Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Marie-Thérèse (suite)

La défense du patrimoine : l’œuvre extérieure de la souveraine

Paradoxalement, cette princesse amoureuse de paix va devoir s’atteler à la défense de son héritage, voire à son extension, mission qui dicte ses alliances, commande sa politique, dans un rythme syncopé de guerres et de paix, tout le long d’un règne qu’elle voudrait sans histoire, dans le respect de la loi divine.


Le rapt initial : la prise de la Silésie par Frédéric II

Dès la mort de l’empereur, prévoyant que les puissances profiteraient de l’occasion pour contester les droits de Marie-Thérèse, prévenant la protestation de la Bavière, Frédéric II envahit la Silésie (déc. 1740). La France décide de dissocier succession autrichienne et succession impériale, et conclut une alliance avec la Prusse. Le 24 janvier 1742, Charles-Albert, Électeur de Bavière, qui a pris à Prague la couronne de Bohême, est élu empereur sous le nom de Charles-Albert VII ; en février, il est couronné à Francfort. La situation est dramatique pour la jeune souveraine, qui puise les éléments favorables à un redressement de la situation dans l’appel aux États de Hongrie, dans l’alliance d’une Angleterre craignant pour le Hanovre et dans l’appui de son peuple. Marie-Thérèse fait la part du feu : après la victoire de Frédéric II à Chotusitz (auj. Chotusice, en Tchécoslovaquie), elle cède au roi de Prusse, par les préliminaires de Breslau, confirmés par le traité de Berlin (28 juill. 1742), la Silésie, moins quelques districts. À la mort de l’empereur Charles VII, le nouvel Électeur de Bavière, Maximilien III Joseph (1727-1777), signe avec elle la paix de Füssen (22 avr. 1745) : la Bavière disparaît de la scène politique. La guerre se transporte aux Pays-Bas, où Maurice de Saxe remporte pour la France la victoire de Fontenoy, pendant que Frédéric II, rentré en scène, commence la seconde guerre de Silésie ; François de Lorraine, élu empereur le 15 septembre, est couronné à Francfort. Le traité de Dresde (25 déc. 1745) confirme les stipulations du traité de Berlin. Le traité d’Aix-la-Chapelle — où Louis XV traite en roi et non en marchand — rend la paix à l’Europe (1748), mais un fait fondamental demeure : l’animosité de Marie-Thérèse à l’égard de Frédéric II et son vif désir de reprendre la Silésie.


L’œuvre de reconstruction et le renversement des alliances

L’exemple prussien est décisif : la réorganisation du vieil édifice habsbourgeois s’impose. Deux hommes ont toute la confiance de la souveraine : Haugwitz et Kaunitz. Friedrich Wilhelm Haugwitz (1702-1765), converti silésien, est chargé de l’œuvre intérieure : administrative et financière d’abord, par l’installation, à la tête des anciens organismes, d’un directorium in publicis et cameralibus (1749) ; judiciaire ensuite, par la création d’un service judiciaire suprême. Les ressources trouvées, l’armée est reconstituée : l’académie militaire Marie-Thérèse est installée en 1752 à Wiener Neustadt. Le comte Kaunitz (Wenzel Anton von Kaunitz-Rietberg [1711-1794]), placé à la tête de la chancellerie aulique et d’État, prône l’alliance avec la France et la réalise, malgré les traditions et les résistances tant à Versailles qu’à Vienne : faisant suite au traité de Versailles (mai 1756), le mariage de Marie-Antoinette et du futur Louis XVI (1770) symbolise ce nouveau système politique qui va durer jusqu’à la Révolution.


La guerre de Sept* Ans (1756-1763)

Cette guerre qui voit se nouer contre Frédéric II, allié de l’Angleterre, une coalition où se retrouvent, aux côtés de l’Autriche, la France, la Russie et la plupart des États de l’Empire, est un conflit typique de l’ancien régime politique et militaire de l’Europe moderne par les multiples rebondissements, la paralysie générale du commandement, les charges énormes imposées aux populations, la diplomatie extrêmement active jusqu’en 1763, date à laquelle s’impose l’idée de la paix. En février 1763, la France signe avec l’Angleterre victorieuse le traité de Paris, tandis qu’à Hubertsbourg Marie-Thérèse abandonne toutes ses prétentions sur les territoires du roi de Prusse, comté de Glatz (auj. Kłodzko) y compris ; Frédéric évacue sans indemnité les territoires saxons ; il accorde sa voix au futur Joseph II pour l’élection du roi des Romains (27 mars 1764). Les résultats les plus nets de ces conflits sont un nouvel affaiblissement du Saint Empire, l’élévation de la Prusse au rang de grande puissance et l’apparition, aux côtés de Marie-Thérèse, de son fils, âgé de vingt-trois ans — jaloux et admirateur de Frédéric II, dont la légende se forme —, le futur Joseph II, qui succède à son père dans la dignité impériale à la mort de ce dernier (18 août 1765).


L’œuvre intérieure : reconstruction et mise en valeur

Pendant longtemps, le côté spectaculaire de la politique extérieure a éclipsé l’œuvre intérieure, dont tout le mérite était attribué à son fils, qu’elle avait associé à son gouvernement, en qualité de corégent, après la mort de son cher époux, l’empereur François. Le contraste est éclatant, dans l’action, entre ces deux personnages séparés par le caractère, les idées, les méthodes. L’une se plie aux circonstances, l’autre veut imposer ses vues et dicter ses principes. « Despote éclairée sans avoir elle-même l’esprit des lumières » (F. Bluche), Marie-Thérèse met en action et poursuit dans différents domaines l’œuvre commencée entre les deux guerres et compromise par le dernier conflit. La volonté d’unification des différents États est affirmée par la réunion de la chancellerie de Bohême et de celle d’Autriche — véritable « coup d’État centralisateur » — ainsi que par la création d’une « députation » nommée par Vienne à la place de la lieutenance de Prague. La réorganisation des finances est continuée après 1761 par l’institution, à la place du Directoire, de trois corps distincts : la Chambre de cour, la Caisse générale, la Cour des comptes. Le crédit de l’État est rétabli grâce à la réorganisation du système des impôts et au développement de la Banque de Vienne. Les réformes de l’administration centrale provinciale, ainsi que de la justice créent une ossature solide qui permettra à l’État autrichien de durer jusqu’aux secousses de 1848.