Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Marie (suite)

La Réforme protestante commence par combattre le foisonnement de la piété mariale, qui estompe, juge-t-elle, le rôle médiateur unique de Jésus-Christ et souvent dégénère en superstition, voire en idolâtrie. Elle s’en prendra ensuite à la doctrine qui occasionne ces excès et déviations, qui ajoute aussi à la révélation biblique des enchaînements illimités de conclusions discutables, voire des dogmes privés de base scripturaire.

Sourde à ces critiques, la Contre-Réforme poursuit et accentue l’œuvre des siècles précédents. Alors se constitue en traité théologique distinct ce qu’on appellera au xxe s. la mariologie. On insiste sur les privilèges et les gloires de Marie, avec parfois une tendance à la rapprocher du Christ au maximum, sans toutefois l’égaler à lui. L’école française de spiritualité (xviie s. : Bérulle*) intériorise la piété mariale en appelant à partager la vie religieuse de la parfaite croyante, disciple et contemplatrice de Jésus. Plus généralement l’idée de la maternité spirituelle de Marie s’impose au sens d’une aide pour bien adhérer à Jésus et recevoir pleinement de lui, par la foi, le salut. La médiation de la Vierge inclut à la fois sa participation, jadis, au sacrifice du Calvaire (corédemption) et son intercession actuelle dans le ciel pour nous obtenir la grâce. Marie est l’Église en germe : en un sens elle en fait partie (disciple de Jésus et sauvée par lui) ; en un sens elle la précède et la domine par son rôle et sa sainteté, que présuppose la naissance de l’Église.

La doctrine de l’immaculée conception, très controversée au Moyen Âge, est de plus en plus favorisée par les papes de la Contre-Réforme. En 1854, Pie IX l’érigé en dogme : dès le premier instant de son existence, par grâce de Dieu et en vertu des mérites du Christ, Marie a été « intacte de toute souillure du péché originel ». Ce qui frappe surtout là, de nos jours, c’est la situation éminemment « sacramentelle » de celle qui vint au monde comme future mère du Christ : sa féminité l’orientait d’emblée vers la maternité, donc vers Jésus et son œuvre de salut. Foi et maternité, en elle, s’impliquent l’une l’autre : par là est levée en elle l’ambiguïté de l’appartenance au monde.

Pie XII définit dogmatiquement l’assomption en 1950, en laissant de côté les antiques légendes s’y rapportant : la Mère virginale du Christ, l’immaculée, « après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste ». Croire en l’assomption, ce n’est donc pas savoir ou imaginer comment s’est achevée la vie terrestre de Marie. C’est croire que, depuis lors, la Mère participe totalement au mystère pascal du Fils, comme nous sommes appelés à y participer plus tard. Pleinement vivante en Dieu, universellement présente aux hommes, par le Christ et en lui, elle partage aussi, mieux que les autres élus, son rôle d’intercesseur auprès de Dieu.

Pour les théologiens catholiques, les dogmes proclamés en 1854 et en 1950 peuvent se réclamer de l’Écriture, bien que celle-ci ne les énonce pas directement. Car, d’après le Nouveau Testament, la situation de Marie est situation éminente de grâce et de foi. Engagée à fond vis-à-vis de la personne et de l’œuvre du Sauveur, Marie est aussi première sauvée en plénitude. Aussi la Tradition et le magistère se sont-ils crus autorisés à entendre en son sens maximal le salut de l’ange (parole efficace de Dieu) en Luc, i, 28 : « Réjouis-toi, comblée de la faveur divine. » Le comble de cette faveur, n’est-ce pas le salut plénier contre le péché et la mort ?

En 1964, le concile Vatican II engrange la récolte mariologique de dix-neuf siècles. Il entérine aussi la méthode et la perspective nouvelles de la théologie mariale : au lieu d’exalter Marie à tout prix, la situer exactement dans le dessein de Dieu et dans l’Église pour la comprendre et l’honorer en vérité. Tel est, dans la constitution Lumen gentium, sur l’Église, l’objet du chapitre VIII. Le concile « se propose de mettre [...] en lumière, d’une part le rôle de la Vierge dans le mystère du Verbe incarné et du corps mystique (Église), et d’autre part les devoirs des hommes rachetés envers la Mère de Dieu [...] » ; cela sans « faire au sujet de Marie un exposé doctrinal complet, ni trancher les questions que le travail des théologiens n’a pu encore amener à une lumière totale » (no 54). Le texte veut favoriser l’unité des chrétiens et, pour cela, recentrer la doctrine mariale sur le Christ, la ressourcer au Nouveau Testament. D’où, au lieu d’un document conciliaire autonome, un chapitre marial dans la constitution sur l’Église et, là, le plan suivi entre le préambule et la conclusion.

Marie est d’abord située dans l’histoire du salut à partir des données bibliques (nos 55-59) ; ensuite sont dessinées ses relations actuelles avec l’Église terrestre : amour maternel, intercession, exemple surtout (nos 60-65). Le concile mentionne, en passant, les titres d’avocate, d’auxiliatrice, de médiatrice, en insistant pour que « nulle dérogation, nulle addition n’en résulte quant à la dignité et à l’efficacité de l’unique Médiateur, le Christ » (no 62). La troisième partie du chapitre (nos 66-67) recommande un culte marial filial et vrai, subordonné au culte du Christ et de Dieu. La Mère de Dieu est aussi « Mère de l’Église », pour autant que nous recevons d’elle, en la personne de son Fils, la vie éternelle. Elle n’en est pas moins membre de l’Église en sa qualité de croyante, disciple du Christ.

Dès 1963, d’ailleurs, dans sa constitution sur la Liturgie, le concile avait déclaré : « En Marie l’Église admire et exalte le fruit le plus excellent de la Rédemption et, comme dans une image très pure, contemple avec joie ce qu’elle-même désire et espère être tout entière » (no 103).

Vatican II marque une étape et un tournant dans le progrès de la doctrine et de la piété mariales ; il ne songe nullement à le bloquer. On trouve là un cas particulier du développement dogmatique et théologique, explicitation de la foi de l’Église.