Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

machinisme (suite)

Récemment, une nouvelle argumentation est apparue contre le machinisme. La machine, pour être pleinement efficace, doit être insérée dans tout un réseau de machines et de services. Elle entraîne donc la concentration des hommes en certains lieux privilégiés. Cette concentration entraîne à son tour la dégradation de l’environnement matériel et humain de la plupart, la désertion des zones d’habitation traditionnelle et l’occupation anarchique de lieux de détente. De plus, la machine laisse des déchets, qui polluent l’air et l’eau, et multiplie les objets, dont le sort fatal est de finir sous forme d’ordures. Bref, le machinisme a des répercussions négatives multiples sur le cadre naturel et social de la vie.

Une argumentation plus subtile consiste à montrer que tout n’est pas mécanisable, du moins dans les mêmes proportions. Si l’on peut concevoir une usine qui fonctionne de façon entièrement automatique, une foule d’activités tertiaires requièrent le temps, l’énergie et l’habileté des hommes. Bref, le machinisme, loin de déboucher sur le loisir* généralisé, permet simplement de transférer des hommes des activités mécanisables (des secteurs primaire et secondaire) vers des activités non mécanisables (le secteur tertiaire).

Enfin, le machinisme suppose d’énormes immobilisations de capitaux et de savoir-faire, qui interdisent aux peuples qui ont pris un départ tardif dans la course au machinisme d’espérer rejoindre les premiers partis. Le machinisme accentue donc l’hétérogénéité de l’humanité et tend à la figer en deux blocs que séparent aussi bien la richesse que la puissance.

Ces deux visions contradictoires sont fondées l’une et l’autre dans les faits. C’est dire que le machinisme n’est, par lui-même, ni une panacée ni une catastrophe : tout dépend de l’usage qu’en font les hommes.

J. B.

➙ Automatisation / Energie / Industrielle (révolution) / Travail.

 L. Mumford, Technics and Civilization (New York, 1934 ; trad. fr. Technique et civilisation, Éd. du Seuil, 1950). / D. Faucher, le Paysan et la machine (Éd. de Minuit, 1950). / G. Friedmann, le Travail en miettes (Gallimard, 1956). / C. R. Walker (sous la dir. de). Modern Technology and Civilization (New York, 1962). / B. de Jouvenel, Arcadie. Essais sur le mieux-vivre (S. E. D. E. I. S., 1968).

machinisme agricole

Emploi généralisé des machines agricoles substituées à la main-d’œuvre.



La mécanisation de l’agriculture

Les opérations nécessaires à la production agricole sont réalisées de nos jours mécaniquement, sauf rares exceptions. Il en est de même dans presque tous les domaines de la production, du moins, dans les pays industrialisés, mais l’agriculture a son caractère propre qui la distingue des autres activités économiques.

Le caractère biologique de la production agricole explique partiellement cette originalité en matière de mécanisation, mais les contraintes économiques et sociales font apparaître des difficultés au moins aussi importantes.

En effet, l’emploi des machines modernes à grand rendement implique souvent des changements de structures et en tout cas des changements de méthodes de travail et d’état d’esprit des producteurs. Les faibles dimensions d’exploitations qui sont courantes dans de nombreux pays du monde sont incompatibles avec les gros matériels modernes, coûteux en investissements et en fonctionnement. Il faut garder à l’esprit que les exploitations de plus de 50 ha représentaient en France en 1967 moins de 7 p. 100 du nombre total des exploitations françaises et couvraient à peine plus de 30 p. 100 de la surface cultivée : il faut bien se garder de raisonner en fonction des structures agricoles de certaines régions de France dans lesquelles l’exploitation familiale moderne comporte 100 à 150 ha, 2 ou 3 tracteurs et 1 ou 2 hommes.

Quoi qu’il en soit, la machine agricole — en tant que moyen de production — doit permettre une augmentation du revenu des exploitants, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’enrichissement collectif. Mais la seule recherche du profit maximal est insuffisante pour expliquer l’importance du phénomène de la mécanisation de l’agriculture. Des considérations sociales et psychologiques interviennent aussi et font de la machine un symbole de promotion.

Par exemple, l’absence totale de main-d’œuvre qualifiée ou le refus d’exécuter certaines tâches rebutantes et néanmoins indispensables justifient la mécanisation indépendamment d’une rentabilité immédiate et apparente ; de même, au-delà d’un revenu minimal, certains progrès techniques apparemment très coûteux s’expliquent par la recherche de meilleures conditions de travail : on accepte de limiter son profit pour le « mieux être » ; mais il ne faut pas que cette recherche amène l’exploitant à confondre une machine agricole — bien de production — avec un quelconque bien de consommation (un téléviseur par exemple), pour lequel la notion de rentabilité n’a pas de sens : sinon, c’est la vie même de l’entreprise qui risque d’être mise en cause.

Les organisations professionnelles et les pouvoirs publics ont à leur disposition des moyens pour orienter cette évolution de l’agriculture, mais il faut bien avouer que ces moyens sont difficiles à manipuler en économie libérale, car ils ont des répercussions sur la politique intérieure et extérieure d’un pays. Citons, à titre d’exemples, pour la France : le remembrement, l’indemnité viagère de départ, le régime fiscal des coopératives ou des associations de producteurs, les aménagements régionaux (en particulier la création d’emplois nouveaux dans d’autres secteurs économiques), l’indexation des prix, le régime des détaxes des carburants, les ristournes à l’achat pour certains matériels, la politique d’importation des produits agricoles, etc. Par ailleurs, on n’en peut guère espérer des solutions définitives et rapides, surtout dans les pays fortement industrialisés : les nécessaires évolutions de structure mettent en cause les hommes, et la technique est généralement bien plus rapide que les facultés d’adaptation des exploitants. Il est assez remarquable de noter que, dans la plupart des pays, quel que soit le régime politique, l’agriculture peu ou prou mécanisée est le secteur de l’économie dans lequel se rencontrent les difficultés les plus grandes et pour lequel on est amené à apporter le plus de soutien au niveau national.

De toute façon, la modernisation de l’agriculture passe obligatoirement par le machinisme.