anthropologie économique (suite)
Dans cette direction, un autre problème fait également l’objet de nombreuses recherches : celui des sociétés à castes. Au xixe s., plusieurs explications avaient été proposées : ou bien la caste était née de la domination de populations autochtones par des envahisseurs étrangers, ou bien elle se présentait comme un cas limite de la division du travail, combinée avec une forme limite des rapports de parenté, l’endogamie (Louis Dumont, 1867). Il faudra attendre le début du siècle et les travaux de Célestin Bougie et d’Arthur Hocart pour que la description du fonctionnement des castes progresse et que leurs aspects hiérarchiques et religieux soient pris au sérieux. L’analyse du phénomène des castes (Edmund R. Leach, M. N. Srinivas, Frederick G. Bailey, T. Scarlett Epstein) revêt un intérêt particulier, d’une part par l’importance mondiale dans l’histoire de pays comme l’Inde, d’autre part parce que l’existence combinée de castes et d’un pouvoir d’État suggère une forme originale d’apparition de l’État et impose de définir avec rigueur le rapport entre classe et caste.
Pourquoi et comment ces transformations structurales ont-elles eu lieu ? Pourquoi et comment de nombreuses sociétés sans classes ont-elles évolué vers l’État et des rapports de castes et de classes ? C’est une tâche théorique fondamentale de l’anthropologie économique que de contribuer à résoudre ce problème, qui est au centre de l’histoire universelle et éclaire le destin singulier des sociétés occidentales. Et ce problème revient donc à savoir pourquoi et comment les rapports de parenté ont cessé de jouer dans la société le rôle dominant, pourquoi, à partir d’une certaine limite, des rapports sociaux nouveaux se sont construits hors de la parenté et en sont venus à jouer un rôle dominant. C’est la découverte de ces limites et de leur fondement objectif qui permettra un jour à l’anthropologie de réaliser son ambition suprême : être la science de l’homme, la connaissance scientifique de l’histoire universelle.
Cependant, à un niveau pratique immédiat, l’anthropologie économique, en mettant en évidence la logique originale des structures et comportements économiques au sein de nombreuses sociétés d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie, pourrait contribuer au développement économique et social de ces régions en découvrant les obstacles et en indiquant les stratégies nécessaires pour les éliminer au moindre coût social. Enfin, de façon permanente, l’anthropologie économique rappelle à l’économie politique les limites de sa validité théorique, et à la culture occidentale l’arrière-fond de ses préjugés idéologiques. Les peuples primitifs du monde, en effet, ne sont pas pauvres, les biens dont ils ont besoin ne sont pas rares, et leur existence ne se borne pas à subsister. En fait, ce n’est qu’au moment où se sont multipliées les possibilités productives de l’humanité que se sont opposées richesse et pauvreté, et que les richesses sont apparues « naturellement » rares. Il n’y a donc pas de « destin tragique » de l’homme, il n’y a que des drames historiques. Et pour les expliquer, et peut-être aider à les résoudre, l’anthropologie, comme toute science, doit briser les idées reçues et inventer de nouveaux modes de pensée.
M. G.
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