Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maghreb (littérature arabe du) (suite)

En réaction contre les moules classiques, la poésie devient profondément originale avec l’éclosion de genres nouveaux, plus populaires, destinés à un public plus étendu : muwachchah et zadjal, qui font intervenir à côté de la langue classique le dialecte et même le castillan. Introduites par Guillaume IX, duc d’Aquitaine, et reprises par les autres troubadours occitans, ces formes nouvelles influenceront les œuvres médiévales.

Après l’effondrement du califat, l’Espagne musulmane se divise en nombreux États, appelés royaumes de taïfas*. C’est assurément une époque de troubles et d’instabilité qui s’ouvre, mais, malgré cela, une époque aussi brillante que la précédente. Les cours rivalisent entre elles, et l’intérêt de leur vie intellectuelle est leur plus grande richesse ; l’exemple vient de haut : le plus grand poète de l’Espagne musulmane est le prince ‘abbādide* de Séville al-Mu‘tamid (1040-1095) ; sa poésie exalte son amour pour la jeune poétesse Rumaykiyya, qu’il épouse et pour laquelle Séville est en fête.

Mais, en 1085, Alphonse VI* s’empare de Tolède et menace les royaumes du Sud. Les princes andalous se tournent alors vers l’Afrique du Nord. Les Almoravides* traversent le détroit et arrêtent l’avance chrétienne ; ils étendent leur souveraineté sur l’Espagne du Sud. Al-Mu‘tamid, fait prisonnier, en 1091 est exilé à Tanger, puis à Arhmāt, où, jusqu’au dernier jour, il écrira des vers.

En fait, les Sahariens sont rapidement conquis, en retour, par la civilisation arabo-andalouse. Les Almohades*, successeurs des Almoravides tant au Maroc qu’en Espagne, subiront le même charme, malgré la rigueur religieuse de leur théologien ibn Tūmart (v. 1080-v. 1128). De plus, de nombreux Andalous se fixent au Maroc, en particulier à Marrakech, à la Cour, et contribuent à l’hispanisation du pays.

Si la poésie a encore de grands noms, tels ceux d’ibn Quzmān († 1160), poète pauvre et désenchanté, maître du zadjal, d’ibn ‘Abdūn († 1134), ministre à Badajoz, puis au service des Almoravides, et d’ibn Ḥamdīs († v. 1132), né en Sicile, mais poète de la cour de Séville, elle a aussi un grand anthologue, ibn Bassām († 1148) ; si la géographie est représentée par Abū ‘Ubayd al-Bakrī († 1094), compilateur aux descriptions sérieuses, par al-Idrīsī († v. 1165), géographe de Roger II de Sicile, pour qui il dresse un planisphère et un atlas accompagné de commentaires, et plus tard par ibn Djubayr (1145-1217), le premier dans un genre nouveau, la relation de voyage (riḥla), dans laquelle il se montre un observateur intelligent, précis et spirituel, c’est la philosophie qui est à l’honneur durant cette période.

Le Moyen Âge européen a fait passer dans son histoire, en les déformant, les noms remarquables de ces philosophes du Maghreb : ibn Bādjdja (Avempace [mort à Fès en 1138]) écrit des commentaires sur Aristote et s’intéresse aux sciences ; ibn Ṭufayl (Abubacer [mort à Marrakech en 1186]), médecin et ministre à la cour almohade de Marrakech, y fait venir ibn Ruchd (Averroès*), le plus grand, lui aussi médecin, commentateur d’Aristote, persécuté pour ses opinions philosophiques ; son contemporain Mūsa ibn Maymūn (Maimonide*), juif de Cordoue, est le plus profond penseur religieux de son temps.

Tous ces grands esprits sont les relais entre la philosophie grecque et les philosophes du Moyen Âge comme saint Thomas et, beaucoup plus tard, comme Spinoza.

Au profond apport personnel de ces auteurs s’ajoute l’œuvre immense des traducteurs des xie et xiie s., qu’encourage, notamment, l’archevêque de Tolède Raimundo († 1152). Les rois de la Reconquista* prennent la suite des califes et des princes arabes, en protégeant les arts, les lettres et les sciences. Généreux mécènes, ils ne veulent pas que la culture arabe disparaisse ; ainsi, grâce à Alphonse X le Sage*, roi de Castille, est créé un conseil de recherches dans lequel érudits espagnols, juifs et arabes traduisent en latin tant les œuvres classiques orientales, philosophiques ou scientifiques que les œuvres plus récentes dues aux écrivains arabes occidentaux et contribuent de cette façon au progrès de la pensée humaine.

Au xiiie s., les chrétiens s’unissent, et la Reconquista s’accélère. Seule reste, jusqu’en 1492, dans le royaume de Grenade, la dynastie des Naṣrides. La Cour est encore brillante, mais il ne nous est guère parvenu de documents de l’époque. Un nom se détache, celui de Lisān al-Dīn ibn al-Khaṭīb (1313-1375), historien des Naṣrides et grand poète.

Plus encore à cette époque, l’Espagne se vide de ses cerveaux, qui partent pour l’Afrique du Nord ; là, après les grands empires berbères s’établissent des dynasties locales, qui, au xviie s., seront dominées par les Turcs, sauf au Maroc.

La civilisation arabe se fige alors quelque peu, non sans que des esprits originaux ou d’habiles continuateurs ne se distinguent encore : un grand poète, al-Būṣīrī (1212-v. 1296), d’origine berbère, célèbre par un poème à la gloire de Mahomet, le Manteau du Prophète ; les grammairiens ibn Mālik († 1274) et ibn Ādjurrūm († 1323) ; le géographe et grand voyageur ibn Baṭṭūṭa*, dont la relation de voyage couvre une bonne partie de l’univers ; et surtout le très grand historien ibn Khaldūn*, originaire d’Espagne, mais né en Tunisie, dont l’œuvre suffirait à la gloire de cette période, qui est, par ailleurs, le début d’un long sommeil du monde arabe, tant en Orient qu’en Occident.

Le xixe s. est celui de la renaissance de la littérature arabe ; c’est l’époque du Réveil, de la Nahḍa. Le Maghreb ne vient y prendre sa place qu’un peu plus tard, au xxe s. Les influences étrangères, qui prédominent tout d’abord chez les écrivains arabes de la Nahḍa, sont encore plus accentuées en raison de la colonisation française. Mais, peut-être est-ce en raison même de ce contexte politique que cette nouvelle littérature est résolument plus engagée, politiquement ou socialement, plus nationaliste ou même révolutionnaire. Pourtant, les cultures et les langues s’imbriquent, et longtemps la littérature maghrébine est essentiellement d’expression française. Le cas du poète tunisien Chabbi, mort en 1933 à vingt-trois ans, est une exception.