Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Masaryk (Tomáš Garrigue) (suite)

Le fondateur de la République tchécoslovaque

En octobre 1914, il prend contact aux Pays-Bas, État neutre, avec le journaliste anglais Henry Wickham Steed (1871-1956) et l’historien Robert William Seton-Watson, et leur remet un premier projet d’indépendance de son pays.

Dès cette époque, il est persuadé que la guerre amènera le démembrement de l’Autriche-Hongrie. Il est le premier à concevoir un État tchécoslovaque réalisant l’indépendance de la Bohême et de la Moravie au nom du droit historique et y unissant, au nom du droit naturel, la Slovaquie.

En décembre 1914, il quitte l’Autriche pour la Suisse, laissant derrière lui le premier noyau d’un mouvement de résistance, la « maffia » (en tchèque mafie).

Installé en Angleterre, nommé professeur d’histoire et de philologie slaves à King’s College, il mobilise en faveur de la cause tchèque les intellectuels qu’il a connus avant la guerre. Avec l’aide de Beněs*, il réussit à obtenir au début de 1916 une entrevue avec Briand. En janvier 1916, le Comité tchèque à l’étranger se transforme en Conseil national tchécoslovaque.

Masaryk accueille avec faveur la révolution russe de février 1917 ; il se rend en Russie pour organiser le transfert des légions tchèques vers la France, lorsqu’il se trouve isolé par la révolution d’Octobre. C’est seulement en avril 1918 qu’il gagne, en traversant la Sibérie, le Japon. Il s’installe aux États-Unis, où les organisations tchèques et slovaques soutiennent et subventionnent son mouvement. C’est de là qu’il suivra les événements décisifs de l’année 1918.

Après l’échec des négociations séparées avec l’Autriche (1917) et l’offensive allemande sur la Marne (printemps 1918), les gouvernements alliés n’écartent plus l’hypothèse du démembrement de la Double Monarchie. L’accord signé à Pittsburgh avec les organisations slovaques des États-Unis le 30 mai 1918 confirme l’adhésion des Slovaques à la naissance du nouvel État, en échange de la promesse d’une large autonomie.

Masaryk est reçu à plusieurs reprises par Wilson, à qui il conseille de reconnaître le nouveau gouvernement soviétique et d’admettre la dissolution de l’Autriche-Hongrie. Lorsque se confirme l’effondrement militaire des Puissances centrales, il veut mettre en échec les tentatives de l’empereur d’Autriche Charles Ier pour maintenir, en acceptant la fédéralisation, l’unité de son empire.

Le 14 octobre, Beněs proclame à Paris la formation d’un gouvernement provisoire de la République tchécoslovaque, dont Masaryk exerce la présidence. Par sa déclaration de Washington, le 18 octobre, Masaryk proclame l’indépendance de la Tchécoslovaquie et son adhésion aux idées démocratiques des gouvernements alliés. Pendant ce temps, la révolution éclate à Prague le 28 octobre et consacre l’écroulement de fait de la puissance autrichienne.

En son absence, le 14 novembre 1918, Masaryk est élu par l’Assemblée provisoire président de la nouvelle République tchécoslovaque. C’est seulement le 21 décembre 1918 qu’il fait à Prague une entrée triomphale.


Le premier président de la République tchécoslovaque

Président élu par une assemblée, Masaryk étend peu à peu ses pouvoirs réels, que limitait la Constitution provisoire de novembre 1918.

La Constitution de 1920 lui donne le droit de former les gouvernements, d’en présider les conseils et de dissoudre l’Assemblée. Mais surtout son énorme influence morale lui permet d’orienter toute la vie politique.

Le château royal, siège de la présidence de la République, a le monopole de la politique extérieure, vitale dans un État dont les frontières restent à tracer et dont la survie dépend des rapports de force internationaux. Par Beněs, ministre des Affaires étrangères inamovible de 1918 à 1935, Masaryk tient tous les fils qui relient la Tchécoslovaquie aux puissances de la Petite-Entente et au monde extérieur.

Arbitre de la politique intérieure, il n’est le chef d’aucun des partis de la coalition. Par son droit de nommer les ministres, il s’assure dans chaque parti, agrarien, populiste ou socialiste national, un groupe de sympathisants qui informent le « Château » et appuient ses initiatives. Pour favoriser une coalition de gouvernement, il soutient en 1920 l’aile droite du parti social-démocrate, attire vers la gauche la direction du parti socialiste national et empêche le parti national-démocrate de virer vers l’extrême droite.

Par ses origines slovaques, il peut compter sur une grande popularité en Slovaquie et il modère ce qu’a de trop rigide le « tchécoslovaquisme », le centralisme unificateur du nouvel État. Il rejette à la fois le nationalisme tchèque extrémiste de Karel Kramář et le nationalisme allemand irrédentiste de Rudolf Lodgman von Auen (1877-1962). Ses liens personnels avec des hommes politiques allemands lui permettent d’associer dès 1926 des ministres allemands à la direction du pays.

Lors de la crise économique et politique de 1933, le « Château » intervient pour sauvegarder la démocratie. Le gouvernement de l’agrarien Jan Malypetr (1873-1947), soutenu personnellement par Masaryk, obtient du Parlement en 1933 les pouvoirs spéciaux. Il impose aux intérêts économiques du grand capital la dévaluation de la couronne tchécoslovaque et un strict contrôle de l’État sur l’économie.

Par une loi sur les pouvoirs spéciaux, il désarme les menées subversives des communistes aussi bien que des nationalistes allemands.

Surtout, l’influence de Masaryk est morale. Cet universitaire qui a tout le prestige d’un grand Européen libéral est en même temps pour son peuple l’héritier et le substitut des anciens souverains. D’où « le heurt entre le protocole glacé dont il aimait à s’entourer et le libéralisme humanitaire de son comportement » (Louise Weiss).

De son ancien métier, Masaryk a gardé la passion de la pédagogie, de l’éducation qui permet d’élever le niveau d’un peuple, d’étendre la démocratie. Aux citoyens de son État, il veut fournir par son exemple un modèle social nouveau, associant un nationalisme dominé à un cosmopolitisme nourri des traditions de l’Europe démocratique.

En novembre 1935, en raison de son âge, il annonce sa démission, effective le 14 décembre. Dès lors, il vit isolé, lucide, dans le château présidentiel de Lány. Il meurt le 14 septembre 1937. Ses funérailles grandioses marquent la fin d’une époque.