Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

lutherie (suite)

Tout comme le réglage, la restauration exige une longue patience. Les accidents classiques sont les fractures consécutives aux chutes. La plus courante est la « fente d’âme » sur le fond ou la table, car le moindre choc se répercute à cet endroit en raison de la tension très forte qui s’y exerce. La réparation consiste à ouvrir l’instrument en le détablant avec un ciseau et à recoller les bords lèvre à lèvre, ce qui devient très délicat lorsqu’il s’agit d’une fracture brisée. On peut renforcer le tout en incrustant dans la table, à l’intérieur, une « pièce d’âme » ou, dans le fond, un « estomac ». Les autres cassures, celles des éclisses en particulier, sont réparées par des taquets posés à l’intérieur. Ces opérations nécessitent, pour terminer, un raccord de vernis. On procède non par badigeonnage, mais par touches très fines. Elles ont pour but de retracer un à un les pores du bois, que l’on raccordera entre eux après séchage. On passera enfin une petite couche de vernis pour unifier le tout. L’important est ici de reconstituer non pas la couleur — ce qui est relativement facile —, mais l’épaisseur et la texture du vernis primitif.

Dans la construction, le réglage, la restauration, la part réservée à l’habileté manuelle, guidée certes par le raisonnement et le sens artistique, était très importante. Dans l’expertise, seules interviennent les facultés intellectuelles : mémoire visuelle, expérience, intuition. À peine se servira-t-on du toucher pour les compléter. Quels éléments entrent donc en ligne pour qu’un expert détermine avec certitude l’auteur de l’instrument auquel il est confronté ? Mieux encore, pour qu’il dénonce le mensonge de certaines étiquettes — celles de Stradivarius entre autres — arborées sans vergogne par des violons de facture très commune ? Les signatures ne correspondent pas toujours à la vérité ; elles ont été posées à une époque qui ignorait la propriété légale. Tout artisan construisant son œuvre d’après celle d’un grand luthier était en droit de poser l’étiquette de son modèle. Rien ne vaut donc l’avis de l’homme de l’art. Le premier coup d’œil synthétique est très important : les dimensions générales de l’instrument ainsi que sa carrure donnent une première indication. Dans l’ensemble, deux types, d’origine italienne, ont inspiré le travail des luthiers : l’un fin, cambré, élégant, vient des Amati. À lui se rattachent les œuvres de Stainer et de l’école des « Vieux Paris » au xviiie s. Le second, large, puissant, aux voûtes moins accentuées, provient de Stradivarius. Il a inspiré Vuillaume et les Français du xixe s. Aux proportions générales s’ajoute la qualité du vernis, qui révèle en partie les produits employés. Les vernis italiens, faits à l’huile, sont lisses, onctueux ; ils pénètrent profondément dans le bois en donnant à la lumière un reflet moiré. D’autres sont à base d’alcool. Ils sèchent très vite sans imbiber le bois, qu’ils enserrent dans une sorte de carapace d’aspect miroitant. Ce sont les « vernis-glace », qui malheureusement s’écaillent facilement. Ils caractérisent l’école française des xviiie et xixe s. Le vernis à la colle, de couleur brun foncé, est l’apanage de l’école allemande, des Klotz en particulier. À cette première approche synthétique, qui a déjà situé grossièrement l’instrument dans une école et une époque données, succède une analyse plus poussée, qui permettra de reconnaître la « main » d’un luthier déterminé. La courbe des C, la cambrure plus ou moins accentuée des tables, le choix de leur bois, le dessin des F et de la tête, autant d’éléments qui permettent à l’homme de l’art de deviner le nom de son confrère d’antan.

Il resterait à dire ici quelques mots des archetiers, petit monde à part dans celui de la lutherie. L’archet est formé de deux parties : une baguette cambrée au fer — le bois de pernambouc, qui vient du Brésil, est choisi de préférence en raison de sa densité, de sa fermeté, de sa flexibilité — et une mèche en crins de cheval, résistante, souple, fixée à une hausse d’ébène. L’archet s’est profondément transformé, mais avec un retard de deux siècles sur l’instrument qu’il accompagne. Jusque vers 1750, son profil convexe évoque l’arc qui est à l’origine de son nom. Sa mèche se tendait alors soit par la pression des doigts de l’exécutant, soit par un système à crémaillère. En l’espace d’une cinquantaine d’années, entre 1730 et 1780, sous l’influence de la virtuosité croissante des interprètes, sa forme va s’inverser complètement pour adopter une courbe concave : la tête se raccourcit, et le système à crémaillère fait place à une vis à écrou actionnée par un bouton. L’artisan de cette révolution est Tourte père, dont l’œuvre devait être développée et codifiée par son fils François et par ses successeurs.

De nos jours, l’enseignement de la lutherie est dispensé dans quelques écoles célèbres : Mittenwald en Bavière et Brienz en Suisse, Crémone en Italie, Mirecourt en France, dont la fondation toute récente, en 1970, renoue avec une tradition séculaire. Les élèves sont choisis selon des tests généraux concernant leur aptitude manuelle et sur l’avis d’une commission de luthiers. Leur formation dure trois ans. Elle comporte, parallèlement à un enseignement général, une activité spécialisée en atelier. Les études, prolongées par une année de stage chez un luthier, sont consacrées par un brevet de technicien.

S. M.

 A. Vidal, la Lutherie et les luthiers (Quantin, 1889). / C. Pierre, les Facteurs d’instruments de musique, les luthiers et la facture instrumentale (Sagot, 1893). / W. Lutgendorff, Die Geigen und Lautenmacher vom Mittelalter bis zur Gegenwart (Francfort, 1922). / L. Greilsamer, « la Facture des instruments à archet », dans Encyclopédie de la musique, t. III, sous la dir. de A. Lavignac et L. de La Laurencie (Delagrave, 1926). / F. Cabos, le Violon et la lutherie (Gründ, 1948). / R. Vannes, Dictionnaire universel des luthiers (Fischbacher, 1951). / A. Roussel, Nouveau Traité de lutherie (Durand et Millant, 1963).