et de l’informel, Mathieu élabore bientôt son esthétique du signe, surtout après avoir étudié en 1950 la Gestalttheorie*. Il écrit : « L’art étant langage, le signe est son élément premier », et André Malraux peut alors affirmer : « Enfin, un calligraphe occidental ! »

Déployant une activité intense et multiple (conférences, manifestes, expositions...), Mathieu réalise ses premières grandes toiles (en 1952, l’Hommage au maréchal de Turenne [200-400 cm, coll. de l’artiste] ; en 1954, la Bataille de Bouvines [250-600 cm, coll. de l’artiste], exposée au salon de Mai) et conçoit aussi bien des décors de théâtre (la Saga de Lug Hallewijn d’Emmanuel Looten) que des mises en pages (United States Lines Paris Review, qu’il dirige, et l’hebdomadaire royaliste la Nation française). Il rédige d’importants articles, comme Pour une désaliénation de l’art (dans Arguments, 1961), où il propose de « revaloriser les notions de fête, de jeu, de sacré » ; il entre lui-même « dans l’arène » en donnant en spectacle la création d’une œuvre sur la scène du théâtre Sarah-Bernhardt à Paris (1956), puis à Tōkyō (deux fresques immenses peintes dans la rue), Ōsaka, New York, Düsseldorf, Stockholm. Sa peinture est un jaillissement total, spontané et continu, mais non sans réflexion : il note que « c’est l’alternance de l’exécution et de la critique qui [lui] semble la seule condition nécessaire pour travailler », et il insiste sur l’importance « de se garder le maximum de moyens de contrôle ». Le public peut en juger en 1963 lors du vernissage de la grande rétrospective de son œuvre au musée national d’Art moderne de la Ville de Paris, où il peint la Victoire de Denain (275-700 cm, coll. de l’artiste). La même année paraît son livre Au-delà du tachisme. Bientôt, estimant qu’aucun domaine ne doit échapper à l’artiste et à sa mission, Mathieu aborde le problème de l’art dans ses formes quotidiennes : mosaïque, tapisserie, céramique, meuble, médaille, affiche (série consacrée aux nations du monde, pour Air France, 1967), architecture (une usine en Vendée).

Mais « la Révolte, la Vitesse, le Risque » restent ses trois mots d’ordre. La même frénésie de mouvement habite sa vie et son œuvre. Les rétrospectives de Mathieu se multiplient dans le monde, ainsi que ses voyages ; le peintre devient le missionnaire non seulement d’un art nouveau, mais aussi d’une éthique nouvelle, d’une métaphysique : « Renverser le sens de nos rapports avec l’Univers, [...] jeter les bases d’une métaphysique du vide, du risque et du détachement, recréer une foi, une confiance, un esprit de sacrifice dont l’absence est à l’origine du malaise de notre civilisation fondée sur l’émergence, restructurer les formes, rétablir l’ordre dans les rapports êtres-choses, devoirs-droits, réinstaurer la notion de personne, tels apparaissent les prochains impératifs de l’artiste et de l’homme » (Pour une désaliénation de l’art). Mathieu défie : il proclame la vertu de la tradition, qu’il entend comme une source toujours renouvelée, il fustige la culture de l’Occident, il affirme que « ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une Révolution, c’est d’une Renaissance » ; là où tant d’artistes d’avant-garde exigent une société nouvelle, il réclame un ordre nouveau dans la société. Ardent et inlassable « croisé », il lance à la radio, en janvier 1968, un « Appel aux jeunes », déjà publié à Paris en 1964 : « l’Art dans sa fonction prémonitoire annonce de merveilleux cataclysmes en projetant dans l’inconnu et la terreur les petits maîtres chanteurs du bien-être. La plus grande mutation intellectuelle, spirituelle et sociale de tous les temps se prépare. Elle est en marche. »

F. D.

 F. Mathey, Georges Mathieu (Hachette-Fabbri, 1969). / D. Quignon-Fleuret, Mathieu (Flammarion, 1973).