Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mantegna (Andrea) (suite)

Après le Polyptyque de saint Luc (1454, pinacothèque de Brera, Milan), le grand Retable de saint Zénon, exécuté pour l’église de ce nom à Vérone entre 1457 et 1459, marque le dernier épisode de la période padouane. On y trouve la parfaite utilisation des solutions stylistiques déjà présentes dans les fresques de Padoue, tel le rapport nouveau créé avec le spectateur par la position di sotto in su des personnages du premier plan, innové avec tant de fougue dans la fresque de l’Assomption de la Vierge de la chapelle Ovetari, cependant que les saints des compartiments latéraux s’ordonnent avec une lucide volonté en fonction de la Vierge en majesté qui forme le centre perspectif de la composition. Les panneaux de la prédelle (musée du Louvre et musée de Tours) manifestent par la vivacité du coloris l’enseignement de Giovanni Bellini*, qui modifia dans un sens naturaliste le parcours mantegnesque.

En 1460, Mantegna accepte après un long échange de correspondance l’offre de Louis III de Gonzague, seigneur de Mantoue. Une relation faite de la même rigueur morale unit le marquis et son peintre. Celui-ci trouve à Mantoue des conditions d’existence qui lui permettront d’atteindre la forme la plus consciente et la plus monumentale de son art.

Il fait en 1464 un voyage archéologique sur le lac de Garde pour y retrouver des vestiges classiques ; en 1466, il se rend à Florence, où il prend un contact direct avec les chefs-d’œuvre de Donatello, d’Andrea del Castagno et de Piero della Francesca. Ces enseignements se mêleront de manière féconde dans le grand travail de la Camera degli Sposi du château San Giorgio. L’œuvre a profondément marqué le Corrège*, Jules-Romain* et Véronèse*. La décoration des murs, du plafond et de la lunette forme un tout d’une rare autorité spatiale. Sur le mur nord, la Cour de Louis de Gonzague est mise en scène avec virtuosité, mais la variété des personnages et le vérisme des portraits jouent sur la tonalité digne et sévère d’un paysage lointain, ponctué de monuments classiques empruntés à Rome. Ce songe antiquisant se retrouve dans le Saint Sébastien du Louvre (v. 1480) : attaché à une colonne antique, il repose sur des débris architectoniques disposés dans une intention archéologique. Quant au Christ mort de la Brera, il témoigne d’un tour de force perspectif et d’un jeu linéaire poussés à une dimension métaphysique.

Le marquis Louis III meurt en 1478, et commencent alors les épreuves morales et financières pour Mantegna. Son fils meurt en 1480, perte qu’il ressent douloureusement : en outre, il doit solliciter une aide financière auprès de Laurent le Magnifique, qui était venu le voir dans son atelier. Mais le mécénat des Gonzague reprend, et Mantegna entreprend en 1485 le Triomphe de César (palais de Hampton Court), neuf grandes toiles tendant à la monochromie, qui allongent dans une lente procession leurs guerriers imaginaires, nés d’une vision antique. Pendant l’exécution de ce travail, il a l’occasion de préciser ses souvenirs classiques en se rendant à Rome en 1488.

La dernière décennie est une période d’intense créativité, où sont élaborées beaucoup de ses œuvres les plus marquantes : la pala avec la Madone et des saints de l’église Santa Maria in Organo de Vérone (1496-97), la Madone de la Victoire (v. 1495-96, Louvre) et les deux toiles commandées pour le studiolo d’Isabelle d’Este, aujourd’hui au Louvre, le Parnasse (1497) et Minerve chassant les Vices du jardin des Vertus (1501-02). Ces œuvres sont difficilement séparables les unes des autres : elles sont peintes dans le même registre expressif, mélange complexe d’érudition, d’invention narrative et de convention formelle et morale.

N. B.

 G. Fiocco, L’arte di Andrea Mantegna (Bologne, 1927). / E. Tietze-Conrat, Montegna (Londres, 1955). / E. Camesasca, Mantegna (Florence, 1964). / N. Garavaglia, L’opera completa del Mantegna (Milan, 1967).

manuélin (art)

Style gothique tardif qui s’est épanoui au Portugal sous le règne de Manuel Ier le Grand et le Fortuné (1495-1521).


Ainsi baptisé par un érudit du milieu du xixe s., cet art s’est maintenu encore quelque temps après la mort de Manuel Ier et a succombé à l’influence de la Renaissance italienne. Il est surtout caractérisé dans l’architecture par un décor véhément, au relief vigoureux, qui s’oppose à de vastes surfaces lisses et mêle des motifs végétaux et zoomorphes, souvent marins — algues et coquillages —, à des éléments de gréement de navires. On y voit le rappel des expéditions maritimes portugaises en Afrique et en Extrême-Orient.

L’art manuélin se manifeste à Batalha, notamment dans le décor des baies du cloître royal, commencé vers 1490 par l’architecte Boytac († 1528), originaire sans doute du midi de la France ; celui-ci travaille à la même époque à l’église de Jésus, à Setúbal, dont les voûtes nervées sont flamboyantes, mais dont les colonnes s’enroulent en torsades. On retrouve encore Boytac au couvent des Hiéronymites de Belém dans les premières années du xvie s., à Coimbra et dans les forteresses de la côte marocaine. Mais les plus grands maîtres de l’architecture manuéline sont portugais. Ils gardent le goût local pour les vastes espaces intérieurs aux volumes simples et pour les élévations en hauteur. Ils sont sensibles aux formules plateresques de l’Espagne (João de Castilho à l’église de Belém) et à l’art de l’islām marocain (Francisco de Arruda à la tour de Belém). Émile Bertaux avait même voulu voir l’influence de l’Inde dans l’exubérance du décor de la fenêtre de Tomar. Outre João de Castilho (1490-1581) et son œuvre magistrale de Belém, il faut citer Mateus Fernandes († 1515), auteur de la porte d’entrée des chapelles imparfaites de Batalha, et surtout les deux frères de Arruda : Diogo, l’aîné (connu de 1508 à 1531), agrandit la rotonde des templiers à Tomar, y construit la salle capitulaire et le chœur surélevé avec son extraordinaire fenêtre ; Francisco, le cadet (connu de 1510 à 1547), élève en 1515 la tour de Belém, près de l’estuaire du Tage, pour commémorer l’expédition de Vasco de Gama. Il construit la cathédrale d’Elvas et édifie avec son frère l’église de la Madeleine à Olivenza (auj. Espagne), dont les colonnes torses se nouent comme des cordages, donnant son aspect baroque, maintes fois noté, à cet art manuélin. D’autres monuments sont édifiés ou transformés, tant dans l’architecture civile aux palais de Sintra et d’Évora, où travaille Martini Lourenço († v. 1525), que dans l’architecture religieuse à São Francisco, au couvent dos Lóios d’Évora, à Viseu, à Beja, à Alcobaça, où João de Castilho ajoute un étage au cloître cistercien.