Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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marxisme (suite)

Les mouvements radicaux entre 1900 et 1914

• En France. La théorie de la participation des socialistes aux ministères bourgeois le « millerandisme » a révélé ses contradictions lors de la répression des grèves par un gouvernement dont des socialistes sont membres (grève des ouvriers de Chalon-sur-Saône en juin 1900). Dès lors, la question du sens de l’organisation de la classe ouvrière est posée : partis ? syndicats ? Georges Sorel* se fait le théoricien d’un syndicalisme indépendant de tout parti politique, y compris des partis socialistes. Pour lui, le socialisme est avant tout la volonté des prolétaires : « Tout l’avenir du socialisme réside dans le développement autonome des syndicats ouvriers » (Matériaux d’une théorie du prolétariat, 1919). Extérieures aux mouvements marxistes, les idées de G. Sorel vont, néanmoins, marquer directement les débuts d’un syndicalisme* organisé, par la primauté que Sorel donne au thème de la lutte des classes dans l’analyse des conflits et par la constatation qu’il fait de l’aggravation effective de la violence dans les conflits. « C’est dans les grèves que le prolétariat affirme son existence [...]. La grève est un phénomène de guerre [...]. La révolution sociale est une extension de cette guerre dont chaque grande grève constitue un épisode ; c’est pourquoi les syndicalistes parlent de cette révolution en langage de grèves ; le socialisme se réduit pour eux à l’idée, à l’attente, à la préparation de la grève générale, qui, semblable à la bataille napoléonienne, supprimerait tout un régime condamné » (Réflexions sur la violence, 1908). C’est ainsi que Sorel, tout en marquant sa différence radicale avec tous les socialistes et les marxistes, rejoint la tendance révolutionnaire de l’action du prolétariat.

• En Allemagne. Le mouvement radical du marxisme, c’est-à-dire le refus du réformisme, est représenté essentiellement par Rosa Luxemburg*, qui, après avoir lutté contre le révisionnisme de Bernstein et préconisé l’action pour la chute brutale du capitalisme (Réforme sociale ou Révolution, 1899), pose dans cette perspective la question de l’organisation de la classe ouvrière et de ses moyens. Elle montre, en analysant la révolution russe de 1905, que la grève de masse est multiforme et que, sous ses divers degrés, elle est, en fin de compte, politique : « Chacune des grandes grèves de masse retrace, pour ainsi dire en miniature, l’histoire générale des grèves en Russie, commençant par un conflit syndical purement revendicatif ou du moins partiel, parcourant ensuite tous les degrés jusqu’à la manifestation politique. » Ensuite Rosa Luxemburg énonce la théorie du syndicalisme dans une conception révolutionnaire du rôle du parti : « Détacher la pratique syndicale de la théorie du socialisme scientifique équivaudrait pour les syndicats allemands à perdre immédiatement toute leur supériorité par rapport à tous les syndicats bourgeois et à descendre au niveau d’un empirisme plat et tâtonnant [...]. Il s’agit de rétablir entre la direction du parti socialiste et celle des syndicats, entre les congrès du parti et ceux des syndicats un rapport naturel qui corresponde au rapport de fait entre le mouvement ouvrier dans son ensemble et ce phénomène particulier et partiel qui s’appelle le syndicat » (Grèves de masses, parti et syndicats, 1906). La révolution ne vient pas d’en haut : au contraire, elle est le produit d’une série d’actions, dont la grève générale, qui forge la prise de conscience et qui rend de plus en plus présente au prolétariat la possibilité de s’emparer du pouvoir politique. Au sein de l’Internationale, Rosa Luxemburg s’oppose aux principes organisationnels de Lénine, notamment à la notion léniniste de « dirigeant ». Sa participation à la révolution de 1905 la rapproche de Lénine pendant un temps. La révolution russe de 1917 et la conception léniniste des soviets lui inspirent une violente prise de position dans un texte, qui paraît d’abord mutilé, la Révolution russe. Rosa Luxemburg y écrit par exemple : « Sur le plan politique, mais tout autant sur le plan économique et social, la masse populaire doit participer dans son ensemble. Sinon le socialisme est décrété, octroyé par une douzaine d’intellectuels réunis autour d’un tapis vert [...]. À la place des institutions représentatives issues d’élections populaires générales, Lénine et Trotski ont imposé les soviets comme la seule représentation véritable des masses laborieuses. Mais, si l’on étouffe la vie politique dans tout le pays, la paralysie gagne obligatoirement la vie dans les soviets. Sans élections générales, sans une liberté de presse et de réunion illimitée, sans une lutte d’opinion libre, la vie s’étiole dans toutes les institutions publiques, végète, et la bureaucratie demeure le seul élément actif. »

Les points de divergence entre elle et Lénine ont marqué les théoriciens et l’histoire ouvrière. Autant que sur les principes organisationnels, Rosa Luxemburg s’oppose à Lénine sur l’impérialisme et le principe d’une paix séparée (Brest-Litovsk), qui a pour conséquence d’affermir l’impérialisme allemand et d’isoler du prolétariat russe le prolétariat allemand. Enfin, la question nationale est au cœur de leur divergence : alors que Lénine pense que les luttes d’indépendance nationale ont un caractère progressiste dans un premier stade, avant d’être récupérées par l’impérialisme, et préconise pour cela une alliance provisoire avec la petite bourgeoisie nationaliste, Rosa Luxemburg critique cette position, comme renforçant d’abord l’intérêt des bourgeoisies locales dans leur aspiration au pouvoir.

Avec Karl Liebknecht, Franz Mehring et Clara Zetkin, elle fonde le Spartakusbund et appelle à la mise en place au pouvoir des conseils d’ouvriers et de soldats, en affirmant que seule l’action des masses peut faire que « la réalité historique devienne une nécessité » : pour elle, la révolution russe est une formidable lueur d’espérance mais n’est pas un modèle, en raison des différences historiques entre le prolétariat russe et le prolétariat allemand. Après l’échec des spartakistes dès 1920, le luxemburgisme se continue dans les courants « conseillistes » et « communistes de gauche ».