Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mahomet (suite)

La personnalité de Mahomet

Si un historien ne peut pleinement souscrire à l’exaltation avec laquelle l’islām a regardé son prophète, il ne peut que lui reconnaître une personnalité hors du commun. Certes, les succès foudroyants de l’islām en Arabie, puis au dehors sont dus pour une part aux circonstances, mais ils le sont aussi aux qualités de la synthèse idéologique fournie par Mahomet. On peut créditer celui-ci d’une grande intelligence, d’une habileté et d’une ténacité remarquables, d’un sens très fin des hommes et des situations. L’indignation ardente contre l’injustice qui marqua ses débuts lui inspira de véhéments accents poétiques.

Ceux qui jugent les actions de Mahomet doivent tenir compte des rudes mœurs de l’époque, des sollicitations permanentes, de la raison d’État et surtout de la Révélation. Grande personnalité religieuse, avec des tendances mystiques, Mahomet fut un grand chef politique. Il comprit et appliqua avec beaucoup d’intelligence les règles de cet art. Il faut noter aussi des gestes de clémence et de longanimité, une grande largeur de vues et le maintien jusqu’à la fin de ses exigences envers lui-même. Ses lois furent sages, libérales, progressistes pour l’époque et le lieu.

➙ ‘Alides / Arabes / Arabie / Coran / Islām / Mecque (La).

 F. P. W. Buhl, Das Leben Muhammeds (trad. du danois, Leipzig, 1930). / T. Andrae, Mohammed, sein Leben und seine Glaube (Göttingen, 1932 ; trad. fr. Mahomet, sa vie et sa doctrine, A. Maisonneuve, 1945). / R. Blachère, le Problème de Mahomet (P. U. F., 1953). / W. M. Watt, Muḥammad at Mecca (Oxford, 1953 ; trad. fr. Mahomet à La Mecque, Payot, 1958) ; Muḥammad at Medina (Oxford, 1956 ; trad. fr. Mahomet à Médine, Payot, 1959). / E. Dermenghem, Mahomet et la tradition islamique (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1957). / M. Gaudefroy-Demombynes, Mahomet (A. Michel, coll. « Évolution de l’humanité », 1957). / M. Rodinson, Mahomet (Club fr. du livre, 1961 ; nouv. éd., Éd. du Seuil, 1968). / F. Gabrieli, Mahomet et les grandes conquêtes arabes (Hachette, 1968). / R. Arnaldez, Mahomet (Seghers, 1970).

Maïakovski (Vladimir Vladimirovitch)

Poète russe (Bagdadi, Géorgie, 1893 - Moscou 1930).


Fils d’un garde forestier russe établi au Caucase, Maïakovski passe son enfance dans le village géorgien de Bagdadi (qui porte aujourd’hui son nom) et dans la ville voisine de Koutaïssi, où, à partir de 1902, il poursuit ses études secondaires. À la mort de son père, en 1906, sa mère et ses deux sœurs aînées s’installent avec lui à Moscou. Sa mère gagne sa vie en louant des chambres à des étudiants, auprès desquels Maïakovski fait son éducation politique. À quinze ans, en 1908, il entre en contact avec les organisations clandestines du parti bolchevik, dont il devient un militant actif. Arrêté à trois reprises, il finit par passer cinq mois en cellule à la prison de Boutyrki.

À sa sortie de prison, en janvier 1910, il cesse de militer, sans cependant renier ses convictions révolutionnaires ; abandonnant ses études secondaires, il se prépare à entrer à l’école de peinture, sculpture et architecture de Moscou, où il est reçu en automne 1911. Son condisciple, le peintre David Davidovitch Bourliouk, l’introduit dans les milieux de la peinture d’avant-garde, influencée par le cubisme naissant. Il l’enrôle avec Velemir Khlebnikov (1885-1922), théoricien du « mot en tant que tel », traité comme un pur matériau sonore de la création poétique, sous la bannière du cercle Guileïa (Hylê), noyau du groupe cubo-futuriste, dont Maïakovski signe les manifestes (Pochtchetchina obchtchestvennomou vkoussou [Une gifle au goût public], déc. 1912) et que sa haute silhouette et ses dons de tribun contribuent à populariser, notamment au cours d’une tournée de récitals à travers la Russie pendant l’hiver 1913-14.

Par-delà l’excentricité provocante de son vocabulaire, marqué par les néologismes et les vulgarismes, de sa syntaxe, tourmentée par la recherche d’effets sonores nouveaux et de rimes inédites, de ses rythmes, qui font bon marché des règles traditionnelles de la versification, de ses images outrées, frappées au coin d’un expressionnisme violent, les premiers vers de Maïakovski, publiés à partir de 1912 dans les recueils futuristes — quelques poèmes sont réunis et publiés dès 1913 sous le titre Ia ! (Moi !) —, laissent entrevoir une puissante personnalité, qui, cependant, trouvera son expression la plus adéquate dans des suites lyriques de longue haleine (Oblako v chtanakh [Un nuage en pantalons], 1915 ; Fleïta-pozvonotchnik [la Flûte-colonne vertébrale], 1916 ; Voïna i mir [la Guerre et l’univers], 1917 ; Tchelovek [l’Homme], 1918). Révolté contre tout ce qui écrase ou asservit l’homme dans la cité moderne (« À bas votre amour, à bas votre art, à bas votre système, à bas votre religion ! », telle est, selon lui, la substance des quatre volets du Nuage en pantalons), le poète apparaît, par-delà le défi qu’il adresse à la foule, comme le porte-parole, le prophète et le rédempteur de l’humanité souffrante : de nombreuses réminiscences évangéliques soulignent en particulier ce thème du sacrifice. Cependant, l’originalité du lyrisme de Maïakovski tient surtout au caractère extrêmement concret de cette image symbolique du poète, qui a tous les traits de l’individu Maïakovski (Vladimir Maïakovski. Tragédie, tel est le titre du poème dramatique où le poète, en décembre 1913, interprète en public son propre rôle) : Maïakovski tend consciemment à abolir toute frontière entre son moi intime et son personnage littéraire.

Rallié sans réserves à la révolution d’Octobre, il participe par une série de poèmes-manifestes (Prikaz po armii iskousstva [Ordre du jour de l’armée de l’art], Poet rabotchi [le Poète-ouvrier], Radovatsia rano [Trop tôt pour se réjouir]) à la rédaction de la Gazeta foutouristov (Journal des futuristes, numéro unique du 15 mars 1918) et de l’hebdomadaire officiel Iskousstvo kommouny (l’Art de la Commune, déc. 1918 - avr. 1919), où les cubo-futuristes, qui ont tenté, sans succès, de faire admettre par le parti la création d’une cellule de « communistes-futuristes » (komfouty), justifient au nom de la révolution les principes de l’art « de gauche », qui se donne pour tâche de créer des formes neuves et non de copier la réalité existante, et qui remplit ainsi une fonction primordiale dans le processus révolutionnaire. La recherche de formes d’expression nouvelles, permettant au poète d’être en prise sur son temps, guide l’activité de Maïakovski pendant les années de la guerre civile. Avec Misteria-Bouff (Mystère-bouffe), représentation allégorique de la révolution, jouée à l’occasion du premier anniversaire d’Octobre, Maïakovski tente de retrouver, par-delà le théâtre psychologique du xixe s., la résonance populaire du théâtre médiéval. La même ambition est sensible dans le poème 150 000 000 (1921), conçu comme une création anonyme de l’imagination populaire, où les figures hyperboliques d’Ivan et de Wilson doivent représenter l’affrontement de la révolution et du monde capitaliste. Surtout, entre 1919 et 1922, Maïakovski compose pour l’Agence télégraphique russe (ROSTA) les légendes de près de 1 300 affiches de propagande politique, associant étroitement un distique ou un quatrain percutant (notamment grâce à la puissance de choc d’une rime inattendue) à un dessin satirique souvent exécuté au pochoir par lui-même.