Marx (Karl) (suite)
Marx met au jour une tendance structurelle conduisant à la baisse du taux de profit moyen. La hausse de la composition organique du capital, dans la mesure où la plus-value est seulement fonction du capital variable, entraîne une détérioration du rapport
(taux de profit) au fur et à mesure que la part de c (capital constant : machines et matières premières) devient plus grande par rapport à celle de v (capital variable : salaires) ; l’accroissement du taux de plus-value
ou intensification du travail (rendements, cadences), peut contrecarrer cette tendance, mais n’est pas, dit Marx, suffisante pour l’annuler.
Il importe, à propos de cette constatation de Marx, de souligner qu’il s’agit là d’une tendance de structure, imposée en quelque sorte par la combinaison des rapports capitalistes et non d’une loi, au sens inéluctable souvent donné à ce terme. D’autre part, l’histoire du capitalisme est justement l’histoire de la lutte des capitalistes contre la baisse tendancielle du taux de profit. Cette lutte parvient parfois à la masquer et à la contrarier, c’est-à-dire à empêcher qu’elle ne se manifeste directement comme baisse effective des taux de profit.
La rente foncière
Enfin, dans les derniers chapitres du livre III, Marx traite de la rente foncière. Le sol étant entièrement occupé et possédé, les prix de production se déterminent, relève Marx, non sur les terrains de qualité moyenne, mais sur ceux de la plus mauvaise qualité. La différence entre ce prix et le prix de production effectif sur un terrain de qualité supérieure donne la rente différentielle. De plus, de par sa situation de propriétaire, le possédant de terre peut utiliser son monopole de la terre pour se ménager une rente absolue. La nationalisation du sol peut seule abolir cette dernière.
Tout en indiquant qu’en raison de la propriété privée des sols l’agriculture n’entre pas complètement dans le libre jeu de l’égalisation des taux de profit par circulation du capital à la recherche du profit maximal, Marx conclut par quelques analyses sur le développement du capitalisme dans l’agriculture : « Avec la transformation de la rente naturelle en rente argent, il se constitue nécessairement, en même temps, et même antérieurement, une classe de journaliers non possédants et travaillant contre salaire. Pendant que cette classe se constitue et qu’elle ne se manifeste encore qu’à l’état sporadique, les paysans aisés, astreints à une redevance, prennent tout naturellement à leur compte l’habitude d’exploiter des salariés agricoles, tout comme, sous le régime féodal, les paysans serfs ayant du bien disposaient eux-mêmes d’autres serfs. Parmi les anciens exploitants possesseurs du sol, il se crée ainsi une pépinière de fermiers capitalistes, dont le développement est conditionné par le développement général de la production capitaliste hors de l’agriculture. De par sa nature, la propriété parcellaire exclut : le développement des forces productives sociales de travail, les formes sociales de travail, la concentration sociale des capitaux, l’élevage en grand, l’application croissante de la science. L’usure et le système fiscal la ruinent fatalement partout [...]. » Il ajoute que, comme dans l’industrie, la transformation capitaliste de l’agriculture semble n’être qu’un « martyrologue des producteurs ».
La question de la généralisation du mode de production capitaliste à la sphère des activités agricoles sera reprise plus tard par Lénine ou Rosa Luxemburg, mais déjà Marx en avait, notamment dans son étude de la paysannerie française, dégagé les éléments majeurs.
Évolution de l’économie politique marxiste
Marx n’a pas élaboré une description concrète d’un système capitaliste particulier, mais le modèle général, idéal, « moyen », de toute structure capitaliste : le mode de production capitaliste dans ce qu’il a de plus essentiel. Contrairement à une idée courante, Marx n’a pas été le peintre d’un capitalisme aujourd’hui disparu : l’Angleterre du xixe s. Derrière des formes, qui varient suivant les époques ou les sociétés, il a voulu dégager la structure d’ensemble des rapports capitalistes de production, rapports qui déterminent, en dernière instance, l’ensemble des autres rapports sociaux.
Ainsi, l’économie marxiste après Marx s’attacha à spécifier l’analyse de Marx, à l’appliquer aux diverses sociétés concrètes dont est faite l’histoire.
Elle fut amenée à le faire dans les conditions d’un capitalisme caractérisé par deux grandes tendances : le monopolisme et la concentration, d’une part, et l’expansionnisme colonial ou impérialiste, d’autre part. Suivant R. Hilferding, Lénine mit en lumière l’apparition d’un capital financier — fusion du capitalisme industriel et du capital bancaire — au sein d’un processus de concentration économique accéléré. Rosa Luxemburg, reprenant les schémas de Marx sur la reproduction de l’ensemble du capital social, y découvrit une insuffisance interne et proposa l’explication complémentaire suivante : pour rétablir les équilibres fondamentaux, perpétuellement compromis par les conséquences de l’accumulation du capital, le capitalisme a l’impératif besoin de s’étendre continuellement, c’est-à-dire d’intégrer au système des rapports sociaux qui le constituent des sphères d’activités toujours plus vastes (colonie, agriculture, loisirs, etc.). Le capitalisme ne peut, en quelque sorte, exister que parce qu’il existe en dehors de lui des sphères d’activités régies par d’autres modalités de production.
Les économistes marxistes contemporains mettent au centre de leurs préoccupations la question de l’État et de son rôle « régulateur ».
Cette dernière question n’est pas étrangère à l’évolution du marxisme dans les pays socialistes. Marx, hormis quelques indications générales, n’avait guère défini les caractéristiques d’une économie socialiste. Après la révolution d’octobre 1917, les marxistes russes s’efforcèrent de construire à la fois un nouveau système économique et l’analyse de ce système, et, dans des sens différents, Preobrajinski et Boukharine allèrent dans cette voie. Cependant, l’analyse marxiste des économies socialistes s’effaça rapidement derrière une nouvelle apologétique économique, parallèle à l’apologétique bourgeoise.
Depuis la déstalinisation, la pensée marxiste fait place à des courants qui, avec le Soviétique I. G. Liberman ou le Tchèque Ota Šik par exemple, prônent le retour à certaines catégories « bourgeoises » de la pensée économique : restauration de la concurrence entre les entreprises, utilisation croissante du profit monétaire comme critère de gestion industrielle.