Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Malinowski (Bronisław) (suite)

L’observation participante

Maître mot de sa méthode, l’observation participante réclame une expédition sur le terrain qui est une expérience personnelle, scientifique et affective. Elle suppose que le chercheur bannisse tout préjugé lié à son ethnocentrisme, bien qu’il doive conserver une charpente théorique qui lui fasse pressentir les problèmes. Pour que s’instaure un dialogue ethnographique direct et concret, une intégration au moins partielle à la communauté autochtone est nécessaire, que facilitent l’acquisition de la langue du pays et l’expression d’une chaleur humaine. Partager la vie quotidienne de l’observé, ses travaux, ses bavardages, ses fêtes s’impose à qui veut appréhender sa vision de l’univers, saisir les motivations de ses actes et comprendre son système de valeurs. Méfiant à l’égard de l’informateur, l’ethnographe doit privilégier l’observation sur l’interview, l’ordre vécu sur l’ordre conçu, ce qui ne signifie pas qu’il ne cherche à jeter un pont entre l’aspect explicite et l’aspect implicite de la culture et à comprendre les éventuels conflits.

La volonté d’investigation totale d’une société en acte préside à la démarche, qui doit viser :
1o à fournir une documentation concrète et statistique sur l’anatomie et la physiologie d’une culture ;
2o à rapporter minutieusement les éléments impondérables des comportements qui ne paraissent pas s’intégrer d’emblée à une structure connue mais appartiennent à un contexte d’expression ;
3o à collectionner le maximum de documents verbaux et comportementaux, anecdotiques éventuellement, qui nous renseignent sur les éléments les plus variés, récurrents ou fortuits, grâce auxquels on peut à la fois supputer une dynamique et caractériser une tradition ;
4o à mettre en évidence les phénomènes les plus explicatifs de la réalité sociale.

Malinowski n’a pas toujours suivi en tous points ses conseils aux chercheurs, mais les tableaux vivants qu’il nous brosse montrent assez la valeur de cette méthode d’enquête qui constitue le titre le moins contesté de Malinowski à l’admiration des ethnologues, et dont la meilleure illustration est celle des Argonautes du Pacifique occidental.


Une économie à base de réciprocité

Le sujet central des Argonautes est le grand mouvement d’échange entre les îles d’un archipel situé à l’est de la Nouvelle-Guinée. Des biens de prestige circulent, qui incorporent une certaine quantité de travail, tout en étant dépourvus de valeur commerciale ; les colliers de coquillages rouges font un circuit inverse de celui des brassards de coquillages blancs. L’échange rituel à base de réciprocité entre partenaires attitrés, qui se double ensuite de transactions avec marchandage portant sur des biens de consommation, a pour fonction de renouveler les relations qu’entretiennent des sociétés voisines, mais autonomes, les partenaires kula ayant entre eux des obligations mutuelles d’hospitalité et d’assistance. Pour que ces échanges aient lieu doivent être mises sur pied par les chefs de vastes expéditions maritimes, qui réclament la construction de pirogues, la production de biens de consommation et de prestige et tout un rituel traditionnel et magique.

La nouveauté des matériaux de première main, la vigueur et la verve des descriptions, la perspicacité de l’analyse des fondements de réciprocité de cette économie encastrée dans d’autres aspects du système social étonnent et suscitent mainte réflexion. Malinowski nous oblige, en effet, à réviser nos préjugés sur la simplicité des organisations sociales primitives et sur des concepts centraux de l’économie tels que ceux de valeur, de propriété, de travail, d’utilité. Dans cette monographie, l’idée de totalité fonctionnelle apparaît déjà, car l’institution kula est saisie dans toutes ses ramifications : écologiques, technologiques, magiques, mythiques, etc. ; et à tous ses niveaux sociaux : fonction des femmes, distinction statutaire des participants, travaux en commun, groupements de troc cérémoniel...

L’orientation holistique prévaut de la même manière dans les deux volumes de Coral Gardens, qui s’articulent autour de l’horticulture vivrière des Trobriandais et des pratiques qui s’y rattachent.

À travers la circulation des aliments et le stockage des ignames, c’est l’économie ostentatoire des Trobriandais qui continue d’être analysée en rapport avec la solidarité des parents par alliance et les fonctions statutaires du chef — répartiteur des tâches et du produit — et du magicien, contremaître de l’horticulture.


Le « pape » du fonctionnalisme*

Comme sa réussite sur le terrain a conduit Malinowski à faire fi des anthropologues de cabinet qui envoient des auxiliaires collecter les faits sur place, ses principes d’interprétation globale et fonctionnelle d’une culture expliquent son mépris pour le prélèvement de faits isolés, hors de leur contexte de fonctionnement, en vue de servir à la confirmation de thèses.

Représentant le plus notable du fonctionnalisme, Malinowski tient de H. Spencer l’idée de totalité organique, de Durkheim* l’idée de fonction, et du pragmatisme de W. James* l’interprétation à la fois biologique et téléologique qu’il donne de la totalité des éléments d’une société dont chacun est jugé indispensable au fonctionnement de l’ensemble. Les critiques n’ont pas manqué contre ce que le fonctionnalisme a de doctrinaire. On lui a objecté avec pertinence que les relations significatives ne doivent pas être cherchées seulement à l’intérieur d’une culture donnée, mais aussi dans ses rapports avec l’extérieur, sinon l’isolement analytique d’une culture risquerait d’en faire une unité artificielle. Affirmer que les mouvements de cette unité sont commandés par le désir de satisfaction des besoins primordialement biologiques, c’est admettre une ultima ratio qui procède d’une démarche analogue à l’explication par l’« économique en dernière instance ». Le reproche d’ignorer les dynamismes conflictuels, par privilège accordé à l’intégration, a aussi été adressé à Malinowski.