Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maroc (suite)

Cette attitude qui rencontre de larges échos dans les milieux populaires n’est pas sans inquiéter le gouvernement de la République. Le résident général Eric Labonne est alors remplacé par un homme à poigne, le général Juin, chargé de rappeler à l’ordre le sultan marocain. Mais, tort de l’appui populaire, enhardi par les nationalistes, Muḥammad V ne cède pas à l’intimidation. En 1951, il entre en crise ouverte avec les autorités du protectorat. Sommé par le résident général de désarmer l’Istiqlāl ou de se démettre, il refuse de s’exécuter. Les autorités françaises s’appuient alors sur le pacha de Marrakech al Ḥādjdj Thāmī al-Glāwī, dit le Glaoui (v. 1875-1956), qui réunit autour de lui deux caïds contre le sultan et les nationalistes. Parallèlement, le Glaoui réquisitionne des cavaliers dans les tribus berbères et les dépêche dans les villes de Fès et de Rabat. À la fin de février 1951, cédant à ce coup de force, Muḥammad V rend hommage à la France, accepte de se séparer de ses collaborateurs de l’Istiqlāl et autorise le grand vizir à condamner les méthodes de ce parti.

Mais le mouvement national est sorti renforcé de la crise de 1951. L’Istiqlāl consolide ses assises populaires et élargit son audience internationale. À l’automne 1951, la question marocaine est même portée pour la première fois à l’ordre du jour des Nations unies.

L’évolution des rapports de force encourage le sultan marocain, qui revient à la charge avec plus de vigueur. Le 14 mars 1952, dans une note au président de la République, il réclame l’ouverture de négociations pour garantir au Maroc sa pleine souveraineté et établir ses relations avec la France sur des bases nouvelles. Les autorités françaises envisagent alors l’éloignement de ce souverain avec lequel elles ne conçoivent plus de collaboration possible. Comme en 1951, elles suscitent contre lui l’opposition des grands notables, qui réclament son remplacement par Muḥammad ibn ‘Arafa. Le 20 août 1953, le résident, le général Guillaume, est autorisé à déposer Muḥammad V, qui refuse d’abdiquer. Exilé d’abord en Corse, puis à Madagascar, sidi Muḥammad ibn Yūsuf devient aux yeux du peuple marocain le symbole de la lutte de libération nationale.

Celle-ci se radicalise après la déposition du sultan et prend un caractère de plus en plus violent. Les militants de base, de souche essentiellement populaire, livrés à eux-mêmes depuis l’arrestation de leurs chefs, se lancent dans l’action terroriste. La lutte se développe d’abord dans les villes et gagne progressivement les campagnes. Elle atteint son paroxysme en 1955 après l’apparition d’une « armée de libération ». Jouissant de l’appui de la grande majorité de la population, le mouvement constitue une menace sérieuse pour les intérêts français au Maroc. Pour sauvegarder l’essentiel de ces intérêts et concentrer ses efforts sur la réduction de l’insurrection algérienne, le gouvernement de la République cherche en automne 1955 un compromis avec les nationalistes. L’interlocuteur le plus valable auquel on fait appel pour mettre fin à la résistance armée et trouver une solution à la question marocaine est alors Muḥammad V.

Le sultan détrôné mène avec la France des négociations qui aboutissent le 2 mars 1956, après diverses péripéties, à l’indépendance du Maroc. Le 7 avril 1956, le protectorat espagnol est à son tour supprimé, et, le 29 octobre suivant, le statut international de la ville de Tanger est abrogé.

Le Maroc retrouve ainsi son indépendance et son unité après quarante-quatre ans de tutelle étrangère.


Le Maroc indépendant

Les dirigeants marocains doivent alors faire face aux problèmes que pose la construction d’un Maroc indépendant. Il s’agit de doter ce pays d’institutions modernes, de consolider son indépendance par l’évacuation des troupes et des bases étrangères et de poursuivre son développement économique et social. Tâche d’autant plus ardue qu’il est difficile de concilier les deux courants, moderne et traditionaliste, qui se partagent le pays. Le gouvernement compte sur l’enseignement, auquel il accorde un intérêt particulier, pour transformer les structures mentales de la population et l’engager progressivement, mais pacifiquement, dans la voie du modernisme.

En attendant, Muḥammad V, fort de son prestige, se pose comme arbitre entre les divers courants et essaie avec beaucoup de tact et de prudence de concilier le Maroc traditionnel avec les exigences du monde moderne. Le code du statut civil par exemple, promulgué à la fin de 1957, protège la femme marocaine des excès du droit musulman en matière matrimoniale sans pour autant mettre en cause cette législation.

De la même façon, le Maroc rompt avec les traditions théocratiques attachées à la monarchie ‘alawīte sans s’engager franchement dans la voie constitutionnelle. Une assemblée est certes instituée en 1956, mais ses membres, désignés par le sultan, ont un pouvoir purement consultatif. Muḥammad V, proclamé roi en 1957, prend même la direction du gouvernement, auquel il associera son fils, le prince héritier, comme vice-président du Conseil, en 1960.

Sur le plan économique et social, le Maroc admet le principe d’une planification de l’activité du pays sans pour autant se réclamer du socialisme. Les plans biennal (1958-59) et quinquennal (1960-1964) ne touchent pas à la propriété privée. Ils visent la modernisation de l’économie, l’augmentation du revenu national et la création d’emplois pour faire face à un taux de croissance démographique de l’ordre de 3 p. 100.

Afin d’atteindre ces résultats, les dirigeants marocains font appel à l’aide de la France. Mais, malgré le respect des intérêts français au Maroc, l’affaire algérienne envenime pour un temps les rapports franco-marocains. Toutefois, ces relations sont rétablies en 1957, et des conventions de coopération technique, culturelle et judiciaire sont signées avec l’ancienne métropole. En 1960, le Maroc obtient l’évacuation totale des troupes françaises. Mais, la même année, la revendication de la Mauritanie par le gouvernement marocain refroidit de nouveau les rapports avec la France.