Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mao Tsö-tong (suite)

La troisième offensive nationaliste, qui commence en juillet 1931, est menée par Jiang Jieshi lui-même. Ses effectifs s’élèvent à 300 000 hommes, soit dix fois ceux de l’armée rouge. Peu de temps après les premiers engagements, les troupes nationalistes se retirent. Mais cette fois, l’habileté des Rouges n’est pas la seule raison de ce recul : les Japonais viennent de commencer leur invasion en Mandchourie (18 sept. 1931). Cette diversion va permettre aux communistes de régénérer leurs forces.

Le 7 novembre 1931 s’ouvre le Ier Congrès des soviets chinois à Ruijin (Jouei-kin). Le 27 novembre, Mao y est élu président du gouvernement provisoire des soviets. Sa qualité de leader du mouvement communiste dans les bases rurales contrôlées par le P. C. C. est donc officiellement reconnue. Il n’empêche que la direction du parti appartient toujours aux militants restés dans les villes. Li Lisan a été remplacé par un groupe de jeunes marxistes « retour de Moscou » surnommés les « vingt-huit bolcheviks ». Or, la répression s’accentuant, particulièrement à Shanghai, l’état-major du P. C. C. rejoint les territoires rouges. Et presque immédiatement, les contradictions entre les deux tendances sont mises au grand jour. Les nouveaux venus font porter leur critique sur l’essentiel. Premièrement, la réforme agraire effectuée à l’intérieur du soviet est jugée trop modérée. Mao Zedong, dont les positions avant l’expérience du Jiangxi (Kiang-si) étaient radicales, avait selon sa méthode habituelle mis en harmonie la théorie avec la pratique. Il avait dû en particulier modifier ses positions vis-à-vis des « classes intermédiaires » qui ne devaient pas selon lui pâtir de la réforme, et ce, pour garder le soutien de la majorité des paysans. Ce point de vue est jugé opportuniste par les dirigeants du Comité central.

La deuxième attaque des « vingt-huit bolcheviks » porte sur la ligne militaire : celle-ci est « surannée ». Les Rouges ne doivent plus mener une guerre de « partisans », une guérilla, mais attaquer de front et hors des territoires soviétiques, lutter « d’État à État ». Mao est finalement en minorité et éloigné des centres de décision.

En Chine nationaliste, après un temps de pose, Jiang Jieshi décide de ne pas s’opposer aux Japonais, jugés trop puissants, et de détruire d’abord l’« ennemi de l’intérieur ». Une quatrième campagne contre le soviet du Jiangxi (Kiang-si) commence en avril 1933. À l’offensive des Blancs, les Rouges répondent par les « nouveaux principes ». Beaucoup plus nombreux que lors des premiers combats, plus expérimentés, les communistes réussissent une fois encore à bouter l’ennemi hors de leur territoire. Apparemment, la preuve est donc faite que la tactique maoïste a fait son temps. Et la nouvelle méthode a en outre le mérite de préserver les forces civiles vivant dans le périmètre du soviet.

Pour la cinquième campagne, Jiang Jieshi mobilise plus d’un demi-million d’hommes. Il adopte la tactique de l’encerclement total. Les communistes, forts de leur récent succès, se présentent aux frontières pour s’opposer à l’avance ennemie. Pour ce faire, ils dispersent leurs forces, et essuient très rapidement, des revers. Ils sont incapables d’empêcher la progression de l’énorme machine mise au point par les nationalistes. La décision est alors prise de rompre le blocus pour échapper à l’anéantissement.


De la Longue Marche à la guerre sino-japonaise

Le 15 octobre 1934, 100 000 soldats, emportant avec eux une grande partie du matériel du soviet, commencent à avancer vers l’ouest de la Chine. C’est le début de la Longue Marche. Le départ « se fait en catastrophe » et sous les formes d’une véritable « débâcle ». Les combats pour franchir les lignes ennemies, les marches forcées coûtent très cher aux communistes, qui perdent en peu de temps la moitié de leurs effectifs. La supériorité des Blancs est encore accentuée par le manque de mobilité des Rouges, gênés par le matériel qu’ils transportent et par la tactique de la « ligne droite », adoptée par les dirigeants. Ces deux facteurs empêchent toute initiative et obligent les fuyards à rester constamment sur la défensive. De nombreux combattants s’égarent et, pour la première fois depuis l’instauration du soviet, les désertions ne sont pas rares. Le moral des troupes est au plus bas.

C’est le moment choisi par Mao Zedong pour faire la critique de la ligne politique et militaire des « vingt-huit bolcheviks » et proposer d’autres formes de lutte. Il faut abandonner le matériel le plus lourd et garder le strict nécessaire ; il faut abandonner une trajectoire rectiligne et revenir aux vieilles méthodes de ruse du Jiangxi (Kiang-si) ; enfin il faut reprendre l’initiative et, lorsque c’est possible, attaquer.

Les résultats ne se font pas attendre, et, dès la fin de l’année 1934, l’armée rouge remporte ses premiers succès. Un grand fleuve, le Wujiang (Wou-kiang), est franchi sans dommages, et la ville de Zunyi (Tsouen-yi), la deuxième cité de la province du Guizhou (Kouei-tcheou), est prise par les communistes le 5 janvier 1935. Pour la première fois depuis deux mois et demi, les soldats peuvent se reposer. Les propagandistes politiques informent la population du sens du combat mené par les Rouges, des réformes à appliquer. Mais le passage à Zunyi est surtout capital pour l’histoire du parti communiste chinois. C’est en effet dans cette ville que se tient une conférence où l’ancienne majorité est évincée et où, pour la première fois, Mao prend la direction de fait du Comité central. (Il n’en deviendra officiellement le président qu’en 1945.)

Après Zunyi, la Longue Marche prend les dimensions d’une épopée. L’armée rouge se joue des forces nationalistes ainsi que de celles des seigneurs de guerre locaux. En mai 1935, elle réussit à franchir le Yangzi (Yang-tseu) et commence à traverser des régions occupées par des « minorités nationales », principalement des Yi (ou Lolos). Après plusieurs escarmouches, une paix peut être conclue et les communistes passent leurs territoires sans dommages. Ils se dirigent ensuite vers la rivière Dadu (Ta-tou), où Jiang Jieshi espère bien les anéantir. Un siècle auparavant en effet, d’autres révolutionnaires, les Taiping, avaient été écrasés par les forces impériales dans les mêmes lieux. Une partie des communistes réussit à franchir le fleuve ; l’autre s’engage dans une course désespérée pour prendre le seul pont qui donne accès à l’autre rive en amont du torrent. Cent vingt kilomètres sont parcourus en moins de 24 heures sur des sentiers de montagne... Mais le pont suspendu est défendu par une garnison ennemie, et les planches ont été retirées. Des volontaires, agrippés aux chaînes, réussiront à passer de l’autre côté. L’héroïsme des soldats rouges, fortement émoussé depuis la cinquième campagne, a retrouvé ses droits.