Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Madrid (suite)

Malgré sa croissance fulgurante, la « Villa y Corte » ne devint pas d’emblée une véritable capitale. Hanté par l’Escorial, Philippe II poursuivit les travaux commencés par son père pour transformer l’Alcazar médiéval en un sévère palais classique. Mais cette ville, dont un système de larges rues rayonnant autour de la Puerta del Sol allait fixer les cadres pour trois siècles, fut pratiquement négligée par les souverains. Sa « promotion » coïncidait avec les crises et l’appauvrissement de la monarchie. La médiocrité des constructions, le mauvais entretien des maisons et de la chaussée provoquent l’ironie des visiteurs étrangers. Quelques réalisations, assez tardives et sans plan d’ensemble, tranchent sur cette pauvreté : sous Philippe II, le pont de Ségovie par Juan de Herrera (1530-1597) ; sous Philippe III, le massif palais du duc de Lerma et la Plaza Mayor (1617-1619) de Juan Gómez de Mora (1586-1646 ou 1648), théâtre durant deux siècles de processions et de joutes, d’autodafés et de corridas. Grand rectangle fermé en marge de la calle Mayor commerçante, elle évoque, par son austère élégance, par ses accords de brique et d’ardoise et ses clochetons aigus, l’architecture flamande chère aux Habsbourg. Sous Philippe IV, l’Hôtel de Ville de Gómez de Mora et la « Prison des nobles » (auj. ministère des Affaires étrangères) maintiennent, avec leurs tours d’angle saillantes, la tradition de l’Escorial. De même au Buen Retiro — nouveau palais offert au roi par le comte-duc d’Olivares (1631), cadre d’une vie de fêtes, de régates, de théâtre, dans un grand parc semé d’étangs et de chapelles —, qui allait déterminer le transfert du Madrid élégant vers l’est de la ville ancienne. Détruit au xixe s., il en subsiste une aile (le « salon des Royaumes », décoré par Vélasquez*, aujourd’hui musée de l’Armée) et l’annexe du Casón, salle de bal dont Luca Giordano peignit l’immense plafond (fresque de l’Institution de la Toison d’or, 1693).

En fait, le Madrid des Habsbourg fut surtout une ville de couvents, par leur nombre (50 en 1629), par leur place dans la capitale (un tiers de sa superficie), par le rôle des religieux (le frère Bautista, jésuite ; le frère Lorenzo de San Nicolás, augustin, etc.) dans la construction des églises et chapelles. Une trentaine de celles-ci subsistent sur les 96 que montre, en 1656, le grand plan de Teixeira. Leurs coupoles octogones et leurs clochers carrés, se détachant sur la ligne basse des maisons, constituent la dominante du paysage urbain. Assez pauvres à l’extérieur, dépourvues de sculptures jusqu’à la fin du xviie s., avec de triples portiques grillés surmontés d’écussons et d’un fronton (Encarnación, 1615) ou avec de grands pilastres remplaçant les colonnes (San Isidro el Real, 1628), elles plaisent par l’articulation robuste de volumes simples, par l’élégant contrepoint de lignes convexes et concaves que dessinent les clochers et les coupoles, coiffés de lanternons aigus. Les intérieurs, rectangulaires, remplacent le marbre par les retables de bois doré et les grilles fermant les chapelles (Carmen). Dans la seconde moitié du siècle, avec l’implantation graduelle du baroque, de riches décors de stucs savonneux ornent pilastres, corniches et coupoles (Góngoras, Comendadoras de Santiago, etc.), et les fresques à l’italienne apparaissent (Carreño* de Miranda et Francisco Rizi [1608-1685] à San Antonio de los Alemanes). Ces églises étaient de véritables musées de sculpture polychrome et de peinture, où brillait une « école de Madrid » baroque, issue de Vélasquez et de Van Dyck* ; quelques ensembles significatifs subsistent en place (monastères royaux de Descalzas et de la Encarnación ; Bénédictines de San Plácido, avec les retables de Claudio Coello [† 1693] ; etc.).

Le xviiie s., avec l’arrivée des Bourbons, modifie perspectives et rapports de forces. La nouvelle dynastie, issue de Versailles, éprise de « lumières » et d’urbanisme, s’efforce de régulariser et d’embellir cette capitale improvisée qui lui apparaît comme un grand village. Il faut d’ailleurs distinguer trois étapes. La première est municipale et traditionnelle : un corregidor actif, le marquis de Vadillo, choisit comme architecte de la ville Pedro de Ribera (1683-1742), « hyperbaroque », hétérodoxe et génial, dont le pont de Tolède (1719-1734), avec ses fontaines et ses obélisques, l’hospice de San Fernando (1722-1726), avec son portail tumultueux et turgescent, serviront plus tard de cible à la critique néo-classique. Une seconde phase est dominée par la reconstruction du Palais royal, après l’incendie de 1734, et marque l’avènement du rococo italo-français. Philippe V et la reine Isabelle Farnèse appellent deux grands architectes italiens, Filippo Juvara* et Giovanni Battista Sacchetti. Si le grandiose projet de Juvara fut amputé comme trop coûteux, le palais actuel, d’une majesté fleurie, est l’un des plus imposants d’Europe ; il frappe par l’heureux contraste de ses diverses façades, tirant parti de la pente du terrain vers le Manzanares. Des églises décorées de sculptures et de marbres (San Miguel, 1734-1745 ; Santa Bárbara, 1750-1758, création de Fernand VI et de la reine Barbe de Bragance) attestent le rôle de divers architectes italiens et français. Mais c’est surtout le dernier tiers du siècle, avec Charles III, ex-roi de Naples et type du « despote éclairé », qui marque à la fois le triomphe de l’urbanisme et celui du néo-classicisme international. Tandis qu’il appelle en 1761 des artistes illustres pour décorer le nouveau palais, Anton Raphaël Mengs et G. B. Tiepolo* (Apothéose de la monarchie espagnole, plafond de la salle du trône), il confie un vaste programme d’édifices publics, d’entrées monumentales (Puerta de Alcalá, etc.) et de promenades (Florida, Delicias, etc.) à des architectes italiens et espagnols. Les allées du Prado, à l’est de la ville, embellies de fontaines, bordées d’établissements scientifiques (musée d’Histoire naturelle, jardin botanique, observatoire), deviennent le centre de la vie élégante. Madrid est reconnue par toute l’Europe comme « une ville très digne d’être visitée, où tout est bien, convenable et digne ».