Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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maniérisme (suite)

La dernière saison du maniérisme italien, qui s’essouffle et dépérit vers 1570, voit une dispersion des centres. À Rome, les frères Zuccari, Taddeo (1529-1566) et Federico (v. 1540-1609), pratiquent un éclectisme aisé, proche de l’académisme* (décor du palais Farnèse à Caprarola, 1563-1565), et la réaction classique des Carrache* n’aura aucune peine à s’imposer à la fin du siècle.

Dans le Nord, le maniérisme se montre singulièrement plus vivace avec deux artistes très personnels : Pellegrino Tibaldi (1527-1596), qui est aussi architecte, et Luca Cambiaso (1527-1585), de Gênes, qui se passionne pour la décomposition des figures en volumes géométriques et les éclairages qui préludent au luminisme (Madone à la bougie, palazzo Bianco, Gênes). Le Lombard Giuseppe Arcimboldi (1527-1593) part d’un genre alors nouveau, la nature morte, pour composer ses extravagantes compositions où végétaux et crustacés dessinent des formes humaines : le maniérisme atteint là un de ses paroxysmes. Il est significatif que ce soit à la cour des Habsbourg, et particulièrement auprès du demi-fou Rodolphe II, qu’ait prospéré ce créateur morbide, par ailleurs abondamment imité. À Venise, le vieux Titien* semble s’être adapté à la nouvelle esthétique, à laquelle adhèrent des peintres comme le Schiavone (Andrea Meldolla, v. 1510-1563), élève du Parmesan, fluide et capricieux, et Jacopo Bassano*. La qualification de maniériste convient moins à Véronèse*, malgré le froid détachement avec lequel il traite ses personnages et un souci prépondérant du décor somptueux. Le Tintoret* adopte le canon maniériste avec l’élongation des figures qui se prêtent aux plus hardies des gesticulations, les compositions décentrées, prétextes à d’extraordinaires effets de perspectives, et les effets de lumière fantasmagoriques. Il crée un monde en déséquilibre permanent qui surenchérit sur celui de Michel-Ange. Le maniérisme se maintient chez quelques artistes comme Federico Barocci* d’Urbino, qui aime les plis cassés, les mises en page insolites et les effets mystérieux de lumière, ou encore, au xviie s., chez le cavalier d’Arpin (Giuseppe Cesari, 1568-1640) et chez le Lorrain italianisé Jacques Callot*, commentateur aigu des malheurs de son temps.


L’école de Fontainebleau

Au milieu du xvie s., le devant de la scène se déplace grâce au mécénat des rois de France et à leur obsession de rattraper l’Italie. Fontainebleau* deviendra une « nouvelle Rome ». Le Rosso est appelé en 1530 ; disciple de Jules Romain, le Primatice*, originaire de Bologne, le rejoint un an plus tard. La galerie François-Ier est un parfait manifeste du goût maniériste : compositions aux sujets alambiqués, véritables rébus, formes serpentines traités en relief et en stuc, motifs peints ou sculptés où se reconnaissent aisément les formes et les couleurs en vogue, précieuses et sensibles, venues du Parmesan et de Jules Romain. La chambre de la duchesse d’Étampes reste un autre témoignage du succès du Primatice à la Cour française, où celui-ci fait bientôt figure de chef d’école. Suivent la galerie d’Ulysse, aujourd’hui disparue, puis la salle de bal. Parmi les collaborateurs figurent des Italiens (Antonio Fantuzzi [actif de 1537 à 1550], spécialiste des grotesques et graveur des compositions du maître) et aussi des Français. En 1552, un artiste de Modène, Nicolo Dell’Abate (v. 1506/1512-1571), vient en renfort et apporte un sens plus aigu du paysage, qui envahit le tableau au point de faire parfois oublier le sujet ; l’atmosphère poétique transfigure les scènes. De moindre envergure, Luca Penni (v. 1500/1504-1556) prête un accent raphaélesque à ses mythologies galantes.

Les Français adoptent vite les conventions du nouveau style. L’Eva Prima Pandora de Jean Cousin* le Père s’allonge interminablement dans sa nudité froide. Antoine Caron, de Beauvais (1521-1599), décorateur de la Cour et ami de Ronsard, se plie au langage italien en se faisant d’aventure plus énigmatique encore (les Massacres du Triumvirat, musée du Louvre) ; François Clouet* s’adonne volontiers à ces allégories qui sont en réalité des portraits-satires, ces dames à la toilette, ces bains de Diane qui attestent la légèreté des mœurs à la cour de France, menant l’œuvre d’art aux limites de la grivoiserie. Beaucoup de ces œuvres demeurent anonymes.

On désigne sous le nom de seconde école de Fontainebleau les artistes qui travaillent sur les chantiers royaux à la fin du xvie et au début du xviie s., après l’interruption des guerres de Religion, mais dans une atmosphère encore lourde, que reflète la production de cette dernière séquence maniériste. Trois personnalités la dominent. Toussain Du Breuil (1561-1602) est un Parisien qui doit beaucoup au Primatice et aime les compositions hardies, exécutées de façon large et aisée. La plupart de ses travaux, à Fontainebleau, à Saint-Germain, au Louvre et aux Tuileries, ont disparu. Ambroise Dubois, Anversois d’origine (1543-1614), tente de reprendre à Fontainebleau les grandes traditions en décorant la galerie de Diane ; il apporte du Nord une sensibilité aiguë du paysage. Martin Freminet (1567-1619), enfin, a été abusivement qualifié de Michel-Ange français en raison de ses fresques tourmentées et sombres de la chapelle de la Trinité.


Les pays du Nord l’école de Prague

Dans les Flandres, les contacts avec l’Italie introduisent très tôt les ferments de la nouvelle esthétique. Les principaux responsables en sont Jan Gossart* et Bernard Van Orley*. Anvers est le centre le plus actif, avec Jan Sanders Van Hemessen (v. 1500-1563) et Jan Matsys*, qui a connu l’école de Fontainebleau et le Primatice. Il campe ses nus alanguis, d’une pâleur marmoréenne, devant des paysages aux tons froids (Flore — devant la baie de Naples —, National Museum, Stockholm). Frans Floris*, le peintre maniériste le plus productif de son pays, ouvre école à Anvers vers le milieu du siècle et forme des générations d’artistes. Il multiplie les scènes mythologiques dans un style élégant et glacé. Tout à l’opposé d’un tel art, Bruegel* l’Ancien peut, toutefois, être rattaché au maniérisme par ses architectures fantastiques, son goût du macabre ou du monstrueux.