Machado de Assis (Joaquim Maria) (suite)
C’est comme conteur et comme romancier qu’il a donné le meilleur de son esprit, sceptique, agnostique, sans ostentation dramatique ou tragique, mais atteignant le cœur des contradictions de l’homme et de la société. Machado se place ainsi au rang d’un analyste lucide de la condition humaine, sous les apparences d’un peintre de la vie sociale de Rio de Janeiro et de ses classes moyennes. On relève chez lui les influences de Sterne, de Xavier de Maistre, de Voltaire, de Swift, mais dominées par une recherche qui lui est propre : être le dépisteur de soi-même est la grande et claire énigme de son style.
Chez ce mulâtre de génie, chacun des « moments » de son évolution est qualitativement supérieur au précédent, au point que, s’il eût disparu avant 1880, soit à l’âge de quarante et un ans, il n’aurait été qu’une figure de second plan dans la littérature de son pays.
De 1881 jusqu’à sa mort, son œuvre grandit en rigueur et en finesse stylistique, sa vision s’approfondit dans une impiété ironique et tempérée par la certitude que le nœud contradictoire de la vie humaine — individuelle et sociale — est une donnée de l’indifférence cosmique. Cette évolution s’accompagne, à partir de cette date critique, de l’abandon de plusieurs genres auxquels il s’adonnait auparavant : les poèmes deviennent rares, plus de théâtre ; en revanche, Machado se consacre aux chroniques, aux contes et aux romans.
C’est ainsi que ses chroniques, dont les plus importantes furent publiées après sa mort, en 1914, sous le titre A Semana (la Semaine) — il s’agit en effet de chroniques hebdomadaires datant de sa meilleure époque —, composent un tableau coloré de sa ville natale, dans son être aussi bien physique que moral, avec des réflexions pessimistes, dans un langage dépouillé, mais d’une extrême richesse de rythme. De même, dans ses contes, en général courts, la critique des conventions et des pratiques sociales transparaît à travers les récits : mais son éthique se laisse à peine entrevoir, sans tirades moralisantes.
Quant aux romans, on en retiendra cinq qui ont une valeur singulière pour le Brésil et la langue portugaise : Memórias póstumas de Brás Cubas (Mémoires d’outre-tombe de Brás Cubas, 1881), Quincas Borba (1891), Dom Casmurro (1900), Esaú e Jacó (1904), Mémorial de Aires (1908). Dans toutes ces œuvres, un lucide réalisme psychologique révèle les contradictions de l’homme et de la société. Machado de Assis y est le maître du style indirect libre, qui lui permet de raconter et en même temps d’exercer, à travers l’analyse du récit lui-même — aux dépens d’une première personne toujours fictive —, une attention extrêmement vive à l’égard des valeurs humaines.
En 1958, le gouvernement brésilien a créé la commission Machado de Assis, qui a pour mission d’établir une édition critique de son œuvre.
A. H.
W. Cardoso, Tempo e memoria em Machado de Assis (Belo Horizonte, 1958).