Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Maghreb (littérature d’expression française du) (suite)

 A. Pellegrin, la Littérature nord-africaine (Bibliothèque nord-africaine, Tunis, 1920). / A. Memmi (sous la dir. de), Anthologie des écrivains maghrébins d’expression française (Présence africaine, 1964) ; Anthologie des écrivains français du Maghreb (Présence africaine, 1970). / J. Déjeux, la Littérature maghrébine d’expression française, t. I (Centre culturel français, Alger, 1970). / J. Sénac (sous la dir. de), Anthologie de la nouvelle poésie algérienne (Libr. Saint-Germain-des-Prés, 1971).

magie

Ensemble de croyances et de pratiques fondées sur la conception de puissances cachées immanentes à la nature et qui se distinguent ainsi des puissances transcendantes et sacrées auxquelles la religion rend un culte organisé.



Généralités

On trouve dans la magie, en premier lieu, l’intentionnalité : là où la magie existe, la plupart des langues utilisent pour désigner ce qui relève de sa pratique des mots dont l’étymologie renvoie à l’idée de faire (Inde : karman ; Allemagne : Zauber). Cela est un point capital : si la religion impose l’acceptation d’un donné consacré, la magie présente une volonté de modification. Non pas au sens d’une transformation, mais comme refus de l’incapacité — quand bien même elle y substitue une autre impuissance : la magie est tout entière une puissance hallucinée ; elle n’est pas soumission, mais rêve d’asservir la nature, manipulation le plus souvent collective des signes d’une appropriation des êtres.

Ce rêve vécu est un rêve armé : il se donne les moyens de sa fin, insérés dans un rapport non d’obéissance à un au-delà, mais conflictuel avec le surnaturel. Dès lors, la magie ne sollicite pas humblement les faveurs de l’« autre monde », à la manière de la religion qui supplie : elle contraint celui-ci à la satisfaire et traite sur un plan d’égalité avec les êtres qui le peuplent, quand elle ne prétend pas les obliger par ses ordres. L’homme de la magie ne cherche pas à plaire à un être transcendant, mais à utiliser ses pouvoirs : au point que, souvent, il s’autorise une identification à la puissance incarnée avec laquelle il a commerce.

L’infériorité de la « créature » monologuant l’attente de son salut dans l’ombre du « créateur » n’a point cours ici : au silence de la divinité priée, la magie oppose l’exigence d’une réponse ; elle instaure avec le surnaturel une communication en forme de dialogue greffé sur une efficience immédiate.

Aussi bien, ce n’est pas une transcendance instituée qui préside à l’exercice de la magie. Il s’agit au contraire d’un constant effort d’affirmer une immanence : celle du surnaturel, dont on s’emploie à actualiser les forces. Ou bien on contraint les êtres du surnaturel à manifester leur présence efficace, ou bien, si celle-ci est déjà présente, la magie se donne pour rôle de condenser, de catalyser leur intervention.

Toujours dans ce sens, loin de déprécier ce que la pensée religieuse a, de tout temps, relégué dans l’ignoble — le sensible assimilé à l’« impur » —, la magie s’y complaît et s’y alimente — non pas en s’y tenant, certes, non pas en tant que tel, mais à partir de matérialités symboliquement valorisées.


Le magicien

Il se caractérise en premier lieu par un statut social original. L’exercice d’un métier peut, par exemple, constituer sa particularité : le médecin, dont l’art semble tenir du merveilleux ; les bergers, solitaires et en contact avec des êtres et des choses intervenant dans l’exercice de la magie (animaux, plantes, astres) ; les barbiers, qui manient, comme les fossoyeurs et les bourreaux, de l’humain mort (déchets) ; les forgerons, qui usent des vertus du fer et du feu ; les chefs, détenteurs du pouvoir politique, auquel, inversement, accèdent souvent les magiciens en tant que tels (c’est le cas en Nouvelle-Guinée, en Australie, en Mélanésie et en Nouvelle-Calédonie) ; les prêtres, placés en contact ambigu avec l’au-delà, susceptibles qu’ils sont de se tourner du côté du « mal ». Enfants et femmes fournissent un fort contingent de par leur caractère d’individus dominés et quelque peu mystérieux. Les caractères individuels, psychiques ou physiques, jouent un rôle identique, ainsi que, de manière générale, tout ce qui sort de la norme : la vivacité du regard ou la rougeur des yeux (« mauvais œil » ; on dit que la pupille « a mangé l’iris ») ; les infirmités ; une dextérité particulière ; la pathologie avec hypertonicité (états hystéroïdes, gestes brusques, nervosité, parole saccadée...) ; l’homosexualité (en Afrique, chez les Kuanyamas, l’initiation implique des pratiques homosexuelles, et, pour les Indiens Yumas, les homosexuels sont censés être doués de pouvoirs spéciaux) ; le statut d’étranger (les malheurs sont attribués aux maléfices du village voisin) ; un âge exceptionnellement élevé ; le fait d’être jumeaux ; des événements marquants de l’histoire personnelle ; une abondance notable de chance ou de malchance. Mais toutes ces qualités ne font jamais que prédisposer à l’état de magicien, auquel nul ne saurait atteindre sans l’initiation*, qui achève, d’ailleurs, de démarquer l’individu de la normalité sociale ; il y a abandon des règles observées par le reste du groupe (transgressions de tabous, souffrance recherchée). Cela exprime, d’ailleurs, le début d’une phase de dépendance vis-à-vis du surnaturel : non encore consacré, c’est en inférieur que le futur thaumaturge entre en relation avec les forces qu’il devra plus tard contraindre. Chez les Araucans, par exemple, la maladie donne lieu à une révélation dont l’agent est un ou plusieurs esprits ; pour guérir, obligation est faite au patient de subir le rituel initiatique. Ce dernier, à quelques variantes près, présente des caractères universels. L’agent de l’initiation est toujours un esprit ou un démon incarnant et infusant la puissance magique, parfois avec l’assistance d’un magicien établi, qui peut également jouer le rôle de l’esprit. L’opération produit chez le néophyte un changement de personnalité, notamment signifié par une mise à mort symbolique aboutissant à une résurrection. Au Groenland et au Labrador, un ours vient dévorer le novice, ne laissant de lui qu’un squelette : avant de retrouver sa forme humaine, le candidat doit avoir contemplé son propre squelette ; au Soudan, dans les monts Nouba, on ouvre la tête de l’initié pour que les esprits y pénètrent. Au cours du cérémonial, qui comprend une préparation ascétique (jeûnes, épreuves diverses) remarquablement pénible, l’apprenti peut effectuer le plus souvent grâce à sa mort fictive, un voyage dans le surnaturel (souterrain, subaquatique ou céleste). Ce passage à un plan extrahumain correspond à une perte, par le néophyte, d’une part de la condition humaine. À son retour, qui marque l’entrée dans l’état de magicien reconnu, il est devenu un être hybride (enveloppe humaine et substance surhumaine), dont la moitié magique acquise est attestée par des signes : il rapporte sur son corps les stigmates du périple (langue percée, par exemple, en Australie) ou encore des objets en lui (pierres brillantes, morceaux de quartz), matérialisant la puissance reçue des êtres de l’autre monde pour être utilisée au profit des humains. En Australie, chez les Semangs de Malaysia et en Amérique du Sud, les cristaux de roche jouent ce rôle. Chez les Toba-Pilagas du Gran Chaco, quand l’initiation est faite par un magicien, celui-ci enfonce, sans répandre le sang, un bâton dans la poitrine du candidat, qui s’évanouit ; à son réveil, ce dernier doit sucer le bâton — censément donné à lui par un serpent — jusqu’à ce qu’il en tire du sang. Au moment de sa résurrection, il arrive, en outre, que le magicien, possédé par les esprits, change de nom et emploie un nouveau langage (langue archaïque, parler des esprits, langue des animaux, langage utilisé par la corporation des magiciens ou forgé par lui-même), qu’il utilisera dans ses incantations ultérieures. Cet être hybride peut prendre diverses formes. Il y a parfois métamorphose : le corps du magicien devient celui d’un animal (chez les Navajos de l’Arizona, on croit qu’il se change en loup). Il peut s’agir aussi de dédoublement : le magicien est, dorénavant, capable d’exhaler son âme pour lui confier une mission en un lieu de son choix (ubiquité), qu’elle exécutera sous forme corporelle (chez les Thongas, les « baloyi » se dédoublent pendant leur sommeil, leur corps restant couché dans leur case, tandis qu’ils s’en vont sous forme de hiboux ou de feux follets ; en Australie, chez les Kurnais, le « barn » envoie son âme espionner les ennemis). D’autres fois, il y a association avec un esprit ou un animal distinct du magicien et indépendant de sa volonté ; cet être apparaît pour lui servir d’auxiliaire, conférant encore au thaumaturge le don d’ubiquité ; la relation entretenue avec cet auxiliaire est généralement considérée soit comme parenté, soit comme alliance circonstancielle ou permanente (mariage). Chez les Indiens d’Amérique du Nord (Algonquins, Iroquois, Cherokees), les associés sont des « manitous », et, en Mélanésie, les magiciens ont des requins ou des serpents serviteurs. Ajoutons que ces trois formes (métamorphose, dédoublement, association) sont souvent confondues.

Quant aux rites ascétiques, dont l’une des fonctions essentielles semble être la préparation d’un état hallucinogène, propice à l’extase et aux transes spectaculaires, le magicien institué les répétera dans sa pratique ultérieure non seulement pour conserver la puissance acquise, mais aussi en vue d’affirmer sa spécificité face aux autres hommes.