Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mao Tsö-tong (suite)

Le maoïsme

Malgré les premiers indices d’une démarche originale du gouvernement quant à l’acheminement vers le socialisme en Chine, les grandes options économiques du régime reproduisent assez fidèlement le modèle stalinien. Et même si des divergences apparaissent déjà au début des années 1950 entre deux grandes tendances symbolisées plus tard par Liu Shaoqi (Lieou Chao-k’i) et Mao, elles sont fortement atténuées par l’ombre du « grand frère soviétique ».

À partir de 1955, les méthodes de Mao s’éloignent de celles qui sont employées par les Russes et évoluent vers ce que l’on a appelé la « généralisation de l’héritage de Yan’an (Yen-ngan) ». Après avoir compris, dans les années héroïques, que la mobilisation des masses est la condition sine qua non d’une victoire contre l’ennemi (qu’il soit envahisseur ou gouvernement réactionnaire), Mao se persuade que cette mobilisation est indispensable au progrès technique. Le premier plan quinquennal — de type soviétique — est lancé en 1953. Or, le 31 juillet 1955, le président de la République populaire de Chine annonce que tous les paysans chinois seront, dans un avenir très proche, intégrés dans des coopératives où la terre sera mise en commun et où le travail sera mené collectivement. Pour lui — et en cela il diffère des thèses léninistes comme de l’expérience stalinienne —, les transformations sociales ne doivent pas découler des transformations économiques, mais les devancer et les susciter. Déjà apparaissent dans ce discours les grands thèmes de la Grande Révolution culturelle prolétarienne, celui de l’importance primordiale des « forces subjectives », et celui de la nécessité de la lutte des classes ; Mao souligne en outre le fait qu’il rencontre de plus en plus d’opposition au sein du P. C. C. D’ailleurs, au VIIIe Congrès du parti, en septembre 1956, il n’est plus fait allusion à la « pensée de Mao Zedong » ; on se réfère uniquement au « marxisme-léninisme ». Cette remise en cause de l’infaillibilité du grand homme est encore mise en valeur par la campagne des « Cent Fleurs », commencée au printemps 1956. Initialement destinée à critiquer des maux particuliers, elle prend au bout d’un an la tournure d’une mise en accusation du régime lui-même et de son premier dirigeant.

L’année 1956 est aussi le moment où Mao remet en cause les schémas soviétiques à propos de la primauté de l’industrie sur l’agriculture et de celle de l’industrie lourde sur l’industrie légère. Il fait implicitement la critique de l’expérience russe et propose un équilibre dans le développement économique. Au niveau politique, sans remettre en cause les grandes vagues d’exécutions du début de la République, il souligne la nécessité d’une rééducation des fautifs au lieu de leur élimination physique. (Ce point de vue sera maintes fois repris lors de la Révolution culturelle même si par ailleurs la caution du président sera donnée à des actes de violence sans lesquels toute révolution est pour lui impossible, puisque aussi bien, comme il l’écrivait dès 1927 : « Celle-ci n’est point un dîner entre amis... une révolution est une insurrection, l’acte de violence par lequel une classe renverse le pouvoir d’une autre classe. »)

Enfin, il revient à un thème développé dès 1937, celui des contradictions existant même dans une société socialiste. Le 27 février 1957, Mao prononce son célèbre discours dont les citations émailleront plus tard le Petit Livre rouge : « De la juste solution des contradictions au sein du peuple » ; « Les contradictions entre nous-même et l’ennemi ont un caractère antagoniste. Pour ce qui est des contradictions au sein du peuple, celles qui existent parmi le peuple laborieux sont non antagonistes ; celles entre les classes exploitées et les classes exploiteuses ont, outre leur aspect antagoniste, un aspect non antagoniste [...]. La bourgeoisie nationale a un côté qui consiste à exploiter la classe ouvrière pour faire des bénéfices, et un autre côté qui se manifeste dans l’appui donné à la constitution, et dans sa disposition à subir une transformation socialiste [...]. La contradiction entre l’exploiteur et l’exploité, qui existe entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale, est en soi antagoniste. Mais, dans les conditions concrètes de notre pays, la contradiction antagoniste entre ces deux classes, si elle est traitée comme il faut, peut être transformée en une contradiction non antagoniste. »

Si la bourgeoisie nationale accepte d’être réformée, la contradiction peut n’être plus antagoniste. Cette idée de rééducation est chère à Mao Zedong : dès les années 1930, elle avait été mise au point avec succès sur les soldats du Guomindang par l’armée rouge, puis, en 1942, avec la campagne « Zheng Feng » (« Tcheng Fong ») de rectification.

Enfin, l’un des arguments les plus originaux du discours tient dans l’affirmation que les contradictions existent non seulement dans la société, mais aussi entre cette société et le gouvernement, entre dirigeants et dirigés.

Mais les résultats des « Cent Fleurs » viennent modifier considérablement les intentions de Mao. La remise en cause du rôle du P. C. C. lui-même par de plus en plus de Chinois ne peut être acceptée par son président, et c’est pourquoi la campagne est brusquement stoppée en juillet 1957. Les grands projets maoïstes (le « grand bond en avant », les communes populaires) se réaliseront dans la discipline. Cette politique radicale trouve sa raison d’être dans la « révolution permanente », théorie que Mao va développer à partir de 1958. Pour lui, les peuples connaîtront une infinité de révolutions qui permettront à l’homme de transformer toujours plus rapidement la société et la nature. Cette vision tient autant à son désir profond de transformer l’homme qu’à son expérience continuelle de lutte armée et idéologique.

Une autre pensée originale de Mao Zedong prend corps à cette époque. C’est celle de la « page blanche » (qui symbolise le peuple chinois et plus particulièrement la paysannerie), porteuse de vertu dans la mesure où elle échappe à la perversion des sociétés développées, où règnent l’« individualisme égoïste » ou le « révisionnisme moderne ». Le sous-développement des campagnes est un élément positif, et il n’est donc pas étonnant que l’instauration des communes populaires marque d’après lui le point de départ du communisme, qui gagnera plus tard les villes. Cette préférence du « pauvre et blanc » est caractéristique du point de vue maoïste. Mieux vaut quelqu’un qui veut que quelqu’un qui sait. Encore une fois, l’expérience du Jiangxi (Kiang-si) et de Yen’an (Yen-ngan) n’est pas étrangère à cette analyse : sans la résolution d’hommes modelés par le parti (paysans illettrés, vagabonds et autres « éléments déclassés »), le mouvement révolutionnaire n’aurait pas survécu face à un ennemi dix fois supérieur en nombre et en équipement.