Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

marxisme (suite)

Le stalinisme

• L’idéologie stalinienne. Le passage de Lénine à Staline* a semblé continu aux observateurs occidentaux : mais le stalinisme était-il la suite logique du léninisme ? Il y a entre les deux systèmes des points de ressemblance, certes, mais aussi d’importantes distorsions. Qu’appelle-t-on couramment stalinisme* ? Le maintien des structures policières dues à la guerre, l’élimination des adversaires de l’intérieur, le « culte de la personnalité », dont les symptômes apparaissaient déjà du temps de Lénine et Trotski (Gattchina fut rebaptisée en « Trotsk » dès 1923). La conception stalinienne du parti peut sembler implicite chez Lénine, mais Staline lui donne une interprétation rigoureuse et une autorité dogmatique — ce qui est, par l’esprit même, contraire à l’intention de Lénine. Commentant l’intervention de Lénine au IIe Congrès de la IIIe Internationale, Staline écrit ainsi : « L’autorité du Parti et la discipline de fer dans la classe ouvrière, discipline nécessaire à la dictature du prolétariat, se basent non sur la crainte ou sur les droits « illimités » du Parti, mais sur la confiance de la classe ouvrière dans le Parti, sur le soutien du Parti par la classe ouvrière. La confiance de la classe ouvrière dans le Parti ne s’acquiert pas d’un seul coup, ni par la violence à l’égard de la classe ouvrière, mais par un long travail du Parti dans les masses, par la politique juste du Parti, par son aptitude à convaincre les masses de la justesse de sa politique, avec la propre expérience des masses ; par son aptitude à s’assurer l’appui de la classe ouvrière, à conduire les masses de la classe ouvrière [...] » (les Questions du léninisme, 1926). Le stalinisme se développe ainsi dans le domaine idéologique (science prolétarienne opposée à la science bourgeoise, dogme du réalisme populaire dans les arts) et se traduit par une application autoritariste de la collectivisation des terres et du développement industriel (abandon de la N. E. P. en 1927), au nom de principes extraits des textes de Marx et Lénine. Le stalinisme a ses racines profondes dans la situation russe (économique et sociale) et s’explique aussi en référence aux échecs des tentatives révolutionnaires de l’Allemagne, de la Hongrie, de la lutte contre les révisionnistes russes de droite et contre les vieux bolcheviks, dont Trotski apparaît comme le porte-parole idéaliste (1927), de l’écrasement par Jiang Jieshi (ou Tchang Kaï-chek*), allié de Staline, de la deuxième tentative de révolution chinoise (1927). Le stalinisme est dès l’origine un système de gouvernement maintenant à tout prix les conquêtes de la révolution d’Octobre et rendant chaque jour plus utopique le retour au marxisme-léninisme dans ses sources. Phénomène d’abord essentiellement russe, le stalinisme devait gagner les partis liés à la IIIe Internationale, faisant par là même du marxisme vivant une science achevée et une pratique infaillible : une « idéologie » même au sens où Marx l’analyse et la condamne.

• L’analyse du stalinisme par Trotski. Le stalinisme a été analysé par Trotski* et résumé dans une brochure parue à la fin de sa vie, Bolchevisme et stalinisme (août 1937). Trotski part de la même analyse que Lénine du rôle des soviets et du Parti : « Dans l’avant-garde révolutionnaire organisée en parti se cristallise la tendance des masses à parvenir à leur affranchissement. Sans la confiance de la classe [exploitée] dans l’avant-garde, sans soutien de l’avant-garde par la classe, il ne peut être question de la conquête du pouvoir [...]. Les soviets ne sont que la liaison organisée de l’avant-garde avec la classe. Le contenu révolutionnaire de cette forme ne peut être donné que par le Parti. » Mais la filiation entre la dictature du prolétariat et sa transformation en stalinisme font l’objet d’une analyse précise de Trotski. « Quant à l’interdiction des autres partis soviétiques, [...] elle fut une mesure de défense de la dictature dans un pays arriéré et épuisé, entouré d’ennemis de toutes parts. Il était clair pour les bolcheviks, dès le début même, que cette mesure, complétée ensuite par l’interdiction des fractions à l’intérieur du parti dirigeant lui-même, contenait les plus grands dangers. » Dans l’argumentation même, Trotski fait ici apparaître et justifie sa théorie de la révolution mondiale, qui aurait dû nécessairement accompagner la révolution russe, pour que celle-ci n’évolue pas en régime stalinien : « Cependant, la source du danger n’était pas dans la doctrine ou la tactique, mais dans la faiblesse matérielle de la dictature, dans les difficultés de la situation intérieure et extérieure. Si la révolution avait vaincu, ne fût-ce qu’en Allemagne, du même coup le besoin de l’interdiction des autres partis soviétiques aurait disparu. Que la domination d’un seul parti ait juridiquement servi de point de départ au régime totalitaire staliniste, c’est absolument indiscutable. Mais la cause d’une telle évolution n’est pas dans le bolchevisme, ni même dans l’interdiction des autres partis, comme mesure militaire temporaire, mais dans la série des défaites du prolétariat en Europe et en Asie. » Trotski lie le stalinisme avec les débuts de la bureaucratie et la création d’une nouvelle classe : « [...] les bolcheviks, dès le début même, employèrent non seulement la conviction mais aussi la coercition, parfois sous une forme assez rude. Il est incontestable aussi que la bureaucratie sortie de la révolution a monopolisé dans ses mains le système de coercition. » Mais Trotski établit une distinction radicale entre bolchevisme et stalinisme et définit le « coup d’État » stalinien : « [...] la révolution bolcheviste, avec ses mesures de répression, signifiait la subversion des rapports sociaux dans l’intérêt des masses, alors que le coup d’État de Staline accompagne le remaniement de la société soviétique dans l’intérêt d’une minorité privilégiée. Il est clair que, dans les identifications du stalinisme au bolchevisme, il n’y a pas une trace de critère socialiste. » Trotski reprend des analyses relatives à la bureaucratie : le bolchevisme est le contraire d’une doctrine qui fait de la société une structure se reproduisant par une caste au pouvoir.

D. C.