Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Antiquité classique (les grands courants littéraires de l’) (suite)

Les auteurs en sont moins connus que les interprètes : aussi bien est-ce sans doute, dans une large mesure, les mêmes. Les aèdes parcourent cités et palais, et ils chantent leur poésie à l’issue des festins ; pour satisfaire aux vœux des convives, ils sont amenés à grouper des épisodes d’abord disjoints, d’une façon qui s’impose peu à peu. L’un de ces aèdes, doué de plus de génie, a laissé un nom, Homère ; au moins les grandes lignes de l’Iliade lui reviennent, mais l’œuvre telle que nous la lisons aujourd’hui résulte d’arrangements postérieurs ; la part qu’il a prise dans l’Odyssée est probablement plus réduite.

De l’épopée narrative rattachée au nom d’Homère se distingue l’épopée didactique d’Hésiode ; ses Travaux et jours sont un poème rustique entremêlé de considérations morales. Sa Théogonie représente le premier essai pour débrouiller les idées religieuses encore confuses et y introduire la rationalité par la généalogie des dieux.

La poésie lyrique se distingue de l’épopée en ce que, si le mythe est encore la matière du poème, l’artiste en prend prétexte pour exprimer ses émotions et celles de son milieu. Parallèlement se dessine un changement dans la métrique : la monotonie de l’hexamètre dactylique est abandonnée au profit de rythmes plus variés. Le lyrisme revêt en effet bien des formes littéraires : l’élégie (Tyrtée, Mimnerme de Colophon, Théognis de Mégare, Phocylide de Milet) est une suite de strophes de deux vers, dont la répétition est propre à traduire la tristesse et aussi le conseil sentencieux (poésie gnomique) ; l’épigramme formule en peu de vers un trait d’esprit ; l’ïambe (Archiloque), mètre court et vif, convient à la raillerie ; l’ode, ou chanson (Alcée, Sappho, Anacréon), célèbre les plaisirs et les passions ; la poésie chorale (Alcman, Stésichore, Simonide de Céos) est chantée et souvent dansée par un chœur. Pindare récapitule tous ces genres et s’impose dans l’ode triomphale en l’honneur des vainqueurs des jeux panhelléniques.


La période attique (ve-ive s. av. J.-C.)

Chant en l’honneur de Dionysos, exécuté par un ensemble de choreutes, le dithyrambe est aux sources de la tragédie. Au vie s., Thespis accroît l’importance du coryphée et fait de lui un personnage dialoguant avec le chœur, ce qui permet d’ébaucher une action, ou drame ; Phrynichos exploite les possibilités offertes par le masque de l’acteur pour lui faire jouer plusieurs rôles successifs, y compris des rôles féminins. Le propos de l’auteur tragique est de susciter l’émotion, le pathétique, mélange de terreur et de pitié, qui parle à l’âme du spectateur et lui procure la purgation des passions (théorie aristotélicienne de la catharsis). Exécutée sous forme de concours, la représentation des tragédies fait partie du culte officiel : le théâtre comporte l’autel de Dionysos (thymelê), et les pièces sont jouées aux fêtes du dieu (dionysies).

Comme la tragédie, la comédie a une origine dionysiaque : les processions par lesquelles les villageois fêtaient la fin des vendanges et se moquaient des personnages du jour. Elle naît en Sicile avec Épicharme de Syracuse et son compatriote Sophron (vie-ve s.), avant d’atteindre son sommet à Athènes avec Cratinos et surtout Aristophane. Au ive s. apparaissent la comédie moyenne, puis la comédie nouvelle, où la vérité et la décence prennent le pas sur la charge et la grossièreté.

Les premiers prosateurs grecs avaient été, à l’époque précédente, les philosophes d’Ionie. Dans la période attique, toute la philosophie grecque se rattache à la personne et à l’enseignement de Socrate ; le dialogue socratique sera la forme littéraire employée par Platon et Aristote. Néanmoins, le premier chef-d’œuvre de la prose grecque est constitué par les Histoires d’Hérodote, dans le sillage desquelles Thucydide et, à un moindre degré, Xénophon créeront l’histoire savante et politique.

Mais le plus grand aliment de la prose attique demeure l’éloquence, dont on sait le rôle dans la démocratie athénienne, qu’il s’agisse de l’éloquence politique, de l’éloquence judiciaire ou même de l’éloquence d’apparat : les sophistes (Gorgias), philosophes sceptiques et opportunistes, furent pour beaucoup dans la constitution de l’éloquence savante.


La période hellénistique et romaine (à partir du iiie s. av. J.-C.)

Au iiie s., Alexandrie devient le centre intellectuel du monde grec. Ptolémée Sôtêr, ancien lieutenant d’Alexandre, y rassemble l’élite des esprits, tels le philosophe Straton de Lampsaque, le mathématicien Euclide, l’orateur Démétrios de Phalère, le géographe Ératosthène, l’élégiste Callimaque, le poète épique Apollonios de Rhodes, le poète tragique Lycophron de Chalcis, les grammairiens Zénodote d’Éphèse, Aristophane de Byzance et Aristarque. Ptolémée Philadelphe poursuit son œuvre en fondant le Musée, centre d’accueil pour intellectuels pensionnés, et une célèbre Bibliothèque. Mais cette renaissance est en même temps un déclin ; faute de public, l’art se détache de la vie ; l’érudition envahit tous les genres et, à la seule exception notable de Théocrite, gâte même la poésie.

Vers 200, les Romains interviennent dans les affaires de la Grèce et, en 148, la réduisent en province romaine. Dès lors, un nouveau public, mi-grec, mi-romain, se crée pour la littérature hellénique ; l’hellénisme se diffuse aux dimensions de l’univers ; en contrepartie, la prose attique s’ouvre à l’influence d’auteurs barbares qui la connaissent mal et se corrompt en un dialecte commun (la koinê), incolore et sans nerf. La poésie est alors représentée par des pièces courtes (Méléagre), que les Byzantins rassembleront en Anthologies. D’autres genres littéraires demeurent heureusement plus robustes : l’histoire avec Polybe, Diodore de Sicile et Denys d’Halicarnasse, la géographie avec Strabon, l’essai biographique et moral avec Plutarque, la rhétorique avec Dion Chrysostome, la philosophie stoïcienne avec Épictète et l’empereur Marc Aurèle, le pamphlet satirique avec Lucien de Samosate.