Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anthropologie économique (suite)

Dans cette direction, un autre problème fait également l’objet de nombreuses recherches : celui des sociétés à castes. Au xixe s., plusieurs explications avaient été proposées : ou bien la caste était née de la domination de populations autochtones par des envahisseurs étrangers, ou bien elle se présentait comme un cas limite de la division du travail, combinée avec une forme limite des rapports de parenté, l’endogamie (Louis Dumont, 1867). Il faudra attendre le début du siècle et les travaux de Célestin Bougie et d’Arthur Hocart pour que la description du fonctionnement des castes progresse et que leurs aspects hiérarchiques et religieux soient pris au sérieux. L’analyse du phénomène des castes (Edmund R. Leach, M. N. Srinivas, Frederick G. Bailey, T. Scarlett Epstein) revêt un intérêt particulier, d’une part par l’importance mondiale dans l’histoire de pays comme l’Inde, d’autre part parce que l’existence combinée de castes et d’un pouvoir d’État suggère une forme originale d’apparition de l’État et impose de définir avec rigueur le rapport entre classe et caste.

Pourquoi et comment ces transformations structurales ont-elles eu lieu ? Pourquoi et comment de nombreuses sociétés sans classes ont-elles évolué vers l’État et des rapports de castes et de classes ? C’est une tâche théorique fondamentale de l’anthropologie économique que de contribuer à résoudre ce problème, qui est au centre de l’histoire universelle et éclaire le destin singulier des sociétés occidentales. Et ce problème revient donc à savoir pourquoi et comment les rapports de parenté ont cessé de jouer dans la société le rôle dominant, pourquoi, à partir d’une certaine limite, des rapports sociaux nouveaux se sont construits hors de la parenté et en sont venus à jouer un rôle dominant. C’est la découverte de ces limites et de leur fondement objectif qui permettra un jour à l’anthropologie de réaliser son ambition suprême : être la science de l’homme, la connaissance scientifique de l’histoire universelle.

Cependant, à un niveau pratique immédiat, l’anthropologie économique, en mettant en évidence la logique originale des structures et comportements économiques au sein de nombreuses sociétés d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie, pourrait contribuer au développement économique et social de ces régions en découvrant les obstacles et en indiquant les stratégies nécessaires pour les éliminer au moindre coût social. Enfin, de façon permanente, l’anthropologie économique rappelle à l’économie politique les limites de sa validité théorique, et à la culture occidentale l’arrière-fond de ses préjugés idéologiques. Les peuples primitifs du monde, en effet, ne sont pas pauvres, les biens dont ils ont besoin ne sont pas rares, et leur existence ne se borne pas à subsister. En fait, ce n’est qu’au moment où se sont multipliées les possibilités productives de l’humanité que se sont opposées richesse et pauvreté, et que les richesses sont apparues « naturellement » rares. Il n’y a donc pas de « destin tragique » de l’homme, il n’y a que des drames historiques. Et pour les expliquer, et peut-être aider à les résoudre, l’anthropologie, comme toute science, doit briser les idées reçues et inventer de nouveaux modes de pensée.

M. G.

 L. H. Morgan, Ancient Society (1877 ; rééd. Cambridge, Mass., 1964). / F. Boas, Ethnology of the Kwakiutl (Washington, 1921 ; rééd. New York, 1969). / B. Malinowski, Argonauts of the Western Pacific (New York, 1922 ; trad. fr. les Argonautes du Pacifique occidental, Gallimard, 1963). / M. Mauss, Essai sur le don (Année sociologique, 1924). / C. A. Du Bois, « The Wealth Concept as an Integrative Factor in Tolowa Tutuni Culture » in Essays in Anthropology, presented to A. L. Kroeber (Berkeley, 1936). / P. Einzig, Primitive Money in its Ethnological, Historical and Economic Aspects (Londres, 1949). / M. J. Herskovits, Economic Anthropology (New York, 1952 ; 2e éd., 1965). / S. Tax, Penny Capitalism (Chicago, 1953). / H. C. Conklin, Hanunoo Agriculture (Rome, 1957). / K. Polanyi (sous la dir. de), Trade and Market in the Early Empires (New York, 1957). / J. J. Maquet, The Premise of Inequality in Ruanda (Londres, 1961). / P. Bohannan et G. Dalton (sous la dir. de), Markets in Africa (Evanston, 1962). / R. J. Braidwood et G. R. Willey (sous la dir. de), Courses Toward Urban Life (Chicago, 1962). / R. F. Salisbury, From Slone to Steel (Londres et New York, 1962). / L. J. Pospisil, The Kapouku Papuans of West New Guinea (New York, 1963). / M. Godelier, Rationalité et irrationalité en économie (Maspéro, 1966) ; Horizon. Trajets marxistes en anthropologie (Maspéro, 1973). / M. Nash, Primitive and Peasant Economic Systems (San Francisco, 1966). / E. R. Service, Hunters (New York, 1966). / E. R. Wolf, Peasants (New York, 1966). / L. Dumont, Homo hierarchicus (Gallimard, 1967). / R. H. Lee et I. De Vore (sous la dir. de), Man the Hunter (Chicago, 1968). / K. Marx, Fondements de la critique de l’économie politique (Anthropos, 1968 ; 2 vol.). / M. D. Sahlins, Tribesmen (New York, 1968).

anthropologie physique

Science qui étudie les groupes humains du point de vue physique.


L’anthropologie physique se compose de deux sections principales, l’anthropologie morphologique (structure externe du sujet vivant, forme du squelette, configuration des organes internes) et l’anthropologie physiologique (fonctionnement des organes). Ainsi conçue, cette science vise à retracer « l’histoire naturelle de la famille des Hominidés », d’une part en déterminant la place de l’Homme parmi les êtres vivants et en recherchant ses origines (anthropologie zoologique, paléontologie humaine), d’autre part en dégageant et en décrivant du point de vue physique les grandes catégories entre lesquelles se répartissent les divers humains actuels (classifications raciales).


Historique


De l’Antiquité au xvie s. : découverte progressive de la variabilité humaine

Les antiques civilisations de l’Égypte et de la Grèce possédaient déjà quelques notions rudimentaires sur les types humains. Ce qui retenait alors l’attention, c’étaient les caractères les plus apparents : pigmentation de la peau et des yeux, couleur et forme des cheveux, taille et certains traits accusés du visage. Observations superficielles, certes, et encore très limitées dans l’espace, mais qui, après une période de stagnation couvrant tout le Moyen Âge, vont s’intensifier dès que s’annonce la série des grands voyages autour du monde (Marco Polo, Vasco de Gama, Magellan, Christophe Colomb). Dans les récits des pionniers qui sillonnèrent terres et mers, on trouve d’abondantes descriptions sur les habitants des nouveaux pays découverts, et, en dépit de maintes exagérations dues à un débordement d’enthousiasme, on y décèle, intimement mêlées à des considérations sur les mœurs ou les genres de vie, d’excellentes remarques sur les types physiques. Alors sont décrites la plupart des races que nous connaissons maintenant. Autrement dit, l’appel de l’inconnu et l’attrait de l’exotisme ont été les premiers et les plus puissants mobiles qui ont permis, plus tard, la naissance de l’anthropologie physique, quasi confondue en ce temps avec l’ethnographie.