Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Machado de Assis (Joaquim Maria) (suite)

C’est comme conteur et comme romancier qu’il a donné le meilleur de son esprit, sceptique, agnostique, sans ostentation dramatique ou tragique, mais atteignant le cœur des contradictions de l’homme et de la société. Machado se place ainsi au rang d’un analyste lucide de la condition humaine, sous les apparences d’un peintre de la vie sociale de Rio de Janeiro et de ses classes moyennes. On relève chez lui les influences de Sterne, de Xavier de Maistre, de Voltaire, de Swift, mais dominées par une recherche qui lui est propre : être le dépisteur de soi-même est la grande et claire énigme de son style.

Chez ce mulâtre de génie, chacun des « moments » de son évolution est qualitativement supérieur au précédent, au point que, s’il eût disparu avant 1880, soit à l’âge de quarante et un ans, il n’aurait été qu’une figure de second plan dans la littérature de son pays.

De 1881 jusqu’à sa mort, son œuvre grandit en rigueur et en finesse stylistique, sa vision s’approfondit dans une impiété ironique et tempérée par la certitude que le nœud contradictoire de la vie humaine — individuelle et sociale — est une donnée de l’indifférence cosmique. Cette évolution s’accompagne, à partir de cette date critique, de l’abandon de plusieurs genres auxquels il s’adonnait auparavant : les poèmes deviennent rares, plus de théâtre ; en revanche, Machado se consacre aux chroniques, aux contes et aux romans.

C’est ainsi que ses chroniques, dont les plus importantes furent publiées après sa mort, en 1914, sous le titre A Semana (la Semaine) — il s’agit en effet de chroniques hebdomadaires datant de sa meilleure époque —, composent un tableau coloré de sa ville natale, dans son être aussi bien physique que moral, avec des réflexions pessimistes, dans un langage dépouillé, mais d’une extrême richesse de rythme. De même, dans ses contes, en général courts, la critique des conventions et des pratiques sociales transparaît à travers les récits : mais son éthique se laisse à peine entrevoir, sans tirades moralisantes.

Quant aux romans, on en retiendra cinq qui ont une valeur singulière pour le Brésil et la langue portugaise : Memórias póstumas de Brás Cubas (Mémoires d’outre-tombe de Brás Cubas, 1881), Quincas Borba (1891), Dom Casmurro (1900), Esaú e Jacó (1904), Mémorial de Aires (1908). Dans toutes ces œuvres, un lucide réalisme psychologique révèle les contradictions de l’homme et de la société. Machado de Assis y est le maître du style indirect libre, qui lui permet de raconter et en même temps d’exercer, à travers l’analyse du récit lui-même — aux dépens d’une première personne toujours fictive —, une attention extrêmement vive à l’égard des valeurs humaines.

En 1958, le gouvernement brésilien a créé la commission Machado de Assis, qui a pour mission d’établir une édition critique de son œuvre.

A. H.

 W. Cardoso, Tempo e memoria em Machado de Assis (Belo Horizonte, 1958).

Machault d’Arnouville (Jean-Baptiste)

Homme d’État français (Paris 1701 - id. 1794).


Fils d’un lieutenant de police, ce noble de robe remplit, de vingt à quarante-quatre ans, une carrière exemplaire au service de la royauté. Tour à tour conseiller au parlement, maître des requêtes, intendant du Hainaut, puis président du Bureau du commerce, sa fermeté le fait remarquer du roi ; mais ce sera l’appui de la favorite Mme de Pompadour* qui lui vaudra d’obtenir en 1745 le poste de contrôleur général des Finances.

« Froid, sans agrément et sans grâce ; droit et probe, il s’avance au travers de tout comme les élagueurs d’allée. » Le mot est du marquis d’Argenson (1694-1757) : il dit bien la volonté réformatrice du ministre. Pour combler le déficit du Trésor royal, qui, en 1745, s’élève à 100 millions, Machault est de ceux qui, au xviiie s., préconisent un impôt frappant autant les privilégiés que les roturiers. En 1749, il crée le « vingtième », qui est un impôt sur tous les revenus fonciers et mobiliers comme sur ceux des offices achetés au roi. En même temps, il veille à ce que les impôts indirects rapportent plus au roi : il surveille les « fermiers » et les oblige à payer de 92 à 101 millions. Enfin, comprenant le danger que faisait courir à l’économie et aux finances du royaume l’immobilisation, entre les mains de l’Église, d’un capital foncier important, il limite l’établissement des nouvelles maisons religieuses (1749).

Mais il est très vite l’objet des attaques des privilégiés, et d’abord au sein du parlement : les nobles de robe refusent l’enregistrement de l’édit fiscal. Quand, contraints, ils l’acceptent, l’opposition se transporte en province, dans les états. Ces assemblées des ordres, que domine l’aristocratie, prétendent, au nom des « libertés » consenties par la royauté au temps de leur rattachement au royaume, avoir le droit de consentir ou non les impôts nouveaux. C’est les cas du Languedoc, de la Bourgogne, de la Provence et de l’Artois comme de la Bretagne. Le gouvernement royal se montre d’abord ferme ; la dissolution des états du Languedoc et l’exil des meneurs bretons arrêtent la résistance.

Puis Machault se tourne vers le clergé. Il estime à 114 millions le revenu imposable de l’ordre, soit plus de 5 millions de livres pour le vingtième. Or, le clergé n’a contribué jusqu’ici aux charges de l’État que pour 182 millions, soit 3 655 000 livres par an. Aussi, en plus « du don gratuit », Machault réclame à l’Assemblée du clergé, au nom de la royauté, une somme de plus de 7 millions. Prétextant le péril où la « philosophie » du siècle met l’Église, le clergé refuse de se laisser affaiblir dans ses biens et vote des « remontrances » au roi. Le 20 septembre 1750, l’Assemblée est dissoute par lettre de cachet.

Succès sans lendemain : un parti se forme à la Cour, autour de la famille royale et de Marc Pierre de Voyer, comte d’Argenson (1696-1764) ; le père Griffet, qui dirige les exercices préparatoires du jubilé, gagne l’esprit de Louis XV*. Le roi dispense le clergé du supplément au don gratuit, puis de l’impôt du vingtième (1751). En 1754, Machault est écarté des Finances, mais, garde des Sceaux depuis 1750, il devient secrétaire d’État à la Marine. Il intensifie la construction navale en vue d’un conflit éventuel contre l’Angleterre. Il pousse à l’entente avec Vienne.