Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mandéisme (suite)

On s’accorde aujourd’hui à penser que les origines du mandéisme sont palestiniennes. Le Ginzâ, écrit en araméen oriental, contient de nombreuses traces d’araméen occidental. L’importance de l’eau du Jourdain, le rôle de Jérusalem, lieu de la création d’Adam et du combat ultime entre la lumière et les ténèbres, le titre de nazir pour qualifier les vrais fidèles manifestent les origines juives de la secte. À partir de là, on comprend que la personne de Jean-Baptiste ait pu avoir un profond rayonnement dans la secte.

Mais le rapport entre le mandéisme et le baptisme de Jean est-il original ou tardif ? Et quel rapport a-t-il pu y avoir entre le mandéisme et le christianisme ? Cette question est d’autant plus délicate que les écrits mandéens contiennent un certain nombre des données très proches de celles qui se rencontrent dans le Nouveau Testament. Certaines d’entre elles sont certainement des emprunts. Si l’on tient compte de caractère très antijuif et antichrétien de la secte, ces emprunts sont nécessairement très anciens. La doctrine du mandéisme a pu se constituer à la fin du ier s. ou au début du iie s. apr. J.-C. Mais d’autres données peuvent provenir de plus loin et avoir constitué un bien commun au mandéisme et au christianisme, de sorte qu’on ne peut comprendre leurs rapports que si l’on se souvient que ces deux mouvements plongent l’un et l’autre dans un profond mouvement baptiste issu du judaïsme, dont l’elkasaïsme constitua une troisième variante. Les disciples de Jean-Baptiste furent eux-mêmes l’un de ces groupes baptistes juifs. Il est donc peu vraisemblable que le christianisme ait emprunté au mandéisme. Mais il est fort probable que l’un et l’autre ont suivi des cheminements analogues par rapport au baptisme primitif, grâce auquel ils s’enracinent dans la tradition juive.

B.-D. D.

 M. Lidzbarski, Das Johannesbuch der Mandäer (Giessen, 1915) ; Mandäische Liturgien (Berlin, 1920) ; Ginzâ, der Schatz oder das grosse Buch der Mandäer (Göttingen, 1925). / R. Stahl, les Mandéens et les origines chrétiennes (Rieder, 1930). / E.-S. Drower-Stevens, The Mandaeans of Iraq and Iran (Oxford, 1937 ; rééd., Leyde, 1970). / E. Segelberg, Masbūtā. Studies in the Ritual of the Mandaean Baptism (Uppsala, 1958). / K. Rudolph, Die Mandäer (Göttingen, 1960-1962 ; 2 vol.). / E. M. Yanauchi, Gnostic Ethics and Mandaean Origins (Londres, 1970). / J. K. West, Mandaean Origins (Cambridge, Mass., 1970).

Mandelstam (Ossip Emilievitch)

Poète russe (Varsovie 1891 - Vladivostok 1938).


Né d’un père juif allemand, négociant en peaux, et d’une mère issue de la bourgeoisie juive russifiée, Ossip Mandelstam (ou Mandelchtam) passe ses premières années à Saint-Pétersbourg, qui incarnera plus tard à ses yeux le visage européen de la culture russe. Après de solides études secondaires dans un établissement privé réputé, il se rend à Paris (1907) et, trois ans plus tard, s’inscrit à l’université de Heidelberg, où il suit des cours d’ancien français et de littérature médiévale. Revenu en 1911 à Saint-Pétersbourg, il poursuit ses études de lettres à l’université de cette ville.

Ses premiers vers datent de 1908. Ils sont publiés en novembre 1910 dans la revue Apollon, revue d’art qui est alors l’organe de la réaction de la jeune génération pétersbourgeoise contre les excès du romantisme et le mysticisme des symbolistes. Mandelstam se lie avec Goumilev et Akhmatova* ; avec eux, après avoir fondé en 1911 l’« Atelier des poètes », il devient l’initiateur du mouvement « acméiste », dont il expose la doctrine dans Outro akmeizma (le Matin de l’acméisme), manifeste qui ne sera publié qu’en 1919. Le poète doit renoncer à toutes spéculations sur l’au-delà ; il doit être un artisan et non un mage ; architecte plutôt que peintre, il ne copie pas le réel, mais construit une œuvre avec pour matériaux des mots. Si, à cet égard, il y a une certaine parenté entre les principes des futuristes et l’esthétique de Mandelstam, ce dernier leur reproche, toutefois, de réduire arbitrairement le mot à sa seule enveloppe sonore.

En 1913, Mandelstam fait paraître son premier recueil de poche, Kamen (la Pierre), dont le titre significatif évoque cette analogie avec l’architecture. Un thème identique court à travers ce recueil, celui d’un émerveillement apeuré devant la précarité d’un monde qui semble prêt à se dissoudre dans le néant. Ces poèmes frappent surtout par leur sobriété limpide et la discrète musicalité de leur forme. Dans les poèmes écrits après 1912, qui font doubler le volume de la seconde édition (1916), la vision du monde s’enrichit et se précise, tout en restant cantonnée à des faits de culture. Le ton se diversifie et s’élargit, Mandelstam imprimant parfois à ses vers une pointe d’humour ou une nuance d’ironie.

La révolution d’octobre 1917 provoque en lui deux sentiments contraires : hostilité au coup d’État bolchevik, admiration résignée pour les forces en jeu. Obligé de quitter Moscou, Mandelstam vit deux ans à Kiev (où il fait la connaissance de Nadejda Iakovlevna Khazina, qu’il épousera en 1922), puis passe en Crimée (où il a déjà séjourné en 1916) et en Géorgie. Inspiré en grande partie par les circonstances historiques et intimes de cet exil dans le Midi, le recueil Tristia (1922), dont le titre rappelle Ovide, illustre la formule de Mandelstam suivant laquelle « la révolution, en art, mène nécessairement au classicisme ». Réminiscences antiques, recours aux archaïsmes, hauteur de l’expression confèrent à cette œuvre une noblesse certaine dans la facture, qui fait songer aux plus belles réussites classiques. En même temps que grandit l’intensité lyrique du vers, la référence à la réalité extérieure se fait plus allusive et plus obscure ; le poème trouve sa plénitude dans sa charge affective grâce à un jeu d’images valorisées par des rythmes et des sonorités inattendues, et grâce à un déferlement verbal incantatoire. Ces recherches rythmiques fondées sur le langage prendront en 1921-1925 une place encore plus grande, comme en témoigne la dernière édition soviétique de la poésie de Mandelstam.