Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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magnétisme (suite)

Langevin avait supposé que les moments atomiques étaient indépendants les uns des autres et montré d’ailleurs par un raisonnement purement thermodynamique que l’aimantation ne dépendait que de la seule variable H/T. Pierre Weiss (1865-1940), en 1907, suppose qu’il existe en réalité des interactions dont les effets peuvent être représentés par un champ magnétique fictif proportionnel à l’aimantation : c’est la célèbre hypothèse du champ moléculaire, qui donne la clé du ferromagnétisme. Plus importantes encore sont les notions d’aimantation spontanée et de domaines élémentaires, qu’il introduit à ce propos.

L’idée qu’une région suffisamment petite du corps devait toujours posséder une aimantation spontanée égale à l’aimantation à saturation était très féconde et mit beaucoup de temps à s’imposer, bien que, d’après Weiss, elle n’avait rien de surprenant « puisque d’une manière analogue un liquide pouvait exister avec sa forte densité, sous une pression extérieure nulle, c’est-à-dire sous sa seule pression intérieure ». P. Weiss découvrit aussi et expliqua l’effet magnétocalorique des corps ferromagnétiques, prévu par Langevin pour les corps paramagnétiques.

L’avènement des théories quantiques, sans modifier essentiellement le schéma explicatif de Langevin et Weiss, y apporta des retouches sérieuses et permit de résoudre des difficultés qui avaient été laissées de côté. Par exemple, le moment magnétique permanent, que Langevin attribuait intuitivement aux atomes des corps paramagnétiques, était déjà une notion quantique. En 1919, Mlle Van Leuwen a montré que cette hypothèse était contraire à la théorie cinétique classique.

L’unité naturelle de moment magnétique des électrons sur leurs orbites, le magnéton de Bohr*, apparaît en 1913, mais c’est seulement en 1925 que Samuel Abraham Goudsmit et George Eugène Uhlenbeck montrent qu’en dehors de son moment orbital l’électron possède un moment propre, le spin, égal à un magnéton de Bohr. Le rapport du moment magnétique au moment cinétique n’est pas le même pour le moment de spin et pour le moment cinétique. Ainsi se trouvent expliqués l’effet Zeeman anomal ainsi que les résultats de la mesure directe de ce rapport au moyen des effets gyromagnétiques (Samuel Jackson Barnett, 1915 ; Einstein* et Wander Johannes De Haas [1878-1960], 1916), aimantation par rotation et rotation par aimantation. Bohr, Peter Joseph William Debye, Friedrich Hund (1925), Edmund Clifton Stoner (1929) précisent les valeurs quantiques des moments atomiques, tandis que Léon Brillouin (1927) et surtout John Hasbrouck Van Vleck (1932) donnent leur forme définitive à la théorie du paramagnétisme. Après sa mise en œuvre par Weiss, la nature du champ moléculaire est restée longtemps mystérieuse. Heisenberg* montre finalement, en 1926, qu’il est d’origine essentiellement quantique, analogue à la liaison chimique homopolaire, et qu’il est dû à des échanges d’électrons entre atomes : les forces sont d’origine électrostatique, mais le principe d’exclusion de Pauli* leur donne un caractère magnétique. Ces forces sont à courte distance ; elles ne peuvent pas équivaloir à un champ moléculaire uniforme comme le supposait Weiss. Ce champ doit avoir un caractère local et varier d’un site cristallin à l’autre, remarque qui conduit Louis Néel* (de 1932 à 1947) à développer les notions d’antiferromagnétisme et de ferrimagnétisme.

Parallèlement, l’interprétation des phénomènes d’hystérésis progresse. Après des essais timides de Weber et de Maxwell*, sir James Alfred Ewing (1853-1935) propose en 1890 un modèle fondé sur le rôle des interactions dipolaires magnétiques et donnant des cycles d’hystérésis de même allure que les cycles expérimentaux, tandis qu’en 1895 lord Rayleigh (1842-1919) découvre les lois très précises qui régissent l’hystérésis dans les champs magnétiques faibles vis-à-vis du champ coercitif. Mais Felix Bloch (né en 1905) apporte en 1932 un progrès décisif en découvrant la structure des parois de séparation entre les domaines élémentaires et la possibilité de faciles variations d’aimantation par déplacement de ces parois : on ne pensait avant qu’à la rotation de l’aimantation spontanée. En 1939, Richard Becker (1887-1955) montre que les tensions internes et la magnétostriction perturbent le libre déplacement des parois de Bloch et donnent naissance à des effets d’hystérésis. En 1944, Louis Néel montre que les champs démagnétisants internes liés à la présence de cavités ou d’impuretés sont aussi une cause importante d’hystérésis.

Nous en arrivons maintenant à la période contemporaine, c’est-à-dire aux vingt dernières années et à la prodigieuse floraison de publications sur le magnétisme qui la caractérise. Il est impossible de les analyser ici, même brièvement. En effet, le nombre annuel des articles publiés dans ce domaine a été multiplié par dix au cours de cette période pour dépasser 2 000 en 1968, soit à peu près 5 p. 100 du nombre total des articles consacrés à la physique.

Le magnétisme s’est intégré complètement à la physique des solides : son étude est devenue inséparable de celle des propriétés thermodynamiques, optiques, électriques, etc. Des méthodes nouvelles sont venues apporter aux théoriciens des données précieuses : grâce à la diffraction des neutrons, il est possible de déterminer l’orientation des moments magnétiques atomiques, tandis que l’effet Mössbauer et la résonance magnétique nucléaire permettent de déterminer le champ magnétique interne qui règne à l’emplacement des noyaux atomiques.

Citons quelques problèmes qui retiennent aujourd’hui l’attention des physiciens. L’un des plus passionnants est celui des interactions des neutrons, des phonons (ondes élastiques) et des photons (ondes électromagnétiques) avec les quasi-particules que sont les magnons (ondes de spin), qui, dans les corps ferromagnétiques, décrivent les excitations collectives des moments atomiques à basse température. Le traitement statistique rigoureux des interactions fait des progrès, mais n’est toujours pas résolu : on s’intéresse aux « lois d’échelle », qui permettent d’exprimer sous la forme d’une puissance de (T – θ) les valeurs d’une grandeur physique, comme la susceptibilité magnétique, en fonction de la température T et au voisinage de la température de Curie θ. Il semble que l’exposant de cette puissance ne dépende que de la nature de la grandeur en question et du nombre des dimensions du système, et non pas du détail des interactions. On s’intéresse aussi beaucoup, notamment à basse température, aux interactions des moments atomiques avec le réseau cristallin. Enfin, les composés et les alliages de terres rares font l’objet d’études nombreuses et fructueuses, tandis que l’explication des propriétés des métaux des séries de transition pose toujours des problèmes difficiles.