Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Luther (Martin) (suite)

Cependant, l’incertitude de ses amis et les débuts d’anarchie qui menacent l’avenir du mouvement de la Réforme l’obligent à sortir de sa réserve : à Wittenberg d’abord, en 1522, puis ailleurs, il reprend les choses en main, avec prudence et modération, organisant les communautés évangéliques naissantes, où il s’efforce de structurer le sacerdoce universel en définissant les caractères du ministère de la Parole.

Il va désormais lutter sur deux fronts : contre le catholicisme politique, qui espère toujours réduire la dissidence, et contre les éléments spirituels et enthousiastes fanatiques ; ainsi que contre les mouvements de libération sociale et nationale de la petite noblesse et surtout des paysans, qui voient dans son action le début d’une révolution destinée à renverser l’ordre établi. C’est surtout face au soulèvement paysan (1524) qu’il est amené à durcir ses positions, distinguant radicalement la liberté chrétienne et la liberté politique et optant, en fait, pour un pouvoir fort exercé par des autorités chrétiennes. Il sacrifie ainsi sa popularité auprès des masses à l’obtention de l’appui des princes, favorisant par sa « doctrine des deux règnes » (seul le domaine de l’Église est soumis à l’Évangile, le domaine civil, où règne la loi, étant du ressort du seul magistrat) la constitution d’Églises d’État.

À côté de ces conflits tragiques, les affrontements « idéologiques » ne lui font pas défaut.

Érasme espérait rester spectateur du conflit entre Rome et Luther ; partagé entre sa sympathie pour ce dernier et sa crainte du parti catholique, il se résout finalement à attaquer Luther sur un point décisif, celui du libre arbitre de l’homme en face de Dieu. Luther reconnaît dans ce christianisme humaniste une menace pour la prédicat on de l’Évangile de la grâce. Au Du libre arbitre (Diatribe de libero arbitrio, 1524) d’Érasme, il répond vigoureusement, dans son Du serf arbitre (De servo arbitrio, 1525), que la liberté du chrétien consiste à reconnaître la totale impuissance de sa volonté, tant qu’elle n’est pas mobilisée par la grâce.

Les « sacramentaires » protestants, disciples de Zwingli*, défendant une interprétation symbolique de l’eucharistie, Luther, qui, comme Calvin, refuse la transsubstantiation tout en défendant la réalité de la présence du Christ et de son action dans la célébration de la cène, leur oppose une série d’écrits très vifs et participe, en 1529, au colloque de Marburg, organisé par Philippe le Magnanime, landgrave de Hesse, pour sceller l’union doctrinale d’une coalition protestante capable de résister aux États catholiques. Mais les interlocuteurs, Allemands luthériens et Suisses zwingliens, se séparent sans avoir pu se mettre d’accord.

Contre les illuminés et anabaptistes*, qui se lancent dans des théories folles et des aventures sans issue, Luther, refusant que la Réforme puisse être identifiée à ces débordements, tonne en chaire et publie le traité : le Devoir des autorités civiles de s’opposer aux anabaptistes par des châtiments corporels (1525). Il contribue ainsi à les livrer au bras séculier.

L’organisation des communautés évangéliques est son souci majeur. Il est constamment en tournée de visitation, prêchant, enseignant, expliquant l’Écriture, pratiquant la direction spirituelle. C’est à leur usage qu’il rédige son Petit et son Grand Catéchisme (1529).

La défense de la Réforme contre Rome l’occupera jusqu’à sa mort : en 1529, à la deuxième diète de Spire, en face des exigences accrues du parti catholique, six princes et quatorze villes libres déposent une solennelle protestation. Ils sont aussitôt nommés « protestants ». Un an plus tard, à Augsbourg, Luther mis au ban de l’Empire et ne pouvant paraître devant l’empereur, c’est Melanchthon* qui présente la Confession d’Augsbourg, qu’il a composée et qu’il confirme dans un texte rédigé, après quelques hésitations, sous l’influence vigilante de Luther : c’est l’Apologie. Six ans plus tard, en vue d’un concile annoncé, Luther rédige les Articles de Smalkalde et, dix ans après, à la veille de sa mort, un des plus violents parmi les pamphlets : Contre la papauté romaine fondée par le diable. C’est la fin d’un long et douloureux itinéraire qui, commencé dans le dialogue le plus confiant, se termine dans le plus définitif des anathèmes.

Luther, qui a épousé en 1525 une nonne, Katharina von Bora, dont il a eu six enfants, est un mari et un père heureux, jardinant, jouant aux échecs, faisant de la musique avec les siens, buvant de la bière et prenant de l’embonpoint. Les luthériens considèrent sa famille comme le modèle de la famille chrétienne.

Il meurt en pleine activité, à Eisleben, sa ville natale, où il s’est rendu en mission de réconciliation auprès des comtes de Mansfeld. Sur la table de la chambre mortuaire, après qu’il a, une dernière fois, confessé son entière confiance dans le Christ, on trouve un billet avec ses derniers mots écrits en latin, puis en allemand. Il se termine par un aveu, qui résume toute sa vie : « Wir sind Bettler, das ist wahr » (« Nous sommes des mendiants, c’est bien vrai »).


Visages actuels du luthéranisme

La famille luthérienne est d’abord implantée dans les pays européens et anglo-saxons : sur les 75 millions de luthériens, 60 millions habitent l’Europe, dont 57 millions en Allemagne et dans les pays Scandinaves. On peut distinguer trois types d’Églises.

• Les Églises historiques d’Allemagne, des pays Scandinaves et d’Alsace. (Il y a 250 000 luthériens en Alsace, contre 50 000 pour le reste de la France, regroupés dans la région de Montbéliard et à Paris. Dans cette dernière ville, l’implantation du luthéranisme se fit en deux temps : création en 1626, sous le règne de Louis XIV, d’une paroisse suédoise ; afflux de réfugiés alsaciens et lorrains après 1871.) Ces Églises, marquées par une tradition liturgique très forte, sont généralement des Églises d’État, conservant, y compris en République démocratique allemande, des liens très étroits avec le pouvoir politique.

• Les Églises de migrants, nées de l’implantation de colons venus d’Europe en Amérique du Nord (plus de 9 millions de luthériens), en Amérique latine (1 million), en Australie (500 000), en Afrique du Sud (500 000). Il faut aussi mentionner les 980 000 Baltes en U. R. S. S. Leurs membres sont presque sans exception de race blanche.

• Les jeunes Églises, assez tardivement nées de l’éveil de l’esprit et de l’action missionnaires parmi les luthériens ; elles sont implantées en Indonésie (1 250 000), à Madagascar (300 000), en Tanzanie (460 000), en Éthiopie, etc.