Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

manichéisme (suite)

À ces rites principaux s’ajoutent les nombreux signes (ou « mystères ») auxquels les manichéens étaient attachés et que les Kephalaia IX mettent en relation avec le mystère de l’Homme primordial : le souhait de paix, la poignée de main, le baiser, le prosternement, l’imposition des mains, tous gestes qui manifestent la parenté entre le manichéisme et le christianisme primitif.


L’Église manichéenne

La religion prêchée par Mani emprunte de nombreux traits au milieu fortement baptiste et gnostique de la Perse du iiie s. ; elle se présente comme une « religion de salut » et, bien plus que la secte d’Elkasaï, comme une « religion du Livre ». Mani fonda aussi une Église qu’il marqua d’une empreinte œcuménique.

Le message apporté par l’Illuminateur se présente comme la clef de toutes les révélations antérieures. Il devait permettre l’unification religieuse du monde, encore divisé à son époque entre Bouddha en Orient, Jésus en Occident et Zoroastre en Iran. Mani aurait confié à trois de ses disciples, Hermas, Addo et Thomas, l’évangélisation de la Scythie, de l’Égypte et de la Syrie. Trois missions organisées par Mani sont, en tout cas, bien connues grâce à ses lettres : celle d’Addo à Alexandrie entre 244 et 261 ; une autre en Bactriane et jusqu’à l’Amou-Daria vers 262 ; une autre parmi les chrétiens syriaques de Kirkūk vers la même époque. L’Occident semble avoir été plus accueillant que l’Orient à la nouvelle doctrine. En 297, l’empereur Dioclétien, impressionné par les progrès de la mission manichéenne en Égypte, promulgua le premier édit persécuteur à son endroit. Néanmoins, le message de Mani continua de se répandre. On sait l’audience qu’il avait acquise en Afrique au ive s., au moment où Augustin y adhéra. Au viiie s., l’Église manichéenne aura pour chef suprême un Africain.

Bien que les filiations soient mal établies, il est possible que le manichéisme ait donné naissance au viie s., en Arménie, puis dans l’Empire byzantin, au mouvement des pauliciens et, de là, à celui des bogomiles. Ceux-ci engendreront à leur tour au xiie s., en Italie et dans le sud de la France, le mouvement cathare.

Au viiie s., la doctrine manichéenne s’étendit au Turkestan et en Chine. En 763, le chef des Turcs Ouïgours se convertit ; jusqu’à sa destruction en 840, l’Empire ouïgour eut le manichéisme pour religion d’État.

En Babylonie, le manichéisme cohabitera avec le judaïsme et le christianisme sous le règne des Sassanides, puis sous celui des Omeyyades. Au xie s., avec l’avènement des califes ‘abbāssides, il fut chassé des régions où il avait vu le jour. Son pontificat, transféré de Babylone à Samarkand, disparut peu après.

B.-D. D.

➙ Augustin (saint) / Cathares / Christianisme / Gnostiques / Mandéisme / Mazdéisme.

 P. Alfaric, les Écritures manichéennes (Nourry, 1918 ; 2 vol.). / H. J. Polotsky, Manichäische Homilien (Stuttgart, 1934). / H. C. Puech, le Manichéisme, son fondateur, sa doctrine (S. A. E. P., 1949). / T. Säve-Söderbergh, Studies in the Coptic Manichaen Psalmbook (Uppsala, 1949). / G. Widengren, Mani und der Manichäismus (Stuttgart, 1961). / O. Klíma, Manis Zeit und Leben (Prague, 1962). / C. Schmidt, H. J. Polotsky et A. Böhlig, Kephalaia (Stuttgart, 1966). / L. J. R. Ort, Mani. A Religio-historical Description of his Personality (Leyde, 1967). / F. Decret, Aspects du manichéisme dans l’Afrique romaine (Éd. augustiniennes, 1970). / F. Decret, Mani et la tradition manichéenne (Éd. du Seuil, 1974).

maniérisme

Tendance artistique qui se développe du xvie s. au début du xviie à partir de l’Italie.



Définition et caractères

Le concept de maniérisme ne s’est dégagé que lentement dans les études d’histoire de l’art. Il connaît de nos jours un succès tel que l’on confond parfois art du xvie s. et maniérisme. C’est le sort des mots accaparés par la mode, comme le baroque*, désignant une esthétique qui a succédé au maniérisme et qui, dans une certaine mesure, en procède. Le mot dérive de l’italien maniera, que l’on traduirait par « style original » d’un artiste, à travers lequel il exprime son « idée ». Giorgio Vasari*, peintre, théoricien, historien de l’art, emploie volontiers le terme, qui a subi une déviation péjorative avant d’acquérir vers le milieu du xxe s. ses lettres de noblesse. On s’accorde, à peu près, à la suite de divers colloques et controverses, pour y voir un style original et complet, qui ne se confond plus avec la dernière phase de la Renaissance*, mais, au contraire, se développe assez largement en contradiction avec elle. Ce style naît en Italie vers 1520, s’y propage en plusieurs centres et en plusieurs phases, et affecte, par l’intermédiaire d’artistes italiens immigrés ou de voyages en Italie, d’autres centres artistiques européens : France, avec ce qu’il est convenu d’appeler l’école de Fontainebleau, Pays-Bas et aussi pays germaniques, avec notamment l’école de Prague. Le maniérisme débordera largement sur le xviie s. dans ces dernières conquêtes et ne reculera que devant la poussée du réalisme et du classicisme*, et surtout devant l’irrésistible ascension du baroque.

Il apparaît tout d’abord comme un art tourné vers l’irréalisme. Il est né et s’est développé en des temps d’inquiétude et de doute. L’autorité de l’Église est remise en question, non plus tant par l’humanisme de la Renaissance que par l’esprit de Réforme. L’équilibre, la mesure, la sérénité de la Renaissance ne suffisent plus, ne répondent plus à l’angoisse de temps où tout est remis en question. L’art devient alors une espèce de refuge, mais il s’écarte de l’homme et de la nature, se veut résolument artificiel. L’art des autres, et notamment de la grande génération de la Renaissance, est pour l’artiste une source d’inspiration plus féconde que la nature, qui, avec le recours à l’Antiquité, avait été la suprême référence des maîtres du quattrocento. L’artiste va donc non pas imiter, mais défier ces maîtres, reprenant leurs sujets, leur système et raffinant à partir de là en des surenchères qui entraînent forcément déformations et excès, tout en démontrant la « manière » d’un artiste soucieux de virtuosité et avide de prouesse aux dépens de la vérité, d’un artiste qui prend conscience de son génie irréductible, s’imprègne de la philosophie des esthètes du temps et s’éloigne de toute candeur artisanale. Cette évolution se trouvait en germe, à la fin du xve s., dans l’Italie ivre de beauté. Lasse des certitudes classiques d’un Raphaël*, la génération suivante se tourne de préférence soit vers l’énergie visionnaire d’un Michel-Ange* qui, mourant très vieux, sera le témoin capital pour la civilisation du cinquecento, soit vers la sensualité et les assouplissements de la forme, dont le Corrège* montrait la voie. Ces deux courants, issus de la terribilità de Buonarroti et de la suavité corrégienne, se poursuivent et se compénètrent parfois. Dans la genèse du maniérisme, l’apport de Venise consiste dans l’importance accordée aux effets de couleurs, dans une certaine luxuriance de décor faite pour la délectation. Déjà, Giorgione* avait vidé certains de ses tableaux de toute justification narrative au profit de l’étrangeté de l’atmosphère et d’une sorte de neutralité des personnages. Une plus grande mobilité dans une Europe en ferment, les contacts répétés des artistes nordiques (Dürer* par exemple) avec une Italie qui les fascine expliquent l’intrusion, dans ce maniérisme en gestation, d’éléments septentrionaux enrichissants.