Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

marché (suite)

 K. Polanyi, C. M. Arensberg et H. W. Pearson, Trade and Market in the Early Empires (Glencoe, Illinois, 1957). / P. Bohannan et G. Dalton, Markets in Africa (Evanston, Illinois, 1962). / P. Claval, Géographie générale des marchés (Les Belles Lettres, 1963). / B. J. L. Berry, Geography of Market Centers and Retail Distribution (Englewood Cliffs, N. J., 1967 ; trad. fr. Géographie des marchés et du commerce de détail, A. Colin, 1971).


Les marchés agricoles

Les marchés agricoles ont souvent servi de modèle pour illustrer la théorie de la concurrence* parfaite.

La théorie classique du marché se référait volontiers au commerce des produits agricoles pour exposer le fonctionnement d’un marché concurrentiel. Les agriculteurs semblent, à première vue, voués à la concurrence la plus complète et la plus implacable : on a pu voir dans l’activité des agriculteurs un cas privilégié de concurrence presque pure et parfaite. Ce jugement s’appuyait sur le fait que les conditions propres à la concurrence parfaite (atomicité, homogénéité du produit, libre entrée dans la branche, transparence du marché, mobilité des facteurs de production) semblaient réunies dans la grande majorité des marchés agricoles, foires aux bestiaux, marchés de fruits et légumes... De ce fait, la formation des prix sur les marchés agricoles obéissait, remarquait-on, à l’action des quantités demandées et offertes. Plus le prix sera élevé, plus sera grande la quantité globale de produits que les vendeurs seront disposés à vendre. À l’opposé, la quantité demandée variera en fonction inverse du prix de la marchandise : plus les produits agricoles seront chers et moins il y aura de demandeurs, en règle générale. La théorie indiquait à l’agriculteur qu’il devait accepter de produire ce qui était le plus demandé et de réduire le plus possible ses prix de revient.

L’observation du fonctionnement concret des différents marchés agricoles montra en réalité que le comportement de ces derniers s’écartait sensiblement du schéma concurrentiel et relevait d’autres explications. Cela a été mis en évidence avec les transactions sur le bétail bovin telles qu’elles peuvent encore se manifester en France dans de nombreuses foires. La foire est en apparence le meilleur lieu où puisse s’exercer la libre concurrence. En fait, celle-ci ne joue pas, en raison de différentes circonstances. Les producteurs, isolés et divisés entre eux, n’indiquent pas à leurs voisins les prix auxquels ils ont vendu leur bétail. Quant aux prix exigés, ils reposent rarement sur une appréciation objective. Par ailleurs, l’acheteur, lui, connaît les cours officiels et peut attendre. Dans ces conditions, les transactions se dénouent le plus souvent en faveur des acheteurs, l’éleveur vendeur se trouvant isolé devant une poignée d’acheteurs « qui, en s’entendant, n’en font qu’un seul ». Ces tentatives de partage du marché par les acheteurs, cette maîtrise de la transaction et du prix, cette domination de l’acheteur sur les vendeurs permettent de reconnaître immédiatement les caractéristiques d’une situation d’oligopsone. Cette situation n’apparaît pas seulement dans le cas du marché du bétail bovin ; d’autres marchés (comme celui des produits laitiers, des fruits et légumes, etc.) sont également dominés par des pratiques du même ordre : en face de vendeurs qui se présentent en ordre dispersé règnent en maître du marché un petit nombre d’acheteurs qui parviennent à s’entendre entre eux (ramasseurs, expéditeurs).


Des marchés coûteux et dissymétriques

Sur un plan plus concret, on reproche aux marchés agricoles d’être inadaptés au regard des exigences d’une distribution moderne soucieuse de réaliser un approvisionnement de masse en produits de qualité suivie et homogène. On a fait tout d’abord remarquer que les marchés agricoles existants étaient coûteux. Les marchés agricoles traditionnels, fondés sur la négociation entre acheteurs et vendeurs isolés ou rassemblés dans une foire, sont coûteux par le retard qu’ils occasionnent au passage des produits dans les circuits de commercialisation, retard que l’on peut évaluer à 24 heures. Ce délai est une cause de diminution de la valeur des marchandises. Le recours à ces marchés coûte cher au producteur, obligé souvent de faire appel à un ramasseur ou bien de passer lui-même plusieurs heures à transporter et vendre ou collecter des emballages vides. À la consommation, ces marchés occasionnent d’importants frais de dégroupage, mise en place, vente ; leur fonctionnement est coûteux, même pour les marchés modernes (marchés-gares notamment).

Coûteux, ces marchés sont par ailleurs dissymétriques, surtout au détriment des producteurs. La concurrence entre les producteurs joue au stade de l’expédition à partir du marché, c’est-à-dire lorsque les décisions de commercialiser sont déjà prises, sans retour en arrière possible, même en cas d’offre trop importante d’un même produit : un signe en est l’avilissement des cours d’une heure sur l’autre parfois constaté. Les grossistes possèdent la vision d’ensemble du marché alors que les expéditeurs, eux, n’en ont qu’une vue partielle. Cette dissymétrie se manifeste par des spéculations sur la baisse des cours provoquées par les grossistes, qui continuent à informer les expéditeurs (provinciaux) que le marché est difficile alors que, en réalité, les cours remontent déjà sur les marchés de gros centralisateurs (ceux de Paris notamment).

Ces caractéristiques de marché préoccupent beaucoup les producteurs agricoles. Certains tentent d’échapper à l’emprise des marchés agricoles par des ventes directes aux consommateurs (le long des routes par exemple). Bien que ces ventes aient pris un assez grand développement depuis 1960, elles ne représentent cependant qu’une part assez faible de la commercialisation des produits agricoles. C’est par d’autres formules que les producteurs essaient d’améliorer leur situation. Dans le cadre local, on peut observer de nombreuses transactions directes entre producteurs et détaillants, que les producteurs apportent leurs légumes en ville ou que les détaillants les ramassent eux-mêmes dans la campagne. Dans le cadre régional — c’est-à-dire dans un rayon de 200 km —, ce sont des achats directs des grossistes ou demi-grossistes à la production. Dans ces cas, le négociant cherche à s’attacher quelques producteurs importants, individuels ou coopératifs, et ne continuent à s’approvisionner sur le marché que pour les besoins complémentaires. Enfin, dans un cadre de relations interrégionales — au-delà de 200 km —, les ventes se réalisent parfois en dehors de tout marché, par des transactions entre expéditeurs, négociants et destinataires, grossistes ou supermarchés.